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Loubnan ya Loubnan
La flottille et
l'escamotage de la question nucléaire
Nidal
Le "Rachel Corrie"
Lundi 7 juin 2010
Selon un principe énoncé par Chomsky, les faits importants ne
sont pas «cachés», en ce sens qu'en cherchant, on les trouve
dans la presse internationale. En revanche, ils sont minorés par
la place qu'ils occupent dans l'espace médiatique: le
commentaire est soit totalement orienté et/ou farfelu soit, pour
les sujets vraiment importants, le commentaire est totalement
absent. L'idée est que les décideurs (politiques et, surtout,
économiques) ont besoin d'être informés pour prendre les
«bonnes» décisions (selon leurs propres critères); l'info est
donc largement publique et accessible. En revanche, pour
éloigner les citoyens de décisions qui les concernent pourtant
directement, cette information doit être diluée et traitée comme
si elle n'avait aucun intérêt.
Concernant l'attaque par Israël de la flottille internationale,
il est donc intéressant de s'attacher au fait brut et, surtout,
de rechercher les sujets qui sont totalement occultés. Chercher
des faits ayant un rapport qui sont apparus dans la presse, mais
qui ne sont pas commentés et ne sont pas réapparus depuis.
On peut s'aider en repérant l'aspect aberrant de certains
commentaires, qui abordent le sujet selon un certain axe
délirant. Se demander pourquoi le sujet est abordé sous cet axe,
mais pourquoi le traitement et la conclusion sont aussi
farfelus. L'axe général permet de détecter qu'il y a
bien là une préoccupation profonde de l'auteur, et l'aspect
aberrant permet de suspecter qu'on tente de s'éloigner du fond
du problème (effet «nuage de fumée»).
Parmi les commentaires «bizarres» du moment, il y a cette
prétention régulière selon laquelle l'action israélienne
«profite aux extrémistes des deux camps», que le Hamas et le
gouvernement israélien sont des alliers objectifs dans cette
affaire, dans le but d'éloigner autant que possible la
possibilité d'aboutir à la paix.
C'est exactement l'objet du
communiqué des fumistes de JCall: «Arraisonnement de la
flottille à Gaza : une crise qui ne profite qu’aux extrémistes
des deux bords». C'est le sujet fréquent de bon nombre de
commentaires en ce moment.
Pourtant, il est évident que la logique même de cette assertion
est inepte. Ça n'est pas mon sujet ici, je ne vais pas
développer ce qui me semble relever de l'évidence. Ce qui est
intéressant:
- pourquoi aborder le sujet sous l'angle des
«négociations» (qui, en la matière, sont inexistantes et
seraient basées sur des présupposés israéliens illégaux et
inadmissibles – dont, notamment, la poursuite du blocus de
Gaza et de la colonisation),
- pourquoi présenter cette idée qu'un quelconque
«processus» a été interrompu ou compromis par l'action
israélienne contre la flottille?
Et là, si l'on cherche du côté des «processus» et des
«négociations», qui concernent et préoccupent Israël et les
fondements de sa «sécurité nationale», on a justement deux
événements survenus quelques jours à peine avant la décision de
transformer l'arraisonnement de bateaux civils en bain de sang
dans les eaux internationales. Deux événements énormes, aux
conséquences vitales, événements connus mais qui ont désormais
totalement disparu de l'ensemble des commentaires. Si j'étais la
«mouvance pro-palestinienne» (voir
mon billet précédent), je me concentrerais actuellement sur
ces sujets.
Le premier événement est énorme, et on a déjà vu le déploiement
de la mauvaise foi occidentale pour tenter d'en contourner les
conséquences. Le 21 mai, Alain Gresh l'analysait sur son blog: «Iran,
vers “une communauté internationale” post-occidentale?»
«Finalement, tout s’est arrangé : M. Recep Erdogan a fait le
déplacement à Téhéran et il a scellé, le 17 mai, son entente
avec le président Lula da Silva et Mahmoud Ahmadinejad sur un
texte en dix points qui trace une voie pour résoudre la crise
sur le nucléaire iranien.»
Alain Gresh décrit les manœuvres occidentales pour enterrer un
accord qui, pourtant, correspond point par point aux exigences
de l'AIEA formalisée en octobre 2009, accord qui devait, alors,
marquer l'arrêt du processus de sanctions et permettre
l'ouverture de nouvelles négociations:
«Que dit le texte signé sous leur égide ? D’abord que,
conformément au TNP, l’Iran a droit à l’enrichissement ;
ensuite, que le pays accepte l’échange de 1 200 kilos d’uranium
faiblement enrichi (UFE) contre 120 kilos d’uranium enrichi (UE)
à 20%, indispensables au fonctionnement de son réacteur de
recherche ; que les 1200 kilos d’UFE seraient stockés en
Turquie, le temps que l’Iran reçoive ces 120 kilos d’UE ; que
l’Iran transmettrait à l’Agence internationale de l’énergie
atomique (AIEA), dans la semaine suivant le 17 mai, une lettre
officielle formalisant son accord. En renonçant à une partie
importante de son uranium, Téhéran limite sérieusement ses
capacités à produire une bombe.»
Ban Ki-moon a salué l'accord:
«Le secrétaire général de l'ONU “salue l'initiative du président
brésilien Lula et du Premier ministre turc (Recep Tayyip Erdogan)”,
a indiqué le porte-parole de M. Ban, Martin Nesirky.
“Cela souligne que transparence et ouverture sont les clefs
pour répondre aux préoccupations exceptionnelles que suscite
le programme nucléaire iranien”, a-t-il ajouté.
“L'accord peut être une avancée positive (...) s'il est
suivi d'une coopération plus étendue de Téhéran avec
l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et la
communauté internationale”, a dit le porte-parole.
La
lettre officielle prévue dans l'accord a bien été remise par
l'Iran à l'AIEA la semaine suivante:
«Lundi, l'Iran a remis la lettre de notification de l'accord
tripartite signée par le chef de l'Organisation de l'énergie
atomique iranienne (AIEA), Ali Akbar Salehi, au cours d'une
réunion à la résidence du directeur général de l'AIEA à Vienne.»
Nous avons un accord, à l'initiative de la Turquie et du Brésil,
signé par l'Iran, correspondant aux exigences d'octobre dernier.
Il est salué par le secrétaire général de l'ONU, et l'Iran
signale formellement l'accord à l'AIEA.
Pourtant, avant-hier, on nous annonce avec joie que, suite à la
rencontre entre Angela Merkel et Dimitri Medvedev, des santions
pourraient être prises contre l'Iran. Cette
dépêche de l'AP, à l'image de l'ensemble des commentaires
médiatiques sur cette rencontre, n'évoque à aucun moment
l'accord signé il y a deux semaines.
Et, il y a à peine une heure, le Monde nous informe des
conclusions d'une
nouvelle réunion de l'AIEA. L'accord turc-brésilien-iranien
est totalement occulté, et seul le sujet des «sanctions» est
abordé. On ne saura pas pourquoi l'accord n'a aucune
«importance», et rigoureusement rien ne permet au lecteur de se
poser la question.
Un autre accord international doit être rappelé. Le 28 mai
(trois jours avant l'attaque contre la flottille),
un accord du TNP appelle à un Moyen-Orient dénucléarisé.
«C'est un accord crucial auquel sont arrivés, vendredi 28 mai,
les 189 pays signataires du traité de non-prolifération
nucléaire (TNP) en adoptant par consensus un document qui
propose de débattre sur l'interdiction totale des armes de
destruction massive dans tout le Moyen-Orient. Il s'agit du
premier accord de révision du TNP en dix ans. Il évoque
également d'autres volets de la non-prolifération, comme le
désarmement, la vérification des programmes nucléaires nationaux
pour assurer qu'ils sont pacifiques, et l'usage pacifique de
l'énergie atomique.»
[...]
«Cette conférence implique donc la présence de l'Iran et
d'Israël. Une "zone dénucléarisée" au Moyen-Orient aurait
plusieurs conséquences, en premier lieu obliger Israël à
signer le TNP, qui date de 1970, et à renoncer à son arsenal
atomique, dont il n'a jamais reconnu ni démenti l'existence.
Israël serait également tenu de placer ses installations
nucléaires sous surveillance de l'Agence internationale de
l'énergie atomique.»
Une mise en cause du nucléaire israélien dans une grande
instance internationale, voilà qui n'est pas commun. Qui plus
est, rompre l'approche unilatérale du «nucléaire iranien» en
liant cette question à l'ensemble de la région, on sent le
danger pour les israéliens (on ne doute évidemment pas que les
Iraniens utiliseraient cet argument, avec cette fois la
légitimité d'une déclaration du TNP).
Enfin, pour vraiment se rendre compte du danger: l'ami américain
n'a pas mis son véto, ni fait de déclaration suggérant que le
machin serait rapidement enterré. Au contraire:
«Washington s'est engagé à œuvrer au succès d'une telle
conférence en "créant les conditions" nécessaires, selon Ellen
Tauscher, sous-secrétaire d'Etat chargée du contrôle des
armements et de la sécurité internationale. Peu après l'accord,
le président Obama s'est réjoui de cette avancée. "Cet accord
comporte des étapes équilibrées et réalistes qui feront avancer
la non-prolifération, le désarmement nucléaire et l'utilisation
pacifique de l'énergie nucléaire, qui sont des piliers
importants du régime global de non-prolifération". Toutefois, M.
Obama s'est dit "fortement" en désaccord avec le fait que la
conférence ait singularisé Israël.»
Et trois jour plus tard, l'intervention héroïque de l'armée
israélienne dans les eaux internationales avait pour effet, non
de retarder un inexistant «processus de paix»
israélo-palestinien, mais de faire totalement disparaître de
l'agenda international et des commentaires publics ces deux
événements portant sur le nucléaire iranien et sur le nucléaire
israélien.
On lit beaucoup de commentaires sur l'effet désastreux de
l'attaque sur un hypothétique processus. Question totalement
saugrenue. En revanche, l'effet spectaculaire de l'intervention
israélienne, c'est l'escamotage pur et simple du calendrier
politique et médiatique des avancées sur le nucléaire iranien et
de sa mise en perspective officielle avec le nucléaire
israélien.
Vraiment, si j'étais la «mouvance», je consacrerais toute
l'énergie possible à remettre ces deux événements au centre du
commentaire public. Car au-delà du martyre intolérable de Gaza,
c'est la sécurité globale de la région et la possibilité d'une
nouvelle guerre régionale qui sont en jeu.
Le dossier la flottille de la Liberté
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