IRIS
Irak : le succès des élections ne
réhabilite pas la guerre
Pascal Boniface
Pascal Boniface - Photo IRIS
Vendredi 12 mars 2010
Dimanche les électeurs irakiens sont allés voter de façon assez
massive malgré les menaces – suivies d’effets - d’attentat
d’Al-Qaïda. Bravant le climat de violence, les électeurs
irakiens se sont exprimés. Les sunnites ont participé au
processus politique venant ainsi lui donner une plus grande
crédibilité.
La perspective du retrait militaire américain est ainsi
confortée et se dessine la possibilité d’une normalisation de la
situation politique en Irak. Il ne faut pas se leurrer, un Irak
stable politiquement, retrouvant une économie prospère n’est pas
une perspective immédiate. Elle n’est cependant plus irréaliste.
Les violences n’ont pas disparu mais elles sont en diminution.
Dès lors, certains en concluent que la guerre lancée en 2003
était justifiée et que, fusse avec un certain temps de retard,
le calcul qu’une guerre était nécessaire pour établir la
démocratie en Irak se révèle gagnant. Bref, les
néo-conservateurs triompheraient 18 mois après avoir subi une
lourde défaite politique avec l’élection de Barack Obama. Ce
sentiment général est conforté par le désenchantement à l’égard
de Barack Obama, embourbé en Afghanistan et qui, malgré ses
promesses, n’a toujours pas fermé le camp de Guantanamo et ne
semble pas plus réussir pour imposer la paix au Proche Orient
que George W. Bush.
Le magazine Newsweek vient de publier une photo de G. W.
Bush sur le porte-avions USS Abraham Lincoln, prise le 1er
mai 2003. A l’époque, une grande bannière avait été déployée :
« mission accomplie », ce qui a été vu comme la preuve même de
l’hubris américain puisque si la guerre classique était bien
terminée à cette époque, les violences s’étaient déchaînées et
les morts Américains se sont multipliés par la suite, sans
parler des victimes irakiennes. Newsweek titre cette
fois-ci « Victory at last », « la victoire à la fin »,
avec le sous-titre « l’émergence d’un Irak démocratique ». Le
journal pourtant modéré et ne pouvant pas être considéré comme
proche idéologiquement des néo-conservateurs, écrit que le pays
possède désormais des partis, des institutions politiques
diverses, une presse libre, une armée respectée partout dans le
pays et que l’émergence de la démocratie en Irak ouvre une
nouvelle ère au Proche Orient. C’est certainement aller vite en
besogne et réécrire l’histoire. C’est passer par pertes et
profits les dizaines de milliers de morts en Irak, sans parler
des milliers de morts américains.
C’est également oublier que la guerre en Irak a creusé un fossé
béant, ou l’a agrandi, entre le monde musulman et le monde
occidental, l’anti-islamisme se développant dans le monde
occidental alors que l’anti-occidentalisme se déchaînait dans le
monde musulman. C’est oublier que l’établissement de la
démocratie n’était pas l’objectif réel de la guerre mais
simplement un argument de légitimation ; les Etats Unis
s’étaient pendant très longtemps satisfaits de la dictature de
Saddam Hussein qu’ils ont même longuement soutenu et que, de
l’Asie centrale à la Corée du Nord, il y a d’autres dictatures,
tout aussi repoussantes que l’était celle de Saddam Hussein, qui
n’ont pas fait l’objet de conflits armés pour s’en débarrasser.
On oublie également que l’embargo imposé à l’Irak dans les
années 1990 a fait au bas mot 500.000 morts. Le monde est
peut-être plus sûr sans Saddam Hussein, mais les moyens utilisés
pour s’en débarrasser ont été extrêmement coûteux et ont laissé
des traces durables. C’est en grande partie l’embargo et les
pressions extérieures qui ont permis à S.Hussein de consolider
son pouvoir sur le plan intérieur. Les dégâts créés par la
guerre d’Irak commencent à être réparés ; il ne faut pas en
conclure qu’il n’y en a pas eu ou que c’était le sacrifice
nécessaire pour parvenir à un résultat heureux. Cela est vrai
pour la sécurité internationale dont le climat a été au niveau
global très largement dégradé, et qui n’a pas encore tout à fait
retrouvé le niveau – déjà insatisfaisant – qui était le sien en
2002.
C’est également vrai de l’intérêt américain, les Etats-Unis
ayant été affaiblis stratégiquement et en termes de moyens pour
la guerre d’Irak. Cette guerre avait déjà été l’objet de
manipulations de l’information avant son déclenchement,
puisqu’on la justifiait à l’époque par l’existence d’un arsenal
d’armes de destruction massive en Irak ou des liens entre l’Irak
et Al-Qaïda, tous deux inexistants. On arrive à une nouvelle
campagne de désinformation, par la tentative de justifier cette
guerre catastrophique par la douloureuse et difficile
normalisation en cours
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Publié le 13 mars 2010 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
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