IRIS
Principes universels, application
sélective
Pascal Boniface
Pascal Boniface - Photo IRIS
Lundi 12 janvier 2009
André Glucksmann a publié dans Libération daté du 29 décembre un
article intitulé « Pour un monde meilleur ». Un programme auquel
il est difficile de s’opposer. En effet, qui pourrait réclamer
des atteintes graves aux droits de l’homme, la poursuite de
conflits sanglants, le renforcement des dictatures ?
On peut en revanche contester la façon dont André Glucksmann
voit cette amélioration du monde.
Pour ce qui
est de la politique des Etats, il concentre ses critiques sur la
Russie et la Chine. Il n’y a rien de nouveau chez lui sur ce
point, il le fait à longueur de colonnes, reconnaissons lui le
mérite de la cohérence. Les esprits chagrins feront remarquer
qu’il était aussi admiratif de la Chine de Mao qu’il est
critique de celle de Hu Jintao, alors que l’on peut penser qu’en
matière de droits de l’homme aussi bien réels que formels, la
situation actuelle est peut-être plus supportable aujourd’hui
qu’à l’époque… Il y a certes à redire sur ces régimes en matière
de démocratie et de respect des individus. Mais à l’aune de la
violation des droits de l’homme sont-ils les plus criminels ?
Le simple survol des rapports d’Amnesty
international ou de Human Rights Watch montre que bien des
régimes sont beaucoup plus répressifs et traitent avec plus de
brutalité leurs peuples et surtout leurs opposants. Le choix de
Glucksmann n’est peut-être pas dicté par l’ampleur des
violations des droits de l’homme, mais par le poids stratégique
des pays concernés. Russie et Chine sont les deux principaux
rivaux stratégiques des Etats-Unis, on peut donc avoir la
désagréable impression que le discours sur la morale est là pour
masquer le souhait de ne pas voir la puissance américaine
concurrencée.
C’est tout à fait légitime comme objectif,
mais on est là face à une politique de puissance et non dans le
champ de la morale qui ne sert ici que d’écran de fumée. On ne
s’occupe des victimes que si le coupable est stratégiquement
intéressant. C’est encore plus frappant lorsque Glucksmann place
Hugo Chávez dans sa très resserrée liste des « most wanted
dictateurs ». On peut ne pas apprécier le populisme de Chávez.
Mais si tous les dictateurs se soumettaient au verdict des
urnes, y compris lorsqu’il lui est défavorable, la planète ne
serait pas en aussi mauvais état. On peut penser qu’il y a pire
condition que celle d’opposant politique au Venezuela. Mais il
est vrai que Chávez a énormément agacé George W. Bush et ceci
explique peut-être le courroux de Glucksmann. On se rappelle que
ce dernier avait soutenu la guerre d’Irak, ce qui n’était pas la
position des ONG de défense des droits de l’homme. Mais on ne se
rappelle pas avoir entendu ses protestations contre Guantánamo
ou Abu Ghraib. Le plus gênant, c’est que Glucksmann ne
s’offusque pas des bombardements de populations civiles
lorsqu’ils sont faits par des bombardiers américains ou
israéliens, mais il les condamne s’ils sont faits par des
chasseurs russes. Evénements comparables, attitudes opposées.
Une note de la rédaction précise que
l’article a été écrit avant les bombardements de Gaza.
Rassurons-nous, il les a approuvés depuis. On peut cependant
supposer sans grand risque que, si des événements de cette
nature avaient eu lieu au Kosovo, son indignation aurait été
immédiate et bruyamment portée à la connaissance du public. Il
est louable d’être pour la promotion des droits de l’homme. Il
ne l’est pas moins d’être cohérent et de défendre de façon
universelle des droits de l’homme que l’on présente comme tels.
Mais partir du principe que les démocraties occidentales ont
toujours raison, du simple fait qu’elles sont des démocraties
occidentales, est un peu court. Si noblesse oblige, démocratie
également. Etre une démocratie ne donne pas des droits à un
régime, mais à ses citoyens. Etre une démocratie donne des
obligations à un régime, celui de respecter ses propres
critères. Le monde occidental s’affaiblit et affaiblit les
principes qu’il entend promouvoir s’il s’en sert comme paravent
d’une politique de puissance, s’il les applique ou en dénonce le
non-respect de façon sélective.
Ce qu’une grande partie du reste du monde
reproche au monde occidental ce ne sont pas les valeurs qu’il
incarne, mais le fait qu’il ne les respecte pas toujours, et
qu’il soit laxiste ou sévère selon que ce non-respect est commis
par un allié ou un adversaire. Et ce qui est de plus en plus
difficilement supportable c’est que certains se drapent dans le
manteau du moralisme, tout en restant insensibles à certaines
violations des droits de l’homme, et ont des indignations
sélectives en fonction de la nationalité des bombes et des
victimes. Et se croient néanmoins autorisés à donner des leçons
aux autres.
Pascal Boniface, directeur de l'IRIS
Article paru dans Libération,
vendredi 9 janvier 2009
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Publié le 13 janvier 2009 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
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