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Le web de l'Humanité
Le temps du retour
Nadir Dendoune
L'aéroport Ben Gourion de Tel Aviv
Mercredi 16 septembre 2009
Fin du voyage pour Nadir Dendoune dans son périple au
Proche-orient. Mais pas encore la fin des tribulations…
Jusqu’au bout. C’est à se demander « s’ils » ne font pas tout
pour te couper l’envie de revenir en Israël. J’avais un peu les
pétoches en arrivant à l’aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv, il
était deux heures et demie du matin, la nuit jouait la patronne
et mon avion s’arrachait à 5 heures. Ce n’était pas le probable
interrogatoire que j’allais devoir me farcir, comme tout
Bougnoule qui se respecte quittant le territoire israélien, qui
me faisait peur. Non. Je flippais que les Israéliens m’empêchent
de partir. Je ne m’étais pas rendu au commissariat le jour qui
avait suivi mon incarcération.
Les
policiers m’avaient demandé de passer les voir à ma sortie de
prison pour qu’ils me photographient de long en large et qu’ils
me prennent un maximum d’empreintes digitales. Comme un
criminel. Et ce, pour quelques photos prises et plus si
affinités. Je suis sorti du taxi-collectif en compagnie de trois
jolies nanas, des Françaises engagées du côté de la justice.
Comme
j’étais wanted, je leur ai dit de déguerpir, laissez-moi, je ne
suis pas le genre de type avec lequel il faut se faire voir. Je
les ai laissé partir devant. Je suis arrivé devant la porte
d’entrée, à moitié endormi, mais toujours aussi beau-gosse, il y
a des gens chez qui la fatigue, le stress, l’ennui, le
désespoir, n’ont jamais d’incidence sur leur physique. Un
monsieur, plus jeune que moi, m’a dit shalom, j’ai rien répondu,
je n’ai rien contre les messages de paix, mais tout de même, ils
m’ont fait chier pendant des semaines…
Il a
demandé mon passeport. Je lui ai dit, je ne suis même pas entré
dans votre aéroport, tu ne peux pas au moins attendre que je
sois à l’intérieur ? Il a sourit. Il m’a posé des questions,
j’ai été étonné : il ne voulait pas savoir le nom de mon père.
Au cas où il me le demande, c’est Mohand, Mohand-Abdallah, un
héros de l’Histoire de France. Il a voulu savoir où j’étais allé
ces derniers temps. Je lui ai dit Israël, c’est magnifique, le
soleil, la plage et les nanas. Je lui ai raconté que dès mon
arrivée j’avais rencontré une fille. Cette fille, je lui ai dit,
c’était une vraie plaque chauffante. Elle avait des yeux, un
regard à tuer tous les chagrins. J’ai continué les explications,
je lui ai dis que les vacances avec elle c’était « on mangeait,
on buvait et on niquait… ». Le matin, nous allions nous promener
sur le port de Jaffa, main dans la main, joue contre jour. La
brise nous caressait la nuque, nous trempions nos pieds dans
cette mer réchauffée par le soleil… Il a sourit. Il a demandé le
nom de cette fille et son adresse. J’ai pensé « petit vicelard,
tu aimerais bien te la faire, toi aussi ! ». J’ai voulu
répondre, cette fille-là est fidèle, elle n’a pas besoin d’aller
voir ailleurs. J’ai dit elle s’appelle Marie, une Française, en
vacances-prolongées chez vous, dans votre beau pays, la seule
démocratie du Moyen-Orient. Elle habite où Marie il a demandé ?
A Jaffa, dans un bel appartement qui donne sur la mer. Elle a du
pognon la petite, des parents qui ont hérité de leurs parents.
Il a
compris que je me foutais ouvertement de sa gueule mais il a
gardé son calme. Il m’a dit, ouvre-ton-sac. Il a sorti toutes
mes affaires et un de ses collègues est venu le soutenir. Ils
ont fouillé partout, ils ont trouvé les slips avec les traces de
dérapage, les chaussettes qui puent, la paire de basket remplie
de terre, le savon de Marseille, la corde à sauter, l’eau de
Cologne de maman, les préservatifs. Ils m’ont dit vas-y, tu as
passé la première étape avec succès. Je suis allé faire la queue
devant la zone d’embarquement. Il y avait du monde, beaucoup
d’Occidentaux, enfin, je voulais dire des Non-Bougnoules. Ma
barbe avait poussé et j’avais décidé de la laisser. Qu’ils
aillent se faire voir, j’en ai plus que marre d’essayer de
ressembler à un autre. Une nana très moche, c’est pas de sa
faute, m’a demandé mon passeport, ensuite elle a voulu savoir ce
que j’avais fait ces dernières semaines. J’ai eu envie de crier,
merde, c’est ma vie privée, je fais ce que je veux, en plus je
rentre chez moi, alors on s’en fout de ce que j’ai fait en
Israël, c’est du passé tout ça.
J’ai
répondu la même chose, les vacances de rêves, le coup de foudre,
l’amour qui te prend et qui t’emmène loin, les caresses, les
baisers, les regards, le cœur qui accélère, la vie qui semble
s’arrêter…J’avais la tête qui commençait à tourner. J’ai trainé
mon sac à roulettes comme on traine sa tristesse, j’avais les
épaules rentrées au maximum, les yeux tournés vers le bas. J’ai
attendu mon tour. Un monsieur, cheveux en brosse, la trentaine
sportive, m’a salué avec politesse. Il a pris mon sac et a collé
un 6 derrière. J’ai failli lui dire, je préfère le 8, c’est mon
numéro cache-malheur. Le 6, ça voulait dire : lui faut pas le
louper. On m’a demandé d’attendre sur une chaise, j’avais le
temps, ici ou ailleurs, où est la différence ? Du moment qu’ils
me laissent monter dans l’avion. Peu importe, fouillez-moi,
mettez-moi nu, astiquez vous l’asperge, ça m’est égal. Je ne
vous aime pas, je ne vous aimerai jamais.
J’ai
regardé autour de moi : les Occidentaux pure-souche passaient
sans encombre les points de passage. Un couple de retraités m’a
regardé de travers, j’avais l’habitude, ici ou là-bas, c’est la
même rengaine. On m’a dit suis-nous, on a besoin de te fouiller
meilleur. En profondeur…Dans une pièce, le rideau a été fermé.
En toute intimité. Déshabille-toi mon loulou, on kiffe ton
corps. J’ai retiré un par un mes vêtements, j’étais ailleurs, il
valait mieux. Je ne les aime pas, je ne les aimerais jamais. Le
policier me parlait pour me faire croire qu’il était gentil tout
de même, qu’il ne faisait que son boulot après tout, il n’était
que l’exécutant. Je ne répondais pas. Fouille-moi dix fois,
pose-moi toutes les questions que tu veux. Je suis retourné sur
la chaise que j’avais quittée.
D’autres Bougnoules de tous les autres pays du monde subissaient
peu ou prou le même sort. On a sorti de nouveau les affaires de
mon sac pour les scanner dans un autre endroit. Ils faisaient ça
machinalement, comme des robots. Une nana, taille de Sarko, a
voulu savoir ce que j’avais fait en Israël. J’ai éclaté de rire.
Les nerfs. J’ai voulu lui dire je suis allé baiser ta mère. La
fille était jolie. Mon avion décollait dans 45 minutes alors
j’ai pensé que ma patience devait avoir une ligne d’arrivée. Mes
affaires étaient éparpillées, l’eau de Cologne de maman galérait
toute seule sur une table en fer dégueulasse. J’ai vu rouge et
j’ai gueulé. Merde, faites-moi surtout pas rater mon avion, je
rentre chez moi, vous m’avez fouillé trois fois, laissez-moi
maintenant, je ne reviendrai plus dans votre pays de merde. J’ai
gueulé, je voulais me battre avec eux. Un type est venu me
calmer et m’a dit de ne pas m’inquiéter, qu’on en avait bientôt
fini…
J’avais le numéro 6 collé sur mon sac. J’ai pu ranger mes
affaires, ils ont gardé mon chargeur d’ordinateur, mon outil de
travail, pour le mettre dans une boite à part, parce qu’ils
voulaient s’assurer que ce machin n’était pas en vérité une
bombe. Une autre fille est arrivée, elle a essayé de jouer la
nana charmante, je l’ai regardé droit dans les yeux avec un
mépris. Elle perdait son temps. Elle pouvait ressembler à Sharon
Stone qu’elle ne m’aurait pas attendri. Mon vol s’en allait dans
une demi-heure. Je me suis assis de nouveau sur la chaise et je
les ai regardés tous ces douaniers. Ils étaient tellement
jeunes. Ils me rappelaient les militaires croisés ces dernières
semaines. J’ai alors pensé, et c’était la première fois que ça
m’arrivait, j’ai pensé que ces gamins-là, on leur avait bourré
le crâne. Depuis toujours, on leur avait dit les Palestiniens
sont vos ennemis, à la guerre comme à la guerre, les Musulmans
sont suspects, ne leur faites pas confiance, ils vous
poignarderont par derrière.
Je me
suis demandé s’ils savaient que leurs ancêtres avaient débarqué
il y a soixante ans en Palestine, qu’ils avaient chouré une
Terre peuplée d’habitants ? Etaient-ils au courant que des
Palestiniens (des Chrétiens et des Juifs aussi, mais en majorité
des Palestiniens) vivaient ici depuis des siècles ? Avaient-ils
entendu parler de la naqba (Catastrophe pour les Palestiniens) ?
C’est-à-dire la destruction de la société palestinienne suivie
de l’exil de la grande majorité d’entre eux. Savaient-ils que 60
ans après, des millions de Palestiniens étaient toujours
réfugiés, dispersés dans de nombreux camps du Proche-Orient,
voire exilés plus loin ?
La
nana jolie est venue me voir et m’a montré toutes ses dents.
J’ai tourné la tête. Je ne pouvais pas lui sourire. Je voulais
lui dire désolé mais maintenant j’ai vu. J’ai entendu et j’ai
compris. Rien à foutre de ta soi-disant démocratie, de tes
élections libres, de ton égalité hommes-femmes…Tout ça, c’est du
vent, de la vaseline. Je ne laisserai plus personne me raconter
des salades. Mais tu es malin : tu connais le niveau de la
culpabilité occidentale : il y a soixante ans, ces enflures ont
tourné la tête et t’ont laissé crever, aujourd’hui ils ont
toujours la tête de l’autre côté et te laissent toi, qui a tant
souffert, en crever d’autres.
Un
jour, crois-moi, oui, un jour, tu le regretteras. Ma mère m’a
toujours dit que tout se paie. J’ai filé à la porte
d’embarquement. J’avais le cœur serré, l’eau qui n’en finissait
plus de couler de mes rétines, la gorge ligotée. Je partais. Vu
mon pedigree, je partais peut-être pour de bon. Je ne sais pas
si on me laisserait revenir. J’ai regardé une derrière fois
derrière moi. Une hôtesse m’a demandé de me dépêcher. Je l’ai
regardé, je me suis avancé vers elle et j’ai fait-demi-tour.
J’étais au milieu de la salle. Le temps semblait s’être arrêté.
Je me suis mis à pleurer comme une madeleine. Je tremblais de
partout. J’ai serré les poings. J’ai essuyé mes larmes avec la
manche de ma veste. Et j’ai crié en français, la langue du pays
des Droits de l’Homme : « Merci à toi la Palestine, je suis
désolé mais je ne peux pas t’aider plus que ça, je dois partir.
Je suis désolé mais je ne pourrais jamais te rendre ce que tu
m’as donné ».
© Journal L'Humanité
Publié le 17 septembre 2009 avec l'aimable autorisation de
L'Humanité
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