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IRIS

Pakistan : une tragédie de plus, un assassinat de trop
Olivier Guillard


Olivier Guillard - Photo IRIS

IRIS, 2 janvier 2008  

Au tournant d’une année 2007 d’une densité particulière, (trop) riche en évènements – généralement de mauvaise facture --, il ne fallait pas être grand clerc pour anticiper, à quelques jours d’un scrutin capital, une énième tragédie déstabilisant plus encore un pays tourmenté déjà si près du gouffre. A moins naturellement qu’il n’y fut déjà…

Deux mois après le plus sanglant attentat de son histoire (Karachi ; 150 victimes) – une action déjà dirigée contre Benazir Bhutto, égérie du renouveau politique --, le fléau terroriste a une nouvelle fois sévi. A Rawalpindi, à quelques kilomètres du siège du pouvoir politique, Islamabad ; à quelques encablures du quartier général de la puissante Pakistan Army et de ses redoutés services de renseignement (ISI). Tout un symbole.

Dans une action combinée qui ne laissait pas la moindre chance à sa cible – utilisation à bout portant d’une arme à feu, suivi d’un attentat-suicide par explosion dans un périmètre proche --, Benazir Bhutto, alors en campagne, perdait la vie, deux mois après son retour d’exil ; une rentrée qui soulevait autant d’espoir auprès du peuple que d’appréhension chez ses détracteurs. Trois décennies après la disparition brutale de son père, le 1er Ministre Zulfikar Ali Bhutto, démis, arrêté puis pendu par les militaires, la dynastie Bhutto perdait à nouveau un de ses membres, tout entière dévouée à sa passion.

Mais, au Pakistan comme ailleurs, on n’est fait que de chair et de sang -- un sang qui coule abondamment du reste -- … et une importante échéance électorale se dessine, là, si proche : même si ces prochaines élections, prévues le 8 janvier, auront finalement lieu à la mi-février, il convient de battre le fer pendant qu’il est chaud ; fut-ce en période de deuil.

Aussi, dans un scénario qui en dit long sur la main mise dynastique dans la région (Inde, Bangladesh et Sri Lanka), la famille Bhutto et son influent parti, le Pakistan People Party (PPP), ont vite relevé la tête et fait montre d’un pragmatisme qui ne forcera pas l’admiration de tous. En élevant Bilawal Bhutto Zarwari, fils aîné de la défunte, au rang de Président du PPP, son père Asif Ali Zarwari à la vice-présidence, en décidant de prendre part au prochain scrutin (alors que l’hypothèse du boycott trouvait d’importants relais dans l’opinion), le camp de la disparue s’est en un clin d’oeil remis en ordre de bataille, laissant aux sympathisants meurtris le soin de pleurer leur passionaria. Visiblement, les sondages d’opinion (plus encore favorables au PPP depuis ce veule homicide) ont des impératifs que la mélancolie ignore.

Ainsi, il revient à un jeune étudiant en histoire et sciences politiques de 19 ans, inscrit à Oxford (comme le fut en son temps son illustre grand-père, Zulfikar), de reprendre le flambeau politique familial et d’associer son destin personnel au cour tumultueux du pays ; en vérité, plus un fardeau qu’un flambeau. Parce que ce nouveau venu, dont s’esquisse la finesse des traits de sa mère sur son juvénile visage, n’est pas encore à même d’assumer la gestion du PPP, de s’investir dans le jeu complexe des intrigues politiques, son père, le sulfureux Asif Ali Zarwari, assurera la régence, en ses qualités complémentaires d’époux de la défunte et de (trop ?) fin connaisseur des arcanes du pouvoir. Un choix discutable quand on connaît l’estime que lui porte le citoyen pakistanais et la liste des affaires (influence, corruption, prise d’intérêt, etc.) où ce dernier s’est retrouvé – à tort ou à raison – impliqué. Ses onze années passées derrière les barreaux et les chemins de l’exil (dans un confort tout sauf spartiate, dont New York ces trois dernières années...) n’auront pas réussi à lui redonner une improbable virginité…

Reste la question de l’identité des auteurs de l’assassinat, et, par-delà, de leur(s) commanditaire(s). Nul doute que la charismatique Benazir, femme de conviction, portée jusqu’à son dernier souffle par une ferveur populaire et une indiscutable aura en Occident, ne suggérait pas qu’admiration et déférence ; établie de longue date, la liste de ses ennemis s’était étoffée ces derniers mois. Adepte d’une approche gouvernementale moins conciliante à l’endroit des fondamentalistes, terroristes et autres éléments discutant l’autorité de l’état, la dame de fer du Sindh paya le prix de sa popularité grandissante et, dès lors, de ses chances de recouvrer une 3eme fois les fonctions de chef de gouvernement. Une perspective intolérable pour beaucoup ; à commencer par le Président Musharraf, lequel -- dépossédé à contre-cœur quelques jours plus tôt de ses attributions militaires -- n’accepta la perspective d’une possible cohabitation avec la fille de Zulfikar que contraint et forcé par Washington, son principal soutien extérieur.

Alors qu’Islamabad pointe le doigt vers Al-Qaeda et ses connexions talibanes, sises en zones tribales (Waziristan), – une hypothèse certes crédible, mais un peu courte --, il serait terriblement osé compter la Présidence au rang des possibles instigateurs de cette odieuse action. Cela ne saurait se concevoir si brutalement.

Cependant, comment interpréter alors l’évidente légèreté des dispositifs de sécurité mis en place lors de l’ultime intervention publique de Benazir ? Deux mois après Karachi, les cercles du pouvoir n’ignoraient rien des menaces, crédibles et renouvelées, pesant sur elle. Et pourtant… Diffusées sur une chaîne télévisée nationale, les images montrant la présence du binôme d’assassin quelques mètres à peine en retrait du leader du PPP, démontrent combien l’optimum des procédures de sécurité, ô combien nécessaires et légitimes, n’avait pas été retenu. Une négligence – sinistre euphémisme – qui coûta la vie à une vingtaine de victimes innocentes. Une fois encore.

Monsieur le Président, alors que votre légitimité politique confine avec les abysses de l’impopularité, que les chefs de l’opposition craignent chaque jour pour leur vie (quand ils ne la perdent pas), qu’Al-Qaeda et les talibans vous défient jusque sous vos fenêtres (cf. épisode de la Mosquée Rouge, Islamabad, juillet 2007 ; vallée de Swat) et, eu égard aux récents (et futurs, tout aussi sûrement) débordements de violence, qu’une énième loi martiale fait à présent plus de sens que la tenue d’élections législatives « libres et honnêtes » (un concept du reste bien flou dans votre pays), par quel miracle, quel tour, parvenez-vous encore à garder votre superbe ? Après avoir remisé vos habits militaires, le temps est peut-être venu d’y associer enfin vos costumes présidentiels.

Olivier Guillard, Directeur de recherche à l'IRIS



Source : IRIS
http://www.iris-france.org/...


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