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Le web de l'Humanité
La prison pour les
Palestiniens
Nadir Dendoune
Photo CPI
Dimanche 30 août 2009
Nadir Dendoune est journaliste indépendant.
Durant son périple en Israël et Palestine, il décrit ce qu’il
vit et ressent. Aujourd’hui : souvenirs de prison.
Les
mamans palestiniennes se blindent le cerveau comme pas possible.
Elles savent qu’un jour ou l’autre le bras armé de l’Etat
passera leur faire un petit coucou à la maison pour emmener leur
fiston au poste de police. Après, si tout se passe comme prévu
selon les règles de la only democracy in the middle east, le
petit ira faire un séjour dans une Fleury-Mérogis locale. Sur
place, selon de nombreux témoignages d’anciens prisonniers
palestiniens, sont organisées des séances de torture à la
Jean-Marie Le Pen quand il servait sous le drapeau
Bleu-Blanc-Rouge, pendant la guerre d’Algérie.
Au
moindre soupçon, à la moindre dénonciation, la police
israélienne ne prend aucun risque et embarquent manu-militari
les « suspects ». Les rejetons croupissent alors dans des
prisons, parfois plusieurs mois, aux réputations pas très
musulmanes, en attendant leur procès.
Depuis
1967, 700 000 Palestiniens ont goûté aux geôles israéliennes,
c’est comme si en France, on avait arrêté en quarante ans, 12
millions de personnes !
Une
pensée spéciale à notre compatriote Salah Hamouri, emprisonné
depuis quatre ans et pas assez pur-porc pour que Sarko fasse
pression pour le libérer. Bref, c’est toujours la même rengaine
au pays des doigts de l’Homme. J’avais rencontré un « barbu » en
zonzon (barbe bien taillée, rien à voir avec la mienne), un
« hadj » (celui qui fait son pèlerinage à la Mecque acquiert le
titre de hadj), on fait de belles rencontres parfois en taule,
pas toujours, je vous l’accorde, la prison y a rien de mieux
pour parfaire son éducation balbutiante de « caillera », bravo
les politiques. Je lui avais raconté mon histoire, je lui avais
dit qu’on m’avait enfermé dans la cage aux folles à cause du
Nikon D80 qui prend des photos plus vite qu’un puceau qui
s’apprête à perdre sa virginité.
Il
avait eu confiance, une bonne gueule le Nadir, bronzé
bien-beau-gosse, et il s’était alors confié. Les keufs s’étaient
pointés chez lui à l’aube, lui avaient mis une cagoule sur la
tête, avec cette chaleur, le pauvre j’ai pensé. Il avait été
dénoncé par une tierce personne et forcément lui avec sa barbe
de « frère muz », il faisait un coupable idéal. S’en était suivi
un interrogatoire très musclé. Le Palestino pensait que c’était
chaud pour son derrière parce qu’on lui reprochait d’entretenir
des relations serrées avec le Hamas, élu démocratiquement mais
pas considéré comme légitime par Israël et la communauté
internationale de la condescendance.
On
était arrivé ensemble dans la cellule et il avait été sympa avec
moi, il m’appelait son frère de l’Algérie. Le barbu n’était pas
serein, il redoutait d’être condamné à une lourde peine
d’emprisonnement. Citoyen israélien, il était marié et avait
trois enfants en bas âge. Je l’avais quitté, j’avais la chance
d’être un franchouillard, d’avoir un avocat, d’avoir le soutien
du syndicat de la presse et du consulat de la France.
Quelques jours plus tard, je me suis rendu au camp de réfugiés
de Jénine, au nord de la Cisjordanie, (Jénine devenue
« célèbre » après l’opération rempart : du 3 au 11 avril 2002,
Tsahal avait pénétré à l’intérieur du camp pour rechercher des
membres d’organisations terroristes, plusieurs ONG avaient alors
parlé de plusieurs centaines de morts, la plupart des civils et
parmi eux beaucoup de femmes et d’enfants, cette attaque faisait
suite à l’attentat du 27 mars survenue à l’hôtel Park de Netanya
où 29 israéliens avaient été tués). Sur place, j’avais pris un
kébab avec un ancien taulard. Il avait séjourné à deux reprises
dans une prison israélienne, on le soupçonnait de vouloir se
faire sauter comme un feu d’artifice en plein milieu d’une
bourgade remplie de Juifs. La première fois, on l’avait gardé
huit semaines puis on l’avait libéré, comme ça, sans procès,
sans explication. La deuxième fois, il était resté trois mois et
il avait été jugé : interdiction de venir en Israël pendant cinq
ans.
Bien
entendu, durant ces deux périodes d’incarcérations, il avait eu
droit à un traitement de faveur : on l’empêchait de dormir en le
réveillant toutes les heures, on lui posait les mêmes questions
pour qu’il pète un câble et qu’il se mette à table. Il m’a même
dit qu’il recevait régulièrement des charges électriques, les
vicelards lui avaient installé des électrodes sur ses tétons. Je
pourrais vous en délivrer d’autres de témoignages d’anciens
prisonniers mais comme c’est l’heure du dîner pour vous, je vais
m’arrêter là. En plus, je sais très bien que toutes ces
histoires de prison, ça casse un peu le moral et que c’est pas
comme ça qu’on arrive à voir la vie en rose. Comme je suis
sympa, je vais finir par une note un peu plus gaie : j’ai
assisté à des retrouvailles prisonnier-maman alors que je me
trouvais dans le camp de Deisheh, à quelques lieues de Ramallah,
et on peut dire ce qu’on veut sur les Bougnoules-Hommes, par
exemple que la sensibilité chez eux elle est au chômage ou que
leurs sentiments sont enterrés cinquante mètres sous terre, et
bien, le type que j’ai vu et qui venait de passer six années en
cabane, je vous jure sur les deux choses que j’ai le plus cher
au monde, c’est-à-dire ma maman et ma dignité, et bien le gars
il chialait comme une madeleine et sa mère, elle avait les yeux
comme le Gange.
Ça tirait dans tous les sens avec des Kalachnikov, j’ai même cru
à un moment qu’on se battait pour de vrai. Dehors, ça chantait,
ça dansait, ça s’embrassait, on aurait dit une fête où deux
êtres qui s’aiment viennent de se dire oui. C’est à ce moment
que j’ai vraiment compris que ce peuple, il avait trop lu
Nietzche (ce qui ne te tue pas, te rend plus fort) et que jamais
il ne baissera les bras. Et vous savez, moi, je trouve que les
gens courageux, y a rien de meilleur et c’est pour ça que je
commence à pleurer tous les soirs parce que mon voyage arrive
bientôt à sa fin.
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© Journal L'Humanité
Publié le 31 août 2009 avec l'aimable autorisation de
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