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Discours à la marche de protestation
Un an après la guerre de Gaza
Nurit Peled-Elhanan
Nurit Peled-Elhanan
Tel Aviv, le 2 janvier 2010
Bonsoir à vous tous qui êtes venus pour marquer le premier
anniversaire du carnage à Gaza et pour protester contre
l’autosatisfaction confortable dont font preuve les habitants de
cette ville et de ce pays face à la lente annihilation qui va
sans cesse croissant à Gaza comme dans toute la Palestine.
Aurait-on posé aux enfants israéliens des écoles maternelles la
question : » Qu’as-tu appris à l’école cette année mon cher
petit garçon ? que beaucoup de réponses différentes auraient pu
être données. Un enfant éclairé et à l’esprit critique aurait pu
répondre : j’ai appris que le soleil brille toujours, que
l’amandier fleurit et que les bouchers tuent, et aucun juge le
condamne. (1)
Et l’enfant qui est moins habitué à théoriser aurait pu se
réjouir en disant : j’ai appris comment berner les Américains,
décevoir les Palestiniens, tuer des Arabes, expulser des
familles de leurs maisons et maudire quiconque me dit que je
suis un sale morveux quand j’ai été un sale morveux et j’ai
appris que le peuple juif est vivant et que Gilad Shalit est
vivant lui aussi. Encore. (2)
Et le nouveau petit immigrant à qui il tarde terriblement d’être
intégré et de faire partie de la société pourrait dire : J’ai
appris qui détester, j’ai appris qui doit être tué et sur qui je
peux cracher et je suis toujours prêt pour ce boulot quelque
soit le moment où vous m’appellerez.
Un enfant sioniste-religieux qui va dans un jardin d’enfants
entouré d’une clôture et bien gardé dans une colonie pourrait
dire : J’ai appris à être un bon Sioniste , à aimer la Terre , à
mourir et à tuer pour sa sauvegarde, à en expulser les
envahisseurs, à tuer leurs enfants, à détruire leurs maisons et
à ne jamais oublier qu’à toutes les générations et à chacune
d’entre elles des persécuteurs se lèveront pour nous annihiler
et que tous les non- juifs sont les mêmes, qu’ils sont tous des
antisémites qui doivent être supprimés. Et le plus important est
que le soleil continue à briller que l’amandier continue à
fleurir et bientôt, nous irons faire des plantations sur toutes
les montagnes de Judée et de Samarie et nous garderons bien les
jeunes arbres contre ces hordes de bergers qui ont envahi notre
pays pendant les 2000 ans où nous n’avons pas été là pour
veiller sur lui.
Cette année nos enfants ont appris que tuer un non-juif, quel
que soit son âge, est un grand commandement. Et cela, ils ne
l’ont pas seulement appris des rabbins, mais aussi des soldats
qui sans cesse fanfaronnent à propos de ce qu’ils ont fait. Et
cela été bien exprimé par Damian Kirilik quand la police l’a
arrêté et accusé du meurtre de toute la famille Oshrenko. (3)
. Presque tranquillement il a demandé aux enquêteurs de la
police : pourquoi faites-vous tant d’histoire pour le meurtre
d’enfants ? Damian Kirilik est un nouvel immigrant qui ne
comprend pas les nuances sophistiquées des enseignements des
rabbins pour tuer les enfants non-juifs. Mais cet assassin du
dehors a vite compris l’idée générale, c’est qu’il est arrivé
dans un endroit où le meurtre des enfants est pris avec beaucoup
de légèreté.
Nos enfants ont appris cette année que tous les qualificatifs
dégradants que les antisémites attribuent aux Juifs sont
aujourd’hui manifestes parmi nos leaders : fraude et duperie,
cupidité et meurtres d’enfants. Au moment où il est accusé de
trafic d’organes transplantés le gouvernement d’Israël
imperturbable s’engage dans le trafic d’êtres humains tout
entiers, pour le moment. On peut prévoir pour bientôt, et pour
de nombreuses années , alors que de nombreuses voitures arborent
l’auto-collant : «Gilad, né pour être libre » (4)que les
capitaines de ce bateau –pirate qui est Israël , continueront
leurs machinations et marchanderont encore pour savoir combien
de kilos de chair juive, probablement rétrécie, peut être
commercialisée contre combien de chair Palestinienne, qui n’est
sans doute plus ce qu’elle était, comme nous l’avons appris dans
les informations à propos des vols de peau et de cornée au
Centre Forensic d' Abu Kabir. (5) .
Et ils continueront de tuer au nom de Gilad et d’affamer et
d’étrangler au nom de Gilad pour annihiler le peuple palestinien
lentement mais sûrement et par la même occasion ils vont
encourager les « mauvaises herbes » palestiniennes qui toujours
légitiment la poursuite des assassinats.
Comme dans toute société pourrie et corrompue le mot «valeurs »
ressurgit encore et encore dans chaque discours de chaque
politicien spécialement de ceux qui sont inculpés. Les valeurs
du Sionisme, et les valeurs du Judaïsme et les valeurs de
l’Armée Israélienne. Les valeurs du Sionisme ont bien été
remarquées cette année dans leur pleine gloire à l’occasion de
l’expulsion des familles de leurs maisons à Sheikh Jarrah. Les
valeurs de la Démocratie et la force du Droit s’expriment
pleinement pour les Palestiniens qui sont suspectés d’actes
violents et sont assassinés sans autre forme de procès dans
leurs maisons en présence de leurs enfants pendant que des
terroristes Juifs jouissent d’une complète impunité face au
système judiciaire.
C’est cela que nos enfants apprennent dans l’Etat juif
démocratique. Donc, on peut s’étonner du choc supposé exprimé
face à la violence dans les écoles et les discothèques, dans les
rues et sur les routes. Après tout cette violence n’est rien
d’autre que la mise en pratique des valeurs de l’armée, un cours
d’entrainement de base pour les activités et les opérations qui
sont à l’horizon pour ces jeunes. C’est l’occasion qu’ont ces
jeunes de montrer ce qu’ils ont appris de leurs parents et de
leurs grands frères, de leurs professeurs et de leurs guides. Le
seul problème qui apparemment perturbe les autorités, tant
celles de l’éducation que celles du maintien de l’ordre est
qu’il n’y a pas de Palestiniens dans les écoles juives et dans
les discothèques juives et dans les rues juives. A cause de ce
manque, les jeunes Juifs dirigent leur violence les uns contre
les autres et cela ne devrait pas arriver, un Juif ne devrait
pas blesser un autre Juif. La violence devrait être canalisée et
régulée, guidée par l’obéissance aveugle aux lois raciales et
dirigée seulement et exclusivement à l’encontre de ceux qui ne
sont pas Juifs.
Et nous qui manifestons chaque semaine, chaque mois, à chaque
carnage et à chaque anniversaire de chaque carnage, quelle est
notre force ? Aucune. Le deuil et l’échec sont notre lot dans ce
pays. Jeudi dernier, nous sommes restés aux portes de Gaza,
disciplinés et obéissants aux conditions des autorisations de la
police, heureux de nous voir les uns les autres et de constater
que nous sommes vivants et scandant d’une voix forte des slogans
devant un parterre de policiers et de soldats semblables à des
robots , complètement incapables de comprendre ce que nous
étions en train de dire. Mais nous n’avons pas fait tomber le
Mur. Nous n’avons pas réussi à sauver ne serait-ce qu’un seul
enfant de l’épidémie de méningite qui infeste Gaza depuis
plusieurs mois.
Que pouvons-nous faire avec notre impuissance et nos échecs ?
Que pouvons-nous faire dans un système éducatif qui demande à
ses diplômés une identification absolue avec les combattants de
la guérilla juive qui furent exécutés avant 1848 par les
Britanniques sous l’inculpation de « Terrorisme » et au même
moment une identification totale à leurs bourreaux ? De
s’identifier aux victimes d’Auschwitz et en même temps de se
comporter avec une indifférence cruelle envers la souffrance de
quiconque n’appartient pas à notre race ? Qu’est-ce que les
militants de Paix peuvent bien faire dans un pays dirigé par
l’armée dont les écoles sont infestées de criminels de guerre
venant injecter leur enseignement et où les élèves sont obligés
d’expérimenter une semaine prémilitaire de « Gadna » ( brigades
de jeunes) et d’écouter les récits héroïques des criminels du
carnage de Gaza et pour qui toutes les possibilités offertes
qu’elles soient psychologiques, sociales ou éducatives ont pour
but de faire d’eux des rouages de la machine à tuer ?
Ce sont nos propres fils et nos propres filles – et nous n’avons
aucun accès au système qui dirige leurs vies. Où est l’espace
qui nous est laissé pour instiller en eux une ou deux de nos
propres valeurs ? Quelles valeurs de beauté et de bonté
pouvons–nous glisser dans un tel appareil sophistiqué de lavage
de cerveaux et de distorsion du réel ?
Il semble que la seule valeur que nous ayons encore le pouvoir
d’instiller et qui ait encore du sens est la valeur du refus.
Apprendre à dire non. Enseigner à nos enfants qui n’ont pas
encore été empoisonnés à résister au lavage de cerveaux, à
rejeter les virus qui sont injectés dans leurs esprits. C’est
une tâche dure, une tâche de Sisyphe, mais le seul chemin pour
réaffirmer notre humanité. Dire non au mal, non à la duplicité,
non à la tromperie, non au trafic d’êtres humains, non au
racisme qui se répand ici comme un incendie sauvage, un racisme
qui ne s’arrête ni au checkpoint de Kalandia ni au checkpoint d’Erez
mais qui s’étend comme un cancer jusqu’aux centres honteux
d’absorption des immigrants , aux écoles qui proclament
l’intégration et pratiquent la ségrégation, à toutes les
cultures et à toutes les croyances dans ce pays. Si nous
n’apprenons pas à refuser et à rejeter le mal, les lois et les
contraintes du mal, nous nous retrouverons nous rejetant et nous
refusant nous-mêmes et notre vérité intérieure la plus
essentielle. Nous devons refuser de sentir part d’une minorité
disparue, refuser la peur, l’appréhension et l’aliénation qui
nous sont imposées, refuser d’en être complices.
Seul le refus peut sauver de la capitulation, de la faillite, du
désespoir. Nous sommes ici aujourd’hui comme des étrangers,
comme une minorité d’étrangers haïs et persécutés. Mais,
ensemble, avec nos amis qui cherchent la Paix de l’autre côté du
Mur, de l’autre côté des barrières de barbelés, nous pouvons
devenir une majorité. Seul le refus de capituler devant les murs
et les checkpoints peut ouvrir les portes de notre ghetto afin
que nous puissions jeter à bas les murs de leurs ghettos. Pour
voir enfin qu’il y a un monde extérieur, qu’il y a des régions
tout autour que le Fond National Juif n’a pas détruits, qu’il y
a une culture et qu’il y a des peuples et que ça vaut la peine
de les rencontrer de les connaître et d’en faire des amis ,
d’apprendre d’eux des choses sur ce pays où nous vivons comme
des étrangers résidents et nous rappeler que cette terre peut
être une terre d’une beauté sans égale. (7)
Notes :
(1) : Une référence au poème célèbre de
Bialik sur le Pogrom de Kishinev en1903 .
(2) : « AM YISRAEL HAI », « le peuple juif vit » une parole
traditionnelle souvent utilisée dans un contexte nationaliste.
(3) :
http://www.jpost.com/servlet/Satellit ...
name=JPArticle%2FShowFull
(4) Le slogan « Ron Arad, né pour être libre » se réfère au
pilote israélien Ron Arad. Pour sa libération le gouvernement
israélien refusa de libérer des prisonniers Palestiniens et
Libanais et qui est considéré comme étant définitivement perdu.
(5) voir :
http://www.guardian.co.uk/world/2009/ ...
ologists-harvested-organs
(6) Les leaders des colonies se dissocient des actes d’extrême
violence envers les Palestiniens en définissant ceux qui les
perpétuent comme « les mauvaises herbes de notre jardin »
(7) Le terme Hébreu utilisé « Yefe Nof » est tiré du poème de
nostalgie envers Jérusalem écrit par le poète médiéval espagnol
Yehuda Halévy : « O séjour de beauté sans égale/ joie de la
terre entière »
Traduit par Roseline Derrien
Nurit Peled-Elhanan a reçu le prix Sakharov du
Parlement européen en 2001 pour ses plaidoyers en faveur de la
paix au Moyen-Orient. Elle a perdu sa fille, le 4 septembre
1997, lors d’un attentat suicide. Elle est professeur de
littérature et de sciences de l’éducation à l’université
hébraïque de Jérusalem.
Les discours et analyses de Nurit Peled Elhanan
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