Opinion
Syrie : L'Occident
prépare son plan B
pour le jour d'après !
Nahed
Hattar
Samedi 1er juin
2013
Une éternelle vigilance est l’impossible
prix de la liberté [Guerre aux
invisibles / Erik Frank Russell].
Impossible ? Restons vigilants ! [NdT].
L’ex
vice-président du Conseil des ministres
syrien pour les affaires économiques,
M. Abdallah al-Dardari,
se prépare à rejouer un rôle
politique de premier
plan dans « la Syrie de l’après
guerre » !
M. Al-Dardari a
tourné la page du
soutien tacite
aux groupes armés,
et s’est porté
volontaire pour
coordonner un projet
de financement [de
plus de vingt
milliards de dollars] pour
la reconstruction de
la Syrie
après la guerre ;
projet présenté comme le « Plan
Marshall pour
la Syrie » en référence au plan, du même
nom, ayant aidé à la
reconstruction
de l'Europe après
la Seconde Guerre
mondiale [1].
C’est en tant que fonctionnaire
international [2] que
M. Al-Dardari a
rencontré le président
Bachar
al-Assad ;
lequel, d’après des témoignages de
personnalités jordaniennes, n’aurait
prêté aucune attention particulière à
l’idée même du projet et l’aurait
carrément rejetée lorsqu’il a été
directement interrogé sur ce sujet. Des
sources de presse ont rapporté que la
réplique de certains milieux
diplomatiques
occidentaux a consisté
à déclarer que « M. Al-Assad n’avait pas
de droit de
veto sur un
gouvernement dirigé par M.
Al-Dardari,
dans le cadre
d'un règlement
interne ! ».
L’important ici, n’est pas la personne
de M. Al-Dardari. L’important est le
projet qu’il annonce et qui commence à
prendre forme dans les milieux
occidentaux des affaires et des
finances, milieux probablement en
étroite collusion avec leurs homologues
arabes et syriens.
Un projet ou « plan B » concocté suite à
l'inéluctable défaite politique et
militaire du plan précédent [3] destiné
à renverser le gouvernement syrien. Sa
mise en application ne fait que
commencer et son schéma directeur se
résume à profiter de l’épuisement
infligé au gouvernement syrien en
exploitant son nécessaire besoin de
réconciliation interne et de
reconstruction accélérée ; ce qui
permettrait aussi bien à l’Occident
qu’aux États du Golfe et à la Turquie de
« renverser économiquement la Syrie » !
Un renversement censé aboutir au
contrôle de ses ressources et richesses
par l'imposition d’un « système
néolibéral » sur tout son territoire et
dans tous les domaines : privatisations
à grande échelle, libéralisation du
marché et de la circulation des
capitaux, concentration des
investissements étrangers dans les
secteurs les plus rentables tels ceux de
l’infrastructure, de l'immobilier, du
tourisme et de la finance.
Les conséquences notoirement connues
d’une telle approche sont l'endettement,
les déficits budgétaires, la destruction
des institutions industrielles et
artisanales, le démantèlement de la
production rurale et, par conséquent, la
transformation de la Syrie d’un État
national en plein développement en un
« État comprador » ayant perdu son
indépendance économique relative, avec
tout ce que cela implique comme totale
soumission aux forces du néolibéralisme
et tout ce que cela engendre comme
réseaux de corruption qui vont avec !
Dès lors, sa dépendance économique
saperait nécessairement son indépendance
politique. Et c’est tout naturellement
qu’une telle dynamique, nourrie par le
capitalisme mondial et ses acolytes des
Pays du Golfe, mènerait vers « la
désintégration » des constantes
politiques syriennes ; celles du
financement et de l’équipement de son
Armée nationale, de sa résistance
politique et militaire à l’occupation du
Golan, de son soutien à la Résistance
libanaise et palestinienne… Bref, la
politique syrienne se désintègrerait
d’elle-même !
Finalement, c’est par le biais
économique que le plan Marshall devrait
imposer à Damas ce qu’il n’a pu lui
imposer par la force des armes et des
sanctions. Il a cependant le mérite de
souligner le seul point positif de cette
approche de « la Syrie d’après la
guerre », celui de reconnaître
tacitement que l’option guerrière est
caduque et qu’il est désormais
inévitable de traiter avec le
gouvernement du Président Bachar al-Assad…
en usant de tentations séductrices !
Ici, j'appelle les dirigeants syriens à
se rappeler ce qui suit :
Tout d'abord, l'application partielle
des politiques de privatisation et
d’ouverture économique vers l'Occident,
les États du Golfe et la Turquie - dont
M. Al-Dardari fut le principal artisan
lorsque, de par ses fonctions, il
exerçait son contrôle sur les
orientations et décisions économiques de
la Syrie d’après
2005 - a été la principale raison
ayant privé le gouvernement syrien de sa
base sociale traditionnelle. Les
paysans, artisans et ouvriers ont
durement souffert du « choc néolibéral »
au cours de la deuxième moitié de la
dernière décennie. C’est en effet à
partir de 2005 que sont apparues les
pires manifestations de la pauvreté, du
chômage et de la marginalisation. C’est
sur cette frange de la société syrienne
que se sont appuyés les forces
réactionnaires hostiles à la Syrie.
C’est à partir de ceux-là qu’ils ont
recruté
les combattants ayant rejoint les
groupes terroristes, après
l’endoctrinement sectaire de milliers
d’entre eux. Par conséquent, que
pouvons-nous attendre si une politique
néolibérale était appliquée pleinement
et sans conditions ?
Deuxièmement, les forces qui ont versé
leur sang et ont défendu la République
arabe syrienne et son gouvernement
légitime sont principalement :
1. Les officiers et soldats de l'armée
arabe syrienne issus des classes
laborieuses.
2. Les groupes de jeunes patriotes
progressistes.
3. Les militants des courants gauchistes
et nationalistes qui espéraient que la
guerre, bien que douloureuse, puisse
justement ramener la trajectoire
socio-économique syrienne vers le
développement national et la démocratie
sociale.
4. Les forces de la bourgeoisie patriote
et les industriels syriens qui ont
suffisamment pâtis de l'ouverture vers
la Turquie.
Ce sont là les quatre forces qui seront
les plus touchées si la Syrie était
acculée à devenir un « état comprador »
menant inéluctablement à la réduction
des dépenses militaires, à l’aggravation
du chômage pour les classes populaires
et moyennes, à la dégradation de la
qualité de vie des jeunes de la classe
moyenne, à la destruction des projets
industriels… Le gouvernement syrien ne
peut donc céder à une telle tentation,
au risque de se retrouver devant un
consensus national déjà prêt à s’y
opposer.
La Syrie d’après la guerre, ne sera que
pour ceux qui se sont battus pour sa
défense ; pour ses jeunes, ses
travailleurs et ses paysans ; pour ses
industriels patriotes qui n’ont pas
dévié de la ligne de l'indépendance, du
développement et de la résistance. C'est
ce que nous aimerions entendre, mais
cette fois-ci « en public », de son
Président !
Nahed Hattar
31/05/2013
Article traduit de l’arabe par Mouna
Alno-Nakhal
Article original : Al-Akhbar [publié
aussi sur Sham Times]
http://www.al-akhbar.com/node/184158
http://shamtimes.net/news_de.php?PartsID=1&NewsID=8714#.UafXUppwlFs.facebook
Notes :
[1] Le Plan Marshall / L’index
historique
http://cartoflash.free.fr/motcle/pages/PlanMarshall.htm
« A partir de 1947, le plan Marshall est
une arme économique utilisée par les
Américains pour combattre le communisme.
Il correspond au côté économique de la
doctrine Truman le Containment
(endiguement). L'idée est que la misère
fait le lit du communisme, le plan
Marshall permet donc à la fois de
combattre le communisme et de convertir
l'économie de guerre américaine en
économie de paix, nécessaires. Par le
plan Marshall les Américains entendent
rallier l'Europe. L'aide financière est
assortie de conditions d'achat de
produits américains. L'U.R.S.S. s'oppose
à ce projet et empêche les pays de
l'Europe de l'Est de bénéficier de ce
plan. Par exemple, le plan Marshall
d'abord accepté en Tchécoslovaquie par
le gouvernement doit être refusé sous la
pression de Moscou. En revanche 17 pays
qui acceptent cette aide créent en 1948
l'Organisation Européenne de Coopération
Économique (O.E.C.E.) qui deviendra
O.C.D.E. [Organisation de Coordination
et de Développement Économique). En mai
1949 est créé la R.F.A. Un ancien
résistant à Hitler, le démocrate
chrétien Konrad Adenauer en devient le
premier chancelier. Il ancre solidement
la R.F.A. dans le camp de l'ouest et
accepte le plan Marshall. Le plan
Marshall permet aussi d'effectuer des
pressions sur les alliés des États-Unis.
Ainsi, les Américains menacent les
Pays-Bas de suspendre le plan si ceux-ci
n'accordent pas l'indépendance à
l'Indonésie (chose faite en 1949) ». [Ce
site n’est peut-être pas une référence
mais, puisque l’Histoire n’est écrite
que par les vainqueurs, il n’est pas
interdit de lire aussi le revers de
certaines médailles, NdT].
[2]
M.Abdallah AL DARDARI,
Economiste en Chef et directeur de la
division du
développement économique et de la
mondialisation et ESCWA [Economic
and Social Commission for Western Asia].
http://www.leconomistemaghrebin.com/2013/05/30/forum-de-tunis-le-13-juin-2013/
[3]
Comment le bloc atlantiste a construit la guerre en syrie
http://www.entrefilets.com/16_mois_pour_une_guerre.htm
M. Nahed Hattar
est un écrivain et journaliste jordanien
résidant à Amman.
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