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Le web de l'Humanité
Au cœur de la
Palestine, des Israéliens
Nadir Dendoune
Nadir Dendoune
Jeudi 27 août 2009
Nadir Dendoune est journaliste indépendant.
Durant son périple en Israël et Palestine, il décrit ce qu’il
vit et ressent. Aujourd’hui : rencontre avec "M", militant
israélien pour la paix.
Des
gens courageux, il en existe partout, même si, comme ailleurs
ils ne courent pas les rues. L’être humain, en général, aime
tourner la tête de l’autre côté, fermer les yeux, ou se boucher
les oreilles. En Israël, les « braves » sont marginalisés, in
the only democracy in the middle east, il ne fait pas bon de
dénoncer le racisme d’Etat, la majorité de la société considère
ces « valeureux » comme des traîtres, des vendus, des naïfs, des
« à côtés de la plaque » parce qu’ils s’insurgent contre la
politique raciste et colonialiste de leur gouvernement, parce
qu’ils militent pour la Paix et parce qu’ils considèrent les
Palestiniens comme des frères, ce qui est loin d’être une
connerie Simone.
Menaces de mort, graffitis-insultes sur les portes de leurs
maisons, des méthodes d’intimidation classiques, et pourtant ces
vaillants israéliens continuent leur combat, certains d’avoir
raison. A Sheikh Jarrah, dans la partie est de Jérusalem, où les
enfoirés de Colons acquièrent gratis des villas palestiniennes,
des pacifistes israéliens dotés de burnes énormes n’hésitent pas
à aller jusqu’à l’affrontement physique avec la police.
Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs été arrêtés et jetés en
prison comme l’auraient mérité plusieurs proches de Sarkozy, le
Président d’origine hongroise. Il y en a d’autres, qui
travaillent à l’ombre du soleil, parcourant le globe, tentant de
mobiliser la Communauté Internationale (toujours aussi lâche),
conscients que la solution ne peut venir que de l’extérieur,
bien au courant que la plupart des Israéliens soutiennent la
politique fasciste de leur gouvernement. Je rencontre, quelque
part en Cisjordanie, M, un Franco-Israélien. Il se définit comme
un militant anticolonialiste car selon lui, il y a en Palestine,
« une présence militaire qui opprime la population indigène et
un rapport de pouvoir qui vise à étendre les frontières vers
l’Est ».
Son
visage m’est familier, une tête qui inspire la confiance, quand
il me serre la paluche. Il vient souvent en Gaule moderne,
notamment à la fête de l’Humanité qui a lieu tous les ans dans
le plus beau département de France, si, si, ne rigolez pas la
Seine-Saint-Denis est loin d’être ce que vous pensez, pour
changer « notre image », on aurait besoin de journalistes qui
franchissent le périph’ un peu plus souvent, pas seulement quand
les voitures brûlent. Je kiffe, je me lâche, un brin
moralisateur, vous ne trouvez pas ? Mais j’assume…
« Israël n’est pas un pays normal, commence à me dire M qui se
bat aux côtés des Palestiniens depuis quarante ans, c’est pour
ça qu’il doit être traité comme un pays anormal ». Comme un
état-voyou. Selon sa constitution, Israël est un Etat Juif, se
définir en tant que tel, donne à ce pays un prétexte pour une
discrimination à l’égard de tous ses citoyens non juifs.
L’ambiguïté qui entoure la question de la citoyenneté ne
s’arrête pas sur le plan légal, elle est présente dans toutes
les manifestations de la vie quotidienne, les droits des
citoyens arabes ne sont pas les mêmes que ceux des citoyens
juifs. Un Juif devient un citoyen israélien de fait, ce qui
n’est pas le cas pour les « autres » qui doivent batailler ferme
pour obtenir la nationalité.
Avec
les lois sur le foncier, la terre appartient aux Juifs, « pas
aux Israéliens », dénonce M. Les autres peuvent aller se
rhabiller. Ses mots me font du bien, des semaines à me taper les
Colons, les keufs, les touristes de merde qui viennent ici,
sourire aux lèvres, appareil photo en bandoulière, pendant que
de « l’autre côté », l’apartheid est sur son 31. Le militant
anticolonialiste est optimiste et pessimiste à la fois. Mi
chèvre-mi chou, mi ange-mi démon. Pessimiste parce qu’à chaque
manif, ils sont de moins en moins nombreux. Optimiste, parce que
pour lui la société israélienne est une société fatiguée, gâtée,
engraissée, relativement en sécurité (ça n’a jamais été aussi
calme depuis 1948, le dernier attentat suicide a eu lieu en
2006) et « qu’en face » la plupart n’ont rien à perdre et qu’il
faudra bien un jour ou l’autre faire la Paix, de gré ou de
force. Surtout, il est persuadé qu’on ne peut pas « jouer les
voyous des quartiers indéfiniment, ça finira par nous retomber
dessus ».
Pessimiste aussi parce que la Communauté Internationale n’a
jamais été aussi gentille avec Israël : « Kouchner passe par
exemple nous faire un petit coucou tous les mois et les
Etats-Unis, même si Obama est moins pro-israélien que Bush,
soutiendra toujours notre gouvernement ».
Pessimiste encore parce qu’en massacrant la population de Gaza,
son pays a montré qu’il en avait rien à foutre de ce que les
autres peuvent penser. Il peste contre le projet sioniste, si
vanté dans nos beaux-pays de l’Occident, qui « vise en réalité à
créer un état ethnique pour les Juifs par la Colonisation de la
Palestine » et rappelle que ce n’est pas anodin si Israël n’a
pas encore défini ses frontières (aucun texte à ce jour précise
quelles sont les frontières de « l’Etat hébreu » où vivent
beaucoup, mais beaucoup de Non-Juifs, c’est hallucinant, non ?).
Toujours prêt à gratter un peu plus chaque année, ces raclures.
C’est le genre de gars que tu peux écouter des plombes, le genre
de type que tu aimerais entendre plus souvent à la télé. Malgré
son moral rikiki, il continue à se battre et ne lâchera jamais.
Il le fait pour ses enfants, pour qu’ils ne deviennent pas des
réfugiés (il pense qu’à long terme, les Juifs seront chassés) et
promet qu’il leur donnera « un maximum de chances pour qu’ils
vivent ici normalement avec leurs frères Palestiniens ». Il dit
beaucoup de choses intéressantes, je retiens ce truc qui est
tellement vrai, qu’il faudrait l’écrire avec un marqueur
indélébile sur tous les murs du monde, une phrase, un appel pour
tous ses frères Juifs : « vous croyez que défendre aveuglément
l’Etat d’Israël sert à lutter contre l’antisémitisme, et bien
vous vous trompez, et c’est le contraire qui risque d’arriver ».
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© Journal L'Humanité
Publié le 28 août 2009 avec l'aimable autorisation de
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