Opinion
Incroyable : Le
New York Times a critiqué Israël !
Parti
Anti Sioniste
Uri Avnery,
journaliste et militant israélien pour
la Paix
Mercredi 10 août
2011
Article écrit par Uri Avnery,
journaliste israélien, fondateur de
l'organisation pacifiste israélienne «
Gush Shalom » (Bloc de la Paix).
La première flottille de solidarité n’a
pas atteint Gaza. Mais, l’attaque du
commando naval qui a coûté la vie à neuf
militants de la paix turcs a soulevé une
vague d’indignation telle que le
gouvernement de Tel-Aviv a été forcé
d’alléger le blocus de Gaza de manière
significative. Cette attaque a encore
aujourd’hui des répercussions. La
relation privilégiée entre les armées
turque et israélienne n’a pas été
rétablie et les Turcs continuent de
demander des excuses et des indemnités.
Les familles des victimes ont intenté
des poursuites criminelles et pénales
dans plusieurs pays. Un vrai casse-tête
pour Israël.
L’aventure de la seconde flottille s’est
terminée cette semaine avec l’énorme
opération navale qui a abouti à la
capture d’un seul petit yacht français
et la détention de marins, journalistes
et militants qui étaient à bord (16
personnes en tout). Nos médias, pourtant
soumis, ont commenté ironiquement : « Pourquoi
n’ont-ils pas envoyé un porte-avion ? ».
Les 14 bateaux qui ont été empêchés de
partir et celui qui a réussi à partir
n’ont pas seulement tenu toute notre
marine en alerte pendant des semaines,
mais ils ont surtout permis de garder le
siège de Gaza à la une de l’actualité.
C’était, après tout, le but principal de
toute l’entreprise !
Aussi incroyable que cela puisse
paraître la marine et les garde-côtes
grecs ont empêché, par la force, les
bateaux de quitter les ports grecs, sans
aucun fondement légal et sans même
s’embarrasser à simuler un semblant de
légalité. Il ne serait pas
exagéré de dire que la marine grecque
agissait sur ordre du commandant en chef
israélien. Une nation de fiers
navigateurs, héritière d’une histoire
maritime (le mot « nautique » est
d’ailleurs d’origine grecque) et qui
remonte à des milliers d’années, s’est
abaissée à commettre des actions
illégales pour donner satisfaction à
Israël… Elle a aussi ignoré les actes de
sabotage commis par des commandos de la
marine – devinez laquelle ? – contre les
bateaux amarrés dans des ports grecs.
Au même moment, le gouvernement turc, le
sponsor intrépide du Mavi Marmara, le
bateau sur lequel les militants turcs
ont été assassinés l’année dernière, a
empêché le même navire de prendre la
mer, cette année. Au même moment encore,
des groupes de militants
pro-palestiniens, qui essayaient d’aller
en Cisjordanie par avion, ont été
arrêtés en route. Comme il est
impossible d’aller en Cisjordanie par la
terre, la mer ou les airs sans passer
par le territoire israélien ou les
check-points israéliens, ils étaient
obligés de passer par l’aéroport
international de Ben Gourion, la porte
israélienne du monde. La plupart n’ont
pas réussi à passer cette porte ; sur
instruction de notre gouvernement,
toutes les compagnies aériennes
internationales ont bloqué les passagers
à l’embarquement, en utilisant une
« liste noire » que leur avait donnée
notre gouvernement.
Il semble que le bras long de notre
diligent service de sécurité ait des
ramifications partout, et que ses ordres
soient obéis dans tous les pays, grands
et petits. Il y a cent ans, la police
secrète du Tsar russe, la terrible « Okhrana »,
a forgé un document appelé le
Protocole des sages de Sion. Le
document parlait d’une réunion secrète
de rabbins dans le vieux cimetière de
Prague, pour élaborer une stratégie qui
donne aux Juifs le contrôle du monde.
C’était une grossière falsification qui
reprenait des passages entiers d’un
roman écrit des dizaines d’années plus
tôt. Rien de ce qui était écrit dans ce
texte n’était vrai car, en réalité, les
Juifs de l’époque n’avaient pas le
moindre pouvoir. De fait, quand Adolf
Hitler – qui a utilisé le Protocole pour
sa propagande – a mis en place la
Solution finale, presque personne dans
le monde entier n’a levé le petit doigt
pour aider les Juifs. Même les Juifs
américains avaient peur d’élever la
voix. Mais, si les auteurs du faux
document revenaient aujourd’hui sur le
lieu de leur crime, ils se frotteraient
les yeux de stupéfaction : le fruit de
leur imagination malade semble être
devenu la réalité. L’État juif,
comme les sionistes l’appellent, peut
donner des ordres aux autorités de la
marine grecque, faire renoncer les Turcs
à leur projet, et ordonner à une
douzaine de pays européens d’arrêter des
passagers dans leurs aéroports.
Comment cela se peut-il ? La réponse est
simple et comporte trois lettres : USA.
Israël est devenu une sorte de portier
kafkaïen du seul super pouvoir qui reste
dans le monde. Grâce à son immense
influence sur le système politique
américain et surtout sur le Congrès,
Israël peut lever un impôt politique sur
tous ceux qui ont besoin des États-Unis.
La Grèce est en faillite et a
désespérément besoin de l’aide des USA
et de l’Europe. La Turquie est un
partenaire des USA dans l’Otan. Aucun
pays européen ne veut de problème avec
les États-Unis. Ils doivent donc tous
nous donner un petit bakchich politique.
Pour cimenter cette relation, Glenn
Beck, le détestable protégé de Rupert
Murdoch, nous a rendu visite et a été
reçu à la Knesset (le parlement
israélien) où il nous a dit de « ne
pas avoir peur », parce que lui (et
donc la Fox et toute
l’Amérique) nous soutenait à fond. C’est
pour cela que quelques lignes écrites
cette semaine dans le New York Times,
ont presque semé la panique à Jérusalem.
Le New York Times est
peut-être le journal le plus pro-Israël
du monde entier, Israël compris.
Les antisémites l’appellent le Jew
York Times (« Jew » signifie « Juif
»). Un article qui critique la politique
d’Israël n’a quasiment aucune chance d’y
être publié. Il n’y a jamais été fait
mention des douzaines de manifestations
israéliennes contre la deuxième guerre
d’Israël au Liban, ni contre l’Opération
Plomb Durci de décembre 2008 à
janvier 2009 à Gaza. L’autocensure règne
en maître !
Mais, cette semaine, le New
York Times a publié un éditorial
cinglant contre Israël. La
raison en est la « Loi sur le
boycott » que la majorité de droite
de la Knesset a votée, et qui interdit
aux Israéliens d’appeler au boycott des
produits en provenance des colonies.
L’éditorial répétait pratiquement ce que
j’avais écrit dans l’article de la
semaine dernière, à savoir qu’il
s’agissait d’une loi clairement
anti-démocratique, qui viole des droits
de l’homme les plus élémentaires.
D’autant plus qu’elle vient couronner
tout une série de lois
anti-démocratiques votées ces derniers
mois. Israël est en danger de
perdre son titre de « seule démocratie
du Moyen-Orient ».
Tout à coup, tous les feux rouges à
Jérusalem se sont mis à clignoter
furieusement. Au secours ! Nous allons
perdre notre seul soutien politique dans
le monde, le pilier de notre force, la
base de notre sécurité nationale, le
rocher de notre existence. Le résultat a
été immédiat. La clique de droite qui
contrôle actuellement la Knesset, sous
la direction d’Avigdor Lieberman,
faisait voter une résolution qui nomme
deux commissions chargées d’enquêter sur
les ressources financières des ONG des
droits de l’homme, pas toutes les ONG,
mais seulement celles dites de
« gauche ». Cette résolution constituait
une mesure supplémentaire dans la longue
liste des mesures maccartistes dont
beaucoup ont déjà été votées et beaucoup
d’autres attendent de l’être.
Le jour précédent, Benyamin Netanyahu
était venu spécialement à la Knesset
pour dire à ses supporters qu’il
approuvait et soutenait, sans réserve,
la loi sur le boycott. Mais après
l’éditorial du New York Times,
quand la résolution sur la commission
d’enquête a été présentée, Netanyahu et
tous les ministres de son cabinet ont
voté contre. Les factions religieuses
ont disparu de la Knesset. La résolution
a été rejetée par une majorité des deux
tiers.
Mais la sinistre réalité est qu’à part
Netanyahu et ses ministres captifs, tous
les membres de sa formation politique
(le Likoud) présents ont voté en faveur
de la résolution, y compris tous les
jeunes leaders du parti, la future
génération de patrons du parti. Si le
Likoud reste au pouvoir, ce groupe
d’extrémistes de droite sera le
gouvernement d’Israël dans les dix ans
qui viennent. Et le New York Times
pourra aller au diable.
Heureusement, il y a des signes que
quelque chose de nouveau se prépare. Des
manifestants ont planté leurs tentes
dans le centre de Tel Aviv et y vivent
depuis plus de deux semaines. Peu après,
des campements similaires se sont
installés partout dans le pays, de
Kiryat Shmona à la frontière libanaise,
à Beer Sheva dans le Negev. Il est
beaucoup trop tôt pour dire si c’est une
protestation ponctuelle ou le début
israélien du phénomène de la place
Tahrir. Mais cela montre clairement que
la prise du pouvoir en Israël par un
groupe de néo-fascistes n’est pas encore
une chose acquise. La lutte a commencé.
Alors, peut-être, le New York Times
pourrait se mettre à dire la vérité sur
ce qui se passe dans ce pays…
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