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« Après l'attaque au
large de Gaza, Israël a perdu la bataille de l'opinion »
Pascal Boniface
Pascal Boniface - Photo IRIS
Samedi 26 juin 2010
«Apriori, on pourrait se dire que l’attaque de la flottille
humanitaire au large de Gaza ne change rien. Quatre ans après la
guerre au Liban, moins de deux ans après l’offensive sur Gaza,
Israël s’est permis une nouvelle action tout à fait
inadmissible, contraire au droit international, face à laquelle
tempêtent toutes les opinions publiques, aussi bien en Europe
que dans le monde arabe. Comme lors des précédents épisodes, les
gouvernements occidentaux condamnent, mais leur condamnation
n’est jamais suivie d’effet. On a l’impression que l’histoire
est un éternel recommencement. Et, de fait, ce qui s’est passé
au large de Gaza est un peu la conséquence du sentiment
d’impunité qu’éprouve l’État hébreu. Israël est habitué aux
condamnations sans effet. Néanmoins, cette fois, quelque chose a
changé. On a bien vu que les défenseurs inconditionnels de la
politique israélienne étaient gênés dans leur argumentation.
Bernard Henri-Lévy a écrit une tribune sur ce qu’il appelle “la
désinformation” (Libération du 7 juin). En substance, il
explique que les membres de l’équipage arraisonné étaient liés à
al-Qaida, qu’il s’agissait d’une flottille pseudo-humanitaire
obéissant à un agenda politique. Mais l’humanitaire a toujours
été politique ! Comment Bernard-Henri Lévy, lui-même partisan de
l’ingérence humanitaire, peut-il brusquement dénigrer une action
de citoyens en faveur de la population de Gaza, au prétexte que
cette aide a, également, une signification politique ? C’est
toujours le même “deux poids deux mesures” qui revient dans la
bouche des défenseurs de la politique israélienne. Mais, cette
fois, avec plus de difficulté qu’à l’accoutumée. L’assimilation
des Palestiniens à des “activistes” liés peu ou prou au Hamas
bute sur le fait qu’en l’occurrence, les victimes sont des
militants d’ONG. Les ONG inspirent d’emblée la sympathie des
opinions publiques. Or, Israël – et c’est la première fois –
s’est attaqué non plus à l’un de ses adversaires directs,
libanais ou palestiniens, mais à des citoyens mobilisés autour
d’une cause humanitaire. C’est un vrai tournant : Israël a perdu
la bataille de l’opinion. Aujourd’hui, cet État ne peut espérer
redorer son image sans un changement radical d’attitude passant,
sans doute, par un changement de gouvernement.
L’autre aspect important, qui n’est pas nouveau mais qui
devient plus visible, c’est la multipolarisation du monde. Ce
phénomène se perçoit à plusieurs niveaux. D’abord, on oublie
souvent que le blocus de Gaza n’est pas que le fait d’Israël.
L’Égypte y participe. Aussi, quand la Ligue arabe a demandé la
fin du blocus, cela s’adressait autant à l’Égypte qu’à Israël.
Peu de temps auparavant, le Brésil et la Turquie, deux pays qui
ne sont pas membres permanents du Conseil de sécurité et
n’appartiennent pas non plus au G8, signaient un accord avec
l’Iran pour trouver une solution au problème du nucléaire. La
question palestinienne se formule donc dans un contexte nouveau,
où les pays occidentaux n’ont plus le monopole de la puissance.
Il ne s’agit pas d’une question arabe ou musulmane. Bien sûr, la
Turquie, d’où est partie la flottille pour Gaza, est un pays
musulman. Mais elle développe une diplomatie autonome, qui l’a
conduite, hier, à un accord stratégique avec Israël et,
aujourd’hui, à rompre ce même accord. Dans les pays émergents du
Sud, la question palestinienne prend de plus en plus
d’importance, car elle fait écho à un héritage de luttes
anticolonialistes. Du sud au nord, c’est autour du droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes que se cristallise la
mobilisation contre l’occupation de la Palestine. Hier, la
jeunesse se mobilisait contre la guerre du Vietnam ;
aujourd’hui, elle se bat pour le peuple palestinien. Il y a donc
de solides bases pour renverser le rapport de forces. Nos
gouvernements, en Europe, sont encore partagés entre la
conscience qu’ils ont de la désaffection du public européen et
une culture de soutien à Israël, qui renvoie aussi à un
sentiment de culpabilité par rapport à la Seconde Guerre
mondiale. Mais en tout cas, ils prennent conscience du
changement de l’opinion. Au niveau européen, la bataille au
Parlement peut prendre un nouvel essor. Les parlementaires
européens qui se rendent dans les territoires palestiniens
mesurent combien est fausse et scandaleuse la vision d’un État
d’Israël “seule démocratie du Proche-Orient face aux barbares”.
Cette affaire de la flottille de Gaza n’est pas seulement une
erreur militaire, c’est une erreur stratégique qui va avoir une
incidence forte sur la suite du conflit. Je pense que le blocus
de Gaza a du plomb dans l’aile. Il ne pourra pas tenir encore
très longtemps. »
Pascal Boniface est l’auteur de l'Atlas du
monde global, 2ème édition, coécrit avec Hubert Védrine, Armand
Colin (2010), Vers la 4e Guerre mondiale ? (2005) et Comprendre
le monde. Éditions Armand Colin (2010).
Propos recueillis par Laurent Etre
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© Journal L'Humanité
Publié le 30 juin 2010 avec l'aimable autorisation de
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