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Opinion
« Les abrutis engendrent des
insectes »
Nurit Peled-Elhanan
Nurit Peled-Elhanan
Mardi 30 mars 2010
En mémoire de quatre jeunes Palestiniens tués cette
semaine : Muhamad Awarta, Salekh Kwrick, Muhamad et Usaid Kadus.
Ici, en Israël, la façon dont nous traitons
les enfants palestiniens a longtemps été guidée par l’adage :
« Les abrutis engendrent des insectes ». Certains le disent
ouvertement, d’autres partagent ce point de vue en silence. Il
n’y a pas de mois sans que plusieurs enfants palestiniens soient
tués sous des prétextes douteux, que personne ne comprend,
jusqu’à ce qu’un journaliste suédois essaie de deviner et que
toute la grosse artillerie soit déployée pour le faire taire. La
plupart du temps les Autorités d’Occupation s’arrangent pour
falsifier l’âge des petites victimes et pour leur prêter des
intentions criminelles ou subversives et quand rien de tout cela
ne marche, ils s’excusent eux-mêmes comme des joueurs de
ping-pong en disant « Oh, désolé ! ». Et cette fois encore, les
experts en meurtres de l’Armée israélienne ont dit : « Peut-être
que ça aurait pu être arrangé autrement ! »
Peut-être !! En vérité ! Dans la presse
israélienne les enfants palestiniens sont toujours décrits comme
une terrifiante menace surgissant de toutes parts : d’en-haut,
d’en bas, ou en face des soldats qui tirent , lesquels soldats,
ne l’oublions pas sont armés des pieds à la tête comme des
« robocops », mais sont décrits dans les rapports de presse
comme des jeunes perdus, frappés de terreur lorsqu’ils sont
confrontés à des enfants en T-shirts en route pour le travail
des champs avec leur binette, ou font face à des enfants qui les
attaquent avec des frondes, Goliath hurlants confrontés à des
David fluets , agiles et inébranlables qui obstinément insistent
pour continuer à vivre en dépit de ce que nous leur avons déjà
expliqué des milliers de fois.
La fumée flottant au-dessus de Gaza massacrée
et ensanglantée n’est pas encore dispersée et les voilà de
nouveau sortant pour le combat. De nouveau ils attaquent ou
veulent attaquer ou rêvent d’attaquer ou semblent attaquer quand
ils lèvent une fourche pour faire les foins ou simplement
énervent nos soldats par leur présence même. Nos soldats,
héroïques, adultes, responsables, qui déambulent avec des armes
effrayantes dans les rues de la ville et tous les lieux publics
sont décrits dans les communiqués de presse qui rapportent les
meurtres comme manquant de jugement, glacés d’épouvante,ou comme
des meurtriers sans cœur, sans conscience et sans intelligence
qui ne savent pas comment expliquer et ne jugent pas que ce soit
nécessaire, et qui ne savent pas quoi faire, en bref qui ne
savent pas.
Comme dans le film « Valse avec Bachir » ,
comme dans le film « Juste pour voir si je souris » comme dans
les innombrables témoignages de soldats traumatisés , ils se
demandent juste ce qu’ils sont venus faire là. Ils m’ont posté
là, alors j’ai tiré, alors j’ai bombardé, alors je les ai
fouillés, alors j’ai cassé les manifestations, alors j’ai obéi,
alors j’ai tué. Parce que j’avais peur, j’avais terriblement
peur, de loin on avait l’impression qu’ils tenaient des pierres,
des frondes, des fourches ou quelque chose comme ça comment
pourriez-vous savoir, comment pourriez-vous voir avec ce casque
qui vous tombe sur les yeux, avec la sueur qui vous coule dans
les yeux, mais je ne suis pas coupable, parce que… pourquoi
m’ont-ils posté là ? ??
Et les enfants morts
dont le sang irrigue les champs ? Dont le sang crie depuis la
profondeur de la glaise ? Dont les cris de mort ne seront pas
étouffés par un millier de colonies, en l’honneur de qui on ne
déplacera pas le moindre projet immobilier mais il est presque
sûr que leurs corps seront recouverts de vastes immeubles
destinés à des colons qui ne veulent rien connaître de leur
histoire mais qui chanteront et danseront sur leur sang encore
et encore pour tenter de le faire taire. Seuls ces enfants morts
qui sont allés rejoindre ma propre petite fille dans ce Royaume
souterrain des enfants morts sur lequel ce pays du béton se
construit sans arrêt, eux seuls savent que Satan n’a pas encore
créé la vengeance pour le sang d’un petit enfant [1].
Eux seuls savent que toutes les danses et les chants, que les
marches et les drapeaux, les tanks et les bulldozers et les lois
racistes et liberticides qui apparaissent chaque jour
subrepticement , ne laveront pas le sang que nous avons sur les
mains, le sang des enfants bruns en T-shirts, presque morts de
faim qui se lèvent chaque matin en quête de travail, en quête de
leur pain quotidien, en quête d’un peu de dignité sans jamais
renoncer. C’est leur vengeance. Que leur mémoire soit bénie.
Traduit de l’Anglais par Roseline Derrien
[1]
« Une telle vengeance, la vengeance pour le sang d’un petit
enfant / Satan ne l’a pas encore créée » du poème « Sur le
Massacre » composé par le poète Hébreu Haïm Nahman Bialik pour
commémorer les victimes du pogrom de Kishinev en 1903.
Nurit Peled-Elhanan a reçu le
prix Sakharov du Parlement européen en 2001 pour ses plaidoyers
en faveur de la paix au Moyen-Orient. Elle a perdu sa fille, le
4 septembre 1997, lors d’un attentat suicide. Elle est
professeur de littérature et de sciences de l’éducation à
l’université hébraïque de Jérusalem.
Les discours et analyses de Nurit Peled Elhanan
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