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La vie au check
point
Nadir Dendoune
Un check point
Jeudi 20 août 2009
Nadir Dendoune est journaliste indépendant. Durant son périple
en Israël et Palestine, il décrit ce qu’il vit et ressent.
Aujourd’hui : les interminables contrôles.
Les
Palestiniens savent toujours à quelle heure ils partent, ils ont
des montres, ce sont des gens civilisés, mais il ne savent
jamais à quelle heure ils vont arriver. Avant de venir en
apartheid-land, je n’imaginais pas à quel point la présence
militaire israélienne était aussi présente en Cisjordanie.
En
France, beaucoup s’imaginent que les Palestiniens sont
souverains sur leur terre, ce qui est faux, il y a un occupé et
un occupant, un colonisateur et un colonisé. Beaucoup de mes
confrères (heureusement que certains dérogent à cette règle)
flippent de perdre leur boulot et préfèrent raconter des salades
mexicaines, dans la vie, ou t’en as, ou t’en as pas, c’est aussi
simple que ça ! Un jour, peut-être, ces « sans-burnes » se
regarderont dans la glace et éprouveront de la honte.
Je ne
demande pas grand-chose, juste qu’on rappelle sans cesse
qu’Israël, the only democracy in the middle East est un état
voyou, puisqu’il s’en cogne du Droit International, plusieurs
résolutions ont été votées et elles ne sont jamais respectées.
Je leur demande juste de ne pas avoir peur : dénoncer la
politique raciste et colonialiste de l’Etat d’Israël ne veut en
aucun cas dire qu’on est antisémite. BASONS-NOUS SUR LE DROIT
INTERNATIONAL et tout ira bien Simone, comme vous le faites
d’ailleurs si bien quand vous vous servez de votre plume acerbe
et sans fioriture quand il faut dénoncer les agissements
anti-démocratiques des pays-Bougnoules et des pays-Négros. Bref,
vous voyez très bien ce que je veux dire.
On
était parti rendre visite à des militants Peace and Love dans le
camp de réfugiés de Deisheh, tout près de Bethlehem, la ville où
serait né Jésus de Nazareth, l’un des plus célèbre Juif. On
avait discuté quelques heures pour prendre la température de
l’optimisme et ça n’allait pas fort de café : le moral des
Palestiniens était en berne, brisé par des années de lutte qui
semble n’aboutir à pas grand chose, sinon, à les enfermer
toujours encore plus dans leur misère. D’ailleurs, les Colons ne
sont pas dupes : un confrère (moi c’était niet pour aller leur
rendre visite, trop Bougnoule) était allé dans l’une des
colonies sauvages : elles sont tellement nombreuses en
Cisjordanie et poussent comme des champignons, illégales mais
tolérées, encouragées par l’Etat et protégées par la police.
Mon
collègue avait pu s’entretenir avec l’un d’entre eux. Il lui
avait avoué que dans leur secte toute pourrie, beaucoup étaient
au courant de l’exaspération des Palestiniens, et que c’était
pour ça qu’il fallait continuer sans complexe à construire des
baraques de merde. Il était 20h et il était temps de rentrer à
Ramallah, surtout qu’on était attendus par des étudiants
palestiniens qui nous avaient promis qu’ils nous apprendraient
la dabkeh, la danse la plus populaire du pays.
En
Palestine occupée depuis des lustres, les taxis collectifs
attendent d’être remplis pour pouvoir partir, et à cette
heure-ci, les voyageurs ne se foutent pas des torgnoles pour
avoir leur place dans le mini-bus climatisé. Nous étions trois,
trois de l’Occident, nous attendions à l’intérieur du van depuis
quelques minutes, les prix sont dérisoires en Palestine-quart
monde, et on a dit au chauffeur, c’est bon allons-y, on paie
pour les huit places. Il n’y a que quinze kilomètres entre
Bethléem et Ramallah, quinze bornes c’est que dalle, en courant,
moins d’une heure, en scooter 125, si je grille aucun feu rouge,
j’en ai pour un quart d’heure. Le chauffeur était accompagné
d’un ami. Les deux avaient de bonnes têtes d’Arabe. On était
bien avec eux, on écoutait des chants du Moyen-Orient et on
suivait le rythme de la musique en tapant des mains. Ensuite, on
s’est mis à danser et c’était le bonheur du paradis.
J’étais avec deux filles de chez nous, deux Françaises, Acht et
San, des femmes de conviction, des nanas courageuses, comme on
n’en trouve plus trop dans notre société qui ne pense qu’à son
nombril et à son compte en banque. C’était trop bien, vraiment,
on avait besoin de rien d’autre, trop de joie et trop d’amour
dans un seul endroit. Wow…La nuit avait posé ses valises, le
vent avait déménagé, la circulation était dense. A un moment,
j’ai même oublié que je me trouvais dans un pays sous occupation
militaire. Je me sentais libre. Ca n’a pas duré, on est arrivés
à proximité d’un check-point.
Des petits jeuneots arrêtaient les bagnoles qui disposaient de
plaques vertes (celles des Palestiniens). Les militaires-ados
ouvraient les coffres, vérifiaient les identités des passagers.
Sur le front, une torche puissante, leurs fusils prêts à
dégainer. Le chauffeur a baissé le volume de la sono, j’ai sorti
mon passeport BBR. Les soldats ont été rassurés de voir des
fromages qui puent, mais comme on traînait avec des frères de
Palestine, ils nous ont quand même considérés comme des
Bougnoules sans grade et on n’a pas pu prendre le chemin direct
vers Ramallah. Le chauffeur est resté silence, l’habitude de
l’humiliation, et on a bifurqué vers la droite. La route était
bloquée, on avançait plus du tout, plusieurs centaines de
voitures nous devançaient. Que des Palestiniens. On a pensé
faire demi-tour, le chauffeur a dit, il se peut qu’on arrive à
Ramallah dans deux heures, voire plus. J’ai demandé si ça
arrivait souvent, il a souri. J’ai dit ensuite : « comment les
gens font pour aller bosser alors ? », il a de nouveau souri. Il
était 21h30 et on avait quitté Bethléem à 20h. De l’autre côté,
sur notre gauche, des Israéliens, les voitures aux plaques
jaunes, filaient à toute vitesse.
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© Journal L'Humanité
Publié le 21 août 2009 avec l'aimable autorisation de
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