Oumma.com
Commentaires sur l'affaire du sous-préfet
limogé
Nidal
Mardi 25 mars 2008
Nous publions cette analyse très documentée sur
l'affaire du limogeage du sous-préfet Bruno Guigue. L’auteur
revient sur le contexte particulier de l'affaire et sur la
campagne médiatique actuelle des défenseurs acharnés d’Israël.
Très intéressant aussi est le rappel de la défense menée par
certains intellectuels (ceux-là même qui fustigent Bruno Guigue
aujourd'hui !) lesquels considéraient que Redeker n'était pas
tenu de respecter un quelconque "droit de réserve" au prétexte
qu’il s’exprimait dans un article de presse...qu’il signait
pourtant en sa qualité d’enseignant. Sans parler du contenu
injurieux de sa prose qui, incontestablement pouvait constituer
un motif de trouble à l’ordre public (rappelons que, comme nous
le disions dans un précédent article, cela concerne l’un des
motifs retenus par l’article 10.2 de la CEDH) surtout dans le
contexte hypersensible du monde scolaire. Rappelons que Redeker
s’il n’a pas été sanctionné…a été promu.
Vu à la télé et lu sur le Net : « Le sous-préfet de Saintes
limogé après un article "anti-israélien" ». Et, évidemment, un
très obscur « Bureau national de vigilance contre
l’antisémitisme a salué dimanche la décision de la ministre de
l’Intérieur ».
Comme, à coup sûr, on va se focaliser sur d’autres sujets que
ceux qui pourraient être intéressants, je vous livre quelques
commentaires. Pas vraiment structurés, je manque toujours
cruellement de temps.
Il est fait mention d’« un » article du sous-préfet Bruno Guigue
sur le site Oumma.com, et deux phrases sont mises en vedette
pour justifier le limogeage : « le seul État au monde dont les
snipers abattent des fillettes à la sortie des écoles » et les
« geôles israéliennes, où grâce à la loi religieuse, on
s’interrompt de torturer pendant Shabbat ». L’article en
question est intitulé « Quand le lobby pro-israélien se déchaîne
contre l’ONU ».
Aucun journaliste ne va évidemment lire ce long texte, on se
contentera des deux phrases provocatrices (d’ailleurs, on ne se
demandera pas beaucoup plus en quoi elles seraient infondées).
De l’autre côté, on se laissera entraîner sur la « défense » de
la liberté d’expression, manière de se faire promener en dehors
des sujets sur lesquels on aurait pourtant quelques chances de
pouvoir influer. Oumma publie d’ailleurs un communiqué
ultra-convenu et, à mon avis, à côté de la plaque : « Silence
dans les rangs » :
La sanction qui le frappe nous montre à l’envi que l’usage d’une
saine critique ne peut s’exercer équitablement en France. En
effet, si chacun a le loisir aujourd’hui dans notre pays,
fonctionnaire ou pas, de critiquer, condamner, dénoncer à peu
près n’importe quel Etat, n’importe quelle religion, n’importe
quelle personnalité, il existe une exception à cette règle et
notre ami Bruno Guigue, que nous assurons de notre total
soutien, est puni pour avoir cru à l’existence d’une véritable
et totale liberté d’expression au pays des Droits de l’Homme.
Les articles de presse rappellent que Bruno Guigue écrit des
articles sur Oumma depuis longtemps (deux ans semble-t-il) et a
publié plusieurs livres à L’Harmattan. Il me semblerait donc
légitime de se demander : pourquoi maintenant ?
Piste 1 : Israël lance sa campagne contre Durban 2
Le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU organise en 2009 une
seconde conférence mondiale contre le racisme à Durban, après
celle de 2001, dénoncée par Israël et les États-Unis comme un
« cirque » antisémite et anti-israélien.
Au mois de février 2008, les milieux sionistes se passionnent
pour la préparation de cette conférence (alors que le sujet ne
passionne tout de même pas les foules) : il faut délégitimer la
conférence de manière préventive.
Anecdotique
(et presque rigolo) : le 23 février, un certain Oxyweb complète
la fiche Wikipédia concernant la première conférence de Durban
1. Il écrit :
Il est fort à craindre que la conférence dite "Durban 2"
présidée par la Libye soit a nouveau l’occasion d’une rencontre
entre dirigeants racistes et antisémites d’afrique et du monde
arabe.
Subtil, n’est-ce pas ? Mais
la liste des contributions de cet « Oxyweb »
à Wikipedia est éclairante. Vraiment, très éclairante.
Deux
jours plus tard, le 25 février, Marc Knobel, activiste
multi-carte, publie
une tribune sur le site du « Centre des
Affaires publiques et de l’État » de Jérusalem. Il raconte la
décision du Canada de se retirer des préparatifs de Durban 2, et
espère :
Le Canada montre l’exemple et l’Union européenne, prochainement
présidée par la France, devrait entendre le message qui est
délivré par ce pays ami.
Deux
jours après, le 27 février, de joyeux intellectuels publient une
tribune dans Le Monde dénonçant « L’ONU contre les droits de
l’homme ». Dès le deuxième paragraphe il est fait mention de
Durban 1, les suivants dénoncent le fameux « Conseil des droits
de l’homme » organisateur de l’événement. On est en terrain
connu, donc. Parmi les signataires : Pascal Bruckner, Alain
Finkielkraut, Claude Lanzmann, Elie Wiesel, Pierre-André
Taguieff, Frédéric Encel...
Je ne parlerai évidemment pas de mouvement concerté (je me
ferais taxer de conspirationnisme), je me contente de constater
que, dans cette semaine de février 2008, la dénonciation de la
prochaine conférence de Durban, en 2009, passionne les foules...
C’est
exactement à cette dernière « tribune » que répond l’article de
Bruno Guigue sur Oumma : un long argumentaire démontant le texte
publié par Le Monde.
Je vous fais le pari que, dans les prochains mois, la
communication de crise visant à décrédibiliser la conférence de
Durban sera massive. Avec la présidence française de l’Union (à
partir de juillet), on peut craindre des pressions pour que les
pays européens se retirent de la conférence.
Bref, il y a là un axe très spécifique de la communication
israélienne. Bruno Guigue s’est trouvé sur le chemin d’un des
budgets-comm des services israéliens. De manière très
caractéristique, cette communication démarre très en amont, sur
un sujet totalement anodin à l’heure actuelle (personne d’autre
que les mouvements sionistes ne se passionne pour cette
conférence autant de temps à l’avance), et ce faisant parviendra
à décrédibiliser l’événement avant même qu’il n’intéresse les
médias.
Un mouvement similaire a eu lieu pour le boycott du Salon du
livre à Paris. Question qui n’a eu aucun écho médiatique, sauf
une « préparation » en amont, contre le boycott. Le 16 février,
au sujet du boycott du salon de Turin, Marek Halter titre sa
tribune du Monde : « Au secours, on brûle les livres ! ».
L’article est halluciné, ce qui fait que, certes, on brûle les
livres, mais TF1 n’en fait pas la Une du lendemain. Le 13 mars,
journée de l’inauguration, tout est prêt pour le Monde, qui fait
soudain du sujet que tout le monde ignorait le thème de son
éditorial, « Le Salon en otage » (l’appel au boycott est
qualifié de « fatwa » : « Boycotter les livres, voire récuser
une langue, a toujours été l’arme des dictatures. »), et
complète avec un article pathétique de Caroline Fourest,
« Israël, le boycottage et la raison » (ne pas aller au Salon du
Livre « rappelle le temps où l’on brûlait des livres et des
juifs après les avoir boycottés »).
Le soir même, inaugurant le Salon, Shimon Peres, sans
concertation aucune avec ce vaste mouvement d’indignation
international contre le boycott, a
ce commentaire totalement
original : « Ceux qui veulent brûler les livres, boycotter la
sagesse, empêcher la réflexion, bloquer la liberté se condamnent
eux-mêmes à être aveugles, à perdre la liberté ». Ce qui
s’appelle une communication parfaitement maîtrisée.
Piste 2 : mise au pas de l’exécutif
Bien que perçu ou présenté comme un corps politique homogène
(« le gouvernement »), l’exécutif français est en réalité une
énorme machinerie humaine (en d’autres termes : un
administration).
L’arrivée d’un nouveau gouvernement doit être, pour lui, une
expérience frustrante : bien que contrôlant théoriquement
l’exécutif, il se heurte en fait immédiatement à la pesanteur
humaine et politique de cette machinerie.
Disons-là tout net : un exécutif hystériquement pro-israélien
aura le sentiment de se heurter à une adminiration moins...
convaincue. Sans doute pas totalement à tort (un Hubert Védrine
aurait-il plus d’influence sur le Quai d’Orsay que le ministre
en place ?) ; mais la « politique arabe » de la France relève
pour beaucoup du fantasme (voir
René Naba).
Toujours est-il que, comme le mythologique « biais » des médias
mondiaux en leur défaveur, l’orientation « pro-arabe » de
l’administration française est au cour des préoccupations des
agitateurs pro-israéliens.
Février
2008 (toujours !),
Marc Knobel dénonce un entrefilet du Canard
enchaîné qui raconte qu’un « coup de balai » va avoir lieu au
Quai d’Orsay. Knobel défend la nomination de François Zimeray,
« classé "pro israélien en diable" par ses camarades
socialistes » à la place de Michel Doucin (dont il n’est pas
rappelé qu’il est tombé en disgrâce pour avoir abordé un autre
thème interdit dans l’exécutif français : la « Françafrique »).
Automne
2006, Dominique Strauss-Kahn (actuel directeur général du FMI
proposé par Nicolas Sarkozy) donne une interview à la
revue
néo-conservatrice Le Meilleur des mondes :
Sur la politique arabe de la France. « Une supercherie que le
Quai d’Orsay réussit à vendre depuis des décennies à l’ensemble
de la classe politique. »
Pour le ministre des Affaires étrangères, le « Quai d’Orsay »
sera donc doté d’une grande autonomie et d’une volonté propre,
au point de pouvoir « vendre » la politique arabe à l’ensemble
de la classe politique.
Le 16 mai 2007, le Canard enchaîné publie une info faisant état
des pressions du CRIF contre l’éventuel choix de Hubert Védrine
comme ministre des Affaires étrangères (terreur du Jerusalem
Post) :
Dès que les dirigeants du Crif (Conseil représentatif des
institutions juives de France) ont appris ce projet du nouveau
chef de l’Etat, Roger Cukierman, président sortant du Crif, a
appelé au téléphone Claude Guéant pour une violente mise en
garde.
« On a eu une réunion au Crif, aujourd’hui, et la rumeur d’une
nomination de Védrine aux affaires étrangères a circulé. Cela a
provoqué la panique parce que, pour nous, Védrine est pire que
les anti-israéliens habituels du Quai d’Orsay. »
En
janvier 2006, le CRIF annonçait sur son site la position de
François Hollande - propos ensuite
démentis par l’intéressé :
Il a ainsi estimé, rapporte le CRIF, « qu’il y a une tendance
qui remonte à loin, ce que l’on appelle la politique arabe de la
France et il n’est pas admissible qu’une administration ait une
idéologie ». Il a ajouté qu’il y a un « problème de recrutement
au Quai d’Orsay et à l’ENA » et que le recrutement « devrait
être réorganisé ».
À défaut de préoccuper François Hollande, au moins le « problème
de recrutement » préoccupe-t-il le CRIF...
Bref,
y a-t-il actuellement une tentative de mise au pas de
l’exécutif, via l’intimidation d’anciens énarques trop
« politisés » et la nomination de « pro-israéliens en diable »
au Quai d’Orsay ? Ce qui répondrait, en tout cas, à l’un des
fantasmes habituels du lobby pro-israélien.
Devoir de réserve
[Ajout du lundi de Pâques.] Ces considérations circulent
beaucoup sur le Web, je crois intéressant de les mettre au
propre. Encore une fois, penser l’affaire uniquement sous
l’angle de la liberté d’expression (ou la censure des critiques
d’Israël) et du thème « Deux poids deux mesures » ne me semble
pas tellement passionnant : surjouer la surprise outragée
(« Comment !? Critiquer publiquement Israël n’est pas une
situation confortable au pays des Droits de l’Homme ? Mais vous
me l’apprenez, monsieur, vous me l’apprenez... ») ne nous mènera
pas bien loin. Je note donc ce qui suit, essentiellement pour
évacuer cette question du « devoir de réserve ».
Qui a écrit :
a « L’islam essaie d’imposer à l’Europe ses
règles : ouverture des piscines à certaines heures exclusivement
aux femmes, interdiction de caricaturer cette religion, exigence
d’un traitement diététique particulier des enfants musulmans
dans les cantines, combat pour le port du voile à l’école,
accusation d’islamophobie contre les esprits libres. Comment
expliquer l’interdiction du string à Paris-Plages, cet été ? » ;
b.. « Haine et violence habitent le livre dans lequel tout
musulman est éduqué, le Coran » ; c.. « Exaltation de la
violence : chef de guerre impitoyable, pillard, massacreur de
juifs et polygame, tel se révèle Mahomet à travers le Coran. » ;
d.. « Et que au contraire, si l’histoire du christianisme est
entachée de violence, c’est quand les chrétiens s’éloignent de
l’enseignement de leur messie, Jésus Christ ».
Il s’agit d’extraits du célèbre
pamphlet de Robert Redeker
publié dans le Figaro du 19 septembre 2006. Alors professeur de
philosophie, l’auteur n’est pas « limogé ». Pourtant, insulter
une partie de ses élèves va évidemment à l’encontre du but même
du « droit de réserve », qui est conçu pour que les déclarations
d’un fonctionnaire ne perturbent pas le fonctionnement du
service public et pour assurer l’égalité des citoyens face à
l’administration.
Au contraire, selon le
site du Ministère de l’Éducation
nationale :
Gilles de Robien, ministre de l’Education nationale, de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a reçu Robert
Redeker ce jour à 16h. Le ministre a tenu à lui réaffirmer toute
sa solidarité dans les épreuves qu’il a endurées, depuis la
parution de sa tribune dans la presse en septembre 2006.
Le ministre a également rappelé que toute atteinte à la liberté
d’opinion et d’expression est intolérable et doit être
condamnée.
Finalement, sur proposition du ministre, Robert Redeker est
recruté au CNRS.
La grande messe de soutien à laquelle participent Soheib
Bencheikh, Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Élisabeth de
Fontenay, Blandine Kriegel, Claude Lanzmann, Hélène Roudier de
Lara, Philippe Val... donne lieu à une
tribune dans le Figaro
(tribune qui s’en prend, comme d’habitude, à la LDH et au MRAP).
Il faut bien lire :
« Un professeur a un devoir de réserve dans sa
classe, mais nullement lorsqu’il s’exprime dans ses écrits
publics. Il faut rappeler ici la distinction kantienne entre
l’usage public et l’usage privé de la raison. Robert Redeker
s’est exprimé dans le cadre d’un article de presse, en exerçant
son « usage public » de la raison, comme tout citoyen français
peut le faire, et non pas dans son cours, par « un usage privé »
de la raison. »
Source:
http://tokborni.blogspot.com/2008/03/commentaires-sur-laffaire-du-sous-prfet.html
Le texte de Bruno
Guigue
Les commentaires d'Oumma.com
Le communiqué de l'UJFP
De l’accusation d’antisémitisme comme arme de dissuasion
par René Naba (Texte de janvier 2007 mais toujours
d'actualité)
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