Opinion
Tunisie. Une vraie
opposition est née
Nasreddine Montasser
Jeudi 8 décembre
2011
Les Tunisiens assistent à la naissance
de la première vraie opposition, dans
laquelle ils peuvent s’identifier, se
retrouver, et qui leur donne envie de
l’encourager et la soutenir.
Par Nasreddine Montasser
Le réveil fût assez dur au lendemain
du scrutin du 23 octobre. Ce scrutin
n’était pas sans reproches mais il a eu
le mérite de révéler une image précise
des réalités politiques de notre pays.
Il existe désormais deux Tunisies que
tout sépare ou presque et qui ne
tarderaient pas à entrer en
confrontation, tellement elles sont
antagonistes. Une Tunisie moderne, qui
croit en la démocratie et qui est prête
à toutes les concessions pour accepter
l’autre avec ses spécificités et ses
différences, et une Tunisie statique et
conservatrice, très attachée à sa
conception archaïque des valeurs autour
desquelles l’Etat nouveau devrait être
bâti.
Patchwork
majoritaire et minorité hétéroclite
Cette polarisation de la société va
certainement se manifester dans le
fonctionnement de l’Assemblée
constituante nouvellement élue. L’avenir
du pays y serait en jeu entre deux
camps. Le premier est un patchwork
majoritaire de circonstance, constituée
autour d’un parti religieux sans
référentiel démocratique enivré par une
victoire inattendue. Le deuxième est une
minorité hétéroclite et déçue mais très
décidée à résister en opposition. Si la
majorité autoproclamée n’a pas à motiver
son avidité pour le pouvoir ni son désir
revanchard de disloquer les fondements
du pays et de le remodeler à sa guise
sous la bannière de la deuxième
république, le rôle et les desseins de
l’opposition restent indéfinis.
En fait, que veut dire opposition ?
Communément on désigne par opposition
les partis politiques ou les mouvements
n’appartenant pas à la majorité au
pouvoir et donc qui s’y opposent.
L’opposition a, dans les démocraties,
plusieurs fonctions. Tout d’abord, elle
constitue un contre-pouvoir qui permet
d’éviter que la majorité, une fois
parvenue au pouvoir, n’ait la tentation
de mener une politique portant atteinte
aux droits et libertés.
L’opposition représente aussi la
possibilité d’une alternance politique
et participe à l’existence du pluralisme
politique, qui est l’une des bases de la
démocratie.
Enfin, l’opposition permet aussi de
renouveler le personnel politique et,
lorsque la majorité perd le pouvoir, une
nouvelle génération d’hommes politiques
peut trouver une place de choix dans
l’opposition et se préparer ainsi à
assumer des fonctions importantes à
l’occasion d’une victoire à venir. Le
rôle de l’opposition est donc essentiel
en démocratie.
Une
opposition dynamique et influente
Cette évidence semble ne pas plaire
aux nouveaux maîtres de la Tunisie.
L’idée d’une opposition les rend
malheureusement mal à l’aise. Le chef du
Forum démocratique pour le travail et
les libertés (Fdtl), Mustapha Ben Jaâfar,
élu président de l’Assemblée
constituante, l’a clairement affirmé. Il
s’est dit agacé par la notion
d’opposition qui, selon lui, ne peut
avoir lieu au sein d’une Assemblée
constituante et la trouve même sans
objet dans les circonstances actuelles.
Le temps est selon lui à l’unité
nationale et à la réconciliation.
Pour le futur chef du gouvernement,
le secrétaire général du parti islamiste
Ennahdha Hamadi Jebali, l’opposition ne
sera pas privée de parole mais elle ne
devrait s’attendre à aucune concession
de la part de la majorité au pouvoir.
Dans ce décor, la culture de
l’exclusion héritée de l’ère Ben Ali
semble persister au-delà des attentes.
Le refus d’accepter l’existence d’une
opposition paraît ancré dans l’exercice
du pouvoir dans ce pays. Le plus
hallucinant c’est que ce rejet émane de
personnes qui ont contesté cet héritage
pendant des années et en ont fait
l’emblème de leur croisade contre le
pouvoir du déchu.
Et pourtant, l’opposition existe et
en plus elle est agissante. Les leaders
de cette opposition ont affirmé à raison
et à maintes reprises que leur
entreprise n’existe que pour le bien du
pays. Ces derniers jours, cette
opposition a été influente pour obtenir
des amendements au projet initial de
l’organisation provisoire des pouvoirs
publics, proposée par la coalition
tripartite (Ennahdha, Cpr et Fdtl). Le
projet initial était en fait une
mini-constitution anti-démocratique et à
la limite de la décence intellectuelle.
L’arrogance d’Ennahdha vis-à-vis de
ses alliés – au même titre que vis-à-vis
des citoyens qui lui sont opposés – a
fait que ce parti nous fait découvrir
très tôt son avidité pour le pouvoir et
sa volonté de faire main basse sur les
institutions du pays.
Le geste
salutaire de Maya Jribi
L’opposition, cependant, nous a
gratifiés d’une vraie posture militante,
patriote et sincère. Mme Maya Jribi a
été au-dessus du lot le jour de la
première réunion de l’Assemblée
constituante. Avec un courage épatant,
elle a éclaboussé le bloc dressé par la
coalition pour faire accéder son
candidat, Mustapha Ben Jaâfar, au poste
de président de l’assemblée. Elle a tenu
à présenter sa candidature pour
concurrencer, ne fut-ce que formellement
et symboliquement, ce dernier dont la
victoire était acquise d’avance.
La stature des hommes (et des femmes)
ne se mesure pas avec le nombre de voix
qu’ils (elles) récoltent lors d’un
scrutin mais plutôt par le respect
qu’ils (elles) suscitent. Mme Jribi,
malgré sa défaite annoncée, a eu droit à
un standing ovation à la hauteur de son
œuvre, qui est de signer, par ce geste,
l’acte de naissance d’une vraie
opposition démocratique en Tunisie.
En effet, Mme Jribi a pu rassembler
autour de sa personne toute l’opposition
et nous a redonné confiance en la force
des idées et en la légitimité de la
lutte pour la démocratie et pour les
libertés.
L’opposition, qui s’est manifestée ce
jour-là sous la coupole du Palais du
Bardo, n’était que la première
escarmouche d’une longue guerre. Les
batailles à venir seront rudes et sans
merci contre une avidité de pouvoir
digne d’un trou noir, contre une armée
endoctrinée, sans discernement et sans
pitié, contre les adeptes du double
langage et de la manipulation.
Le peuple
comme ultime garant
Nous assistons aujourd’hui à la
naissance de la première vraie
opposition en Tunisie. Une opposition
dans laquelle le peuple peut
s’identifier, se retrouver et qui lui
donne envie de l’encourager et la
soutenir. Une opposition qui rassemble
et qui défend un solide projet de
société. Mais la vraie opposition à la
possible dérive dictatoriale de cette
phase postrévolutionnaire reste la
vigilance de tout un peuple.
Les citoyens qui partagent des
valeurs universelles de démocratie de
liberté et de dignité savent
pertinemment qu’ils doivent rester
éveillés et prêts à protéger les acquis
de l’histoire de tout un pays, les
acquis d’une révolution payés par le
sang de ses martyrs et le rêve légitime
de tout un peuple en un lendemain
meilleur.
Il est primordial pour nous,
Tunisiens ayant fait allégeance à cette
patrie, de nous rassembler autour de
cette opposition si jeune et si
prometteuse et de la couver et de la
protéger. Elle sera le toit qui nous
protégera des orages qui se profilent.
Néanmoins nous devons être prompts à
nous dresser comme un seul homme pour
défendre nos droits et nos valeurs.
C’est là notre seul et unique salut.
Le blog de l’auteur.
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Publié le 8 décembre 2011 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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