IRIS
Les causes du déclin
des intellectuels
Pascal Boniface
Pascal Boniface - Photo IRIS
Vendredi 9 juillet 2010
A l’occasion des 30 ans du Débat, il y eut de nombreux
articles consacrés au pouvoir intellectuel en France ou plutôt
au pouvoir des intellectuels en France. Celui-ci serait-il en
déclin ? Et si oui, pour quelles raisons ? Les géants de type
Aron et Sartre, s’ils s’engageaient dans le débat public, le
faisaient à partir d’une œuvre conséquente. Aujourd’hui,
certains ne privilégient-ils pas les médias à la véritable
production intellectuelle durable en étant omniprésents sur les
plateaux télévisés ? Ce n’est pas tant le rapport aux
médias qui serait la cause d’un éventuel déclin. Il n’y a pas
d’incompatibilité rédhibitoire entre travail intellectuel et
pédagogie médiatique, même si les médias ne sauraient être
l’arbitre des élégances pour savoir qui produit et exerce une
influence intellectuelle. Le véritable problème de la perte des
crédibilités des intellectuels n’est pas lié à leur apparition
dans les médias, mais à deux autres facteurs.
Le premier est qu’il se forme plus ou moins consciemment, un
petit groupe qui se partage les positions dans le monde de
l’édition, de la presse et de la télévision. Ce groupe évite
soigneusement de se contredire et encore moins de se critiquer.
Le souci d’information du public passe après l’amitié ou le
désir d’être agréable à quelqu’un qui peut renvoyer l’ascenseur
ou avec lequel il serait potentiellement dangereux de se fâcher.
Cela ne peut pas ne pas être perçu par le public au bout d’un
certain temps, et la confiance en souffre. Autrefois, l’accès
aux médias était l’occasion de faire passer un message.
Aujourd’hui, il est le moyen de continuer à préserver et à
améliorer son statut social.
Mais plus grave encore, afin de mieux capter l’attention du
public en présentant les choix limités aux notions de bien et de
mal, et en se mettant du côté du bien, ils flattent les
aspirations morales du public, mais déformant les faits et les
situations, ils ne contribuent pas à son information. C’est le
côté négatif de l’apparition d’une plus grande exigence morale
dans les affaires publiques, nationales ou internationales.
Certes les visions manichéennes ont toujours existé. Elles
prennent simplement une place croissante.
Le respect de la vérité, la sincérité des arguments n’est
plus un critère. Il n’y a pas que les paroles qui s’envolent,
les écrits également. Il n’est plus rare de lire ou voir des
intellectuels qui affirment sciemment une contre-vérité car elle
permet d’étayer leur thèse. Priorité est donc donnée à celui qui
affirme de façon péremptoire, même si chacun a en mémoire les
contradictions, omissions ou mensonges passés.
Il y a désormais une impunité du mensonge ou du
travestissement de la réalité. Etre pris en flagrant délit de
mensonge volontaire n’est plus sanctionné.
Et malgré Internet qui permet plus facilement qu’auparavant
de retrouver des déclarations passées, le travail de recherche
est très rarement fait.
De nombreux intellectuels ayant pignon sur rue ont été
maintes fois pris la main dans le sac des affabulations, des
arrangements avec la vérité, d’accusations petites sur des
adversaires idéologiques, avec des arguments non fondés. Mais,
ayant acquis une célébrité, ils continuent d’occuper l’espace
médiatique important (ils sont connus pour être connus), même si
leur crédibilité est atteinte dans une large partie du public.
Il y a également les intellectuels mercenaires, qui se mettent
au service d’une cause non par conviction, mais par intérêt.
La montée en puissance de l’opinion publique dans le
processus de décision est un facteur positif. Elle s’accompagne
hélas d’une montée en puissance parallèle des opérations de
désinformation. Une partie des élites n’a pas pour mission
d’éclairer le public, mais au contraire de brouiller les pistes.
Le mensonge devient un moyen légitime du combat idéologique.
Puisqu’on se met au service du bien, pour lutter contre le mal,
pourquoi se préoccuper d’arrangements avec la véracité ? Le
problème est qu’ici comme ailleurs, la fin ne justifie pas les
moyens. Si la cause est juste, pourquoi serait-il nécessaire de
mentir pour la servir ? Parce que le public est sot ? Il ne
l’est pas. Si une partie peut être dupée provisoirement, la
majorité prend vite conscience de qui fait quoi.
Si les intellectuels veulent retrouver un respect perdu, ils
doivent eux-mêmes mieux respecter le devoir de sincérité.
Pascal Boniface, Directeur de l'IRIS, a publié avec Hubert
Védrine Atlas du monde global (Editions Armand Colin,
2010)
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Publié le 10 juillet 2010 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
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