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Le jour où j'ai pris
une pierre ...
Nadir Dendoune
Le tombeau d'Arafat - Photo Wikipedia
Dimanche 16 août 2009
Nadir Dendoune est journaliste indépendant. Durant son périple
en Israël et Palestine, il décrit ce qu’il vit et ressent.
Aujourd’hui : le tombeau d’Arafat.
A Ramallah, les portraits d’Arafat sont visibles partout,
dans les salons de coiffure et les kébabs, à l’intérieur des
chaumières, sur les murs de la ville où les images de l’ancien
raïs vieillissent avec le temps mais restent toujours intactes.
Les citoyens lambda disent de lui que c’était quelqu’un
d’abordable, qu’on pouvait venir le déranger à tout moment.
En 2002, je m’étais pointé devant son palais, les chars
israéliens encerclaient son QG. Une bande de gamins refaisaient
l’intifada, mimant leurs ainés en balançant des pierres sur les
soldats. Je m’étais approché, David contre Goliath. Je voulais
les prendre en photo, ils n’étaient pas d’accord, je pouvais
être un espion. Ils m’ont montré des pierres, j’en ai pris une,
ils ont été surpris. J’en avais trop envie, j’en avais tellement
rêvé en fait. J’ai grandi dans une cité en Seine-Saint-Denis et
même si la situation en Palestine ne peut être comparée aux
conditions des quartiers impopulaires, en les voyant se battre
contre l’occupant, je me suis revu enfant. Leur histoire me
bouleverse, elle devrait bouleverser tous ceux qui ont subi
l’injustice à un moment de leur vie. J’ai pris de l’élan et j’ai
lancé le caillou avec toute la force qu’il me restait.
J’en ai ramassé d’autres en m’approchant toujours de plus
près. Ce n’était pas un soldat israélien que j’avais en face
mais un CRS, un policier français, le même mépris pour ces
enfants de Palestine, la même violence, la même arrogance, pour
les jeunes des banlieues. Un soldat est sorti de son char et a
fait mine de nous viser. Les mômes ont compris que j’étais avec
eux et m’ont demandé de les prendre en photo en action. Je
n’avais pas peur. J’aurais pu mourir ici, vraiment, je ne
pouvais pas faire autrement, il y a un moment dans la vie où il
ne faut pas réfléchir, aller à fond dans l’émotion, laisser le
cœur dicter nos actes. Les chars se sont avancés, les enfants
ont reculés, les soldats ont reculés, nous nous sommes
approchés. Je me suis senti Palestinien. J’ai du partir,
l’après-midi souhaitait faire une sieste. Je les ai quittés en
frères d’armes. Je suis retourné devant le Palais. J’ai attendu
plusieurs heures et j’ai pu finalement m’entretenir avec Yasser
Arafat pendant quelques minutes. Je n’ai même pas été fouillé.
J’ai vu un résistant fébrile mais sa volonté était intacte.
Je lui ai parlé de mes deux pays, il m’a dit je les aime tous
les deux. La France et sa politique étrangère « pro-arabe ».
L’Algérie et son soutien inconditionnel à son parti l’OLP. Je
l’ai enlacé, je tremblais de tous mes membres. Arafat est mort,
mais ne le dites pas trop fort parce qu’ici on parle toujours de
lui au présent. Pour les Palestiniens, c’était Abou Amar, parce
que même entré en politique, il restait aux yeux de ses frères
un guerrier. Il est enterré dans la cour à la Mouqaata, l’ancien
quartier général de l’Autorité palestinienne, où depuis sa
disparition, un mémorial blanc a été construit en son honneur,
un magnifique lieu à la forme de la Kaaba (la pierre de la
Mecque). Deux gardes se tiennent au garde à vous, ne bougent pas
d’un orteil même sous les flashs des appareils-photos. Ils font
face au tombeau. Sur la gauche, une mosquée moderne à l’image de
la personnalité de l’ancien président. Arafat avait exprimé le
souhait d’avoir sa sépulture sur l’esplanade des Mosquées à
Jérusalem-Est. Israël lui a refusé ce droit, le ministre de la
Justice de l’époque avait déclaré : « Arafat ne sera pas enterré
à Jérusalem parce que c’est une ville où sont enterrés les rois
des Juifs et non pas les terroristes arabes ».Ariel Sharon, son
ennemi de toujours, alors premier ministre, avait ajouté :
« Tant que je serai au pouvoir, et je n’ai pas l’intention de le
quitter, Arafat ne sera pas enterré à Jérusalem ». Israël
craignait surtout que sa tombe ne se transforme en un lieu de
pèlerinage pour les Palestiniens. Arafat est mort, emportant
avec lui le maigre espoir de voir un jour une Palestine libre.
Mahmoud Darwich, considéré comme l’un des plus grands poètes
palestiniens, a écrit un poème en hommage à Yasser Arafat. Ce
texte est gravé sur une stèle à l’entrée du mémorial.
Yasser Arafat était le chapitre le plus long de nos vies et
son nom était l’un des noms de la Palestine nouvelle,
renaissante des cendres de la Naqba (la catastrophe pour les
Palestiniens, quand ils ont été chassés de leur terre en 1948),
en passant pour la flamme de la résistance jusqu’à l’idée de
l’Etat et en chacun de nous, il y a quelque chose de lui.
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© Journal L'Humanité
Publié le 17 août 2009 avec l'aimable autorisation de
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