Opinion
Pourquoi nous
avons refusé de boycotter la Rencontre
Annuelle des Musulmans de France
Jean Baubérot, Pascal Boniface et
Raphaël Liogier
Pascal
Boniface - Photo IRIS
Mercredi 18 avril
2012
Dans un article
publié dans le Huffington post, le 10
avril 2012, Caroline Fourest nous
reproche de nous être rendu au
Rassemblement annuel des musulmans de
France (RAMF) organisé au Bourget par
l’UOIF « sans même tenir compte du drame
de Toulouse » et nous accuse de
cautionner l’intégrisme,
l’antisémitisme, le sexisme et
l’homophobie.
Nous sommes depuis longtemps habitués
aux amalgames, procès d’intentions et
affirmations calomnieuses qui sont la
marque de fabrique de Caroline Fourest.
Elle va encore un peu plus loin dans ce
papier et emploie des méthodes qui
déshonorent le débat intellectuel. Ceux
qui la défendent pour ses idées,
devraient s’interroger sur ses méthodes.
Dans son raisonnement binaire habituel,
Fourest oppose « l’islam laïc » à «
l’islam intégriste », elle déclare que
contrairement au christianisme et au
judaïsme, l’islam ne peut prétendre à
être orthodoxe ou traditionaliste, mais
qu’il ne peut être que fondamentaliste.
« Le drame de Toulouse » qu’elle cite à
4 reprises dans son article (en ne
parlant jamais des crimes de Montauban
commis par le même homme) ne nous a en
effet pas empêché d’aller a ce
rassemblement tout simplement parce que
nous estimons qu’il n y a aucun lien
entre cette tuerie et l’UOIF. Décliner
l’invitation que nous avions acceptée,
aurait signifié que nous faisons un
amalgame entre ce rassemblement de
musulmans et ce drame, ce que nous
refusons de faire.
Nous ne sommes en rien des « compagnons
de route » de l’UOIF. Nous refusons
simplement de diaboliser cette
organisation. Nous avons été invités à y
prendre la parole en toute liberté,
sachant que nous ne partageons pas sa
foi. C’est un geste d’ouverture.
Nous sommes convaincus que si des propos
sexistes, antisémites ou homophobes y
avaient été tenus, la presse s’en serait
fait un large écho et que les services
du ministère de l’Intérieur, sans aucun
doute présents, les auraient signalés.
Le problème est que Caroline Fourest
participe à une opération de
stigmatisation des musulmans, créant de
façon inadmissible un lien entre les
tueries de Toulouse (auxquelles il faut
ajouter celles de Montauban) et la RAMF.
Pourquoi, elle qui se présente comme une
ennemie de Marine Le Pen partage-t-elle
les amalgames de cette dernière ?
Nous ne partageons nombre d’opinions de
l’UOIF, mais nous ne voyons pas pourquoi
nous devrions la boycotter. On ne peut à
la fois plaider pour l’intégration et
pratiquer la stigmatisation. Ajoutons
que les déclarations de Madame Fourest
démontrent une méconnaissance –
volontaire ou involontaire ! – d’une
organisation dont la multiplicité des
courants ne saurait être réduite à un
bloc monolithique. Une telle exclusion
serait donc une humiliation publique
pour les milliers de musulmans de tous
horizons qui se sentent déjà la cible de
préjugés de la part de la majorité de la
population européenne. Nous vivons une
époque où nous croyons qu’il faut
prendre ses responsabilités,
sereinement, franchement, contre la voix
de l’audimat, contre les dividendes
reçues à court terme par une opinion
aveuglée par la crise économique et
sociale que traverse notre pays. En
faisant le choix facile du populisme et
de la stigmatisation, au nom de grandes
idées abstraites détournées de leurs
buts concrets, il nous semble que Madame
Fourest se joint au nombre
malheureusement croissant des politiques
d’extrême droite et d’ailleurs, qui
sacrifient sans vergogne la troisième
grande valeur républicaine, la
fraternité, au profit d’un gain d’image
immédiat. Une telle attitude nous paraît
irresponsable.
Pour cela aussi, nous nous refusons
fermement à participer à une stratégie
d’isolement des musulmans sur fond
d’amalgames contraires à nos principes
de vouloir vivre ensemble. Et nous
continuerons – blasphème ! – à aller
dialoguer avec qui bon nous semble sans
en demander la permission à Madame
Fourest.
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Publié le 19 avril 2012 avec l'aimable
autorisation de l'IRIS.
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