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La prison, ça a la même gueule partout
Nadir Dendoune

Vendredi 14 août 2009

Nadir Dendoune est journaliste indépendant. Il est en Israël et Palestine pendant une vingtaine de jours. Il décrit ici ce qu’il vit et surtout ce qu’il ressent. Troisième épisode : la prison.

La prison, ça a la même gueule partout. C’est juste le goût qui change. En Israël, dans la seule démocratie du Moyen-Orient (ne rigolez pas !), la zonzon ressemble, à première vue, aux geôles des pays « civilisés » : un passage dans un commissariat, une GAV (garde à vue), la possibilité de passer un coup de fil, de boire un verre d’eau, de bouffer un bout de pain, on vous lit même vos droits, et on peut aussi plaisanter avec les officiers sans se prendre une baffe dans la tronche.

C’était un mardi, soleil toujours au zénith, une chaleur de réchaud à gaz. Une famille de Palestiniens du quartier de Sheik Jarrah, à Jérusalem-Est, venait de se faire chourer leur maison. Leur expulsion était légale puisque le juge avait donné son accord. Les Colons, (cœur de pierre), certain que la Terre d’Israël leur appartient, n’avaient pas perdu une minute et on les voyait regarder les news, sagement installé sur leur canapé-lit. Quelques journalistes étaient présents. Pas la foule des conseils de ministres. Les policiers étaient postés devant la maison des nouveaux propriétaires.

On a vu le bras armé de l’Etat partir quelques minutes en direction de leurs voitures garées plus haut, une feinte pour nous piéger. On s’est approchés sans se méfier et on a profité de leur absence pour mitrailler la maison maudite. Les flics sont revenus très vite en petit groupe, ont bloqué toutes les entrées-sorties. L’un d’eux a voulu arracher mon appareil-photo. J’ai vu dans ses yeux qu’il était la réincarnation du vice. Je l’avais déjà croisé il y a quelques jours et on ne s’aimait pas, il m’avait foutu des coups de latte dans le pied pour que je dégage, je l’avais photographié de près et plus si affinités.

C’était du passé. Je me suis reculé et j’ai donné mon appareil à une autre collègue. Je me suis retourné, j’ai vu une ombre derrière. D’autres policiers sont arrivés en courant : des rhinocéros qui devenaient loufoques et qui se mettaient à charger. J’ai arrêté tout mouvement, j’ai mis mes mains vers le ciel, de peur d’être massacrés.

Les flics sont sanguins, certains font ce métier pour cogner sur les gens, ça les rend tout dur au niveau de la braguette. Ils criaient en hébreu, cette langue est déjà assez agressive comme ça sans qu’on en rajoute dans les décibels. Ils m’ont saisi, on n’est pas au marché j’ai pensé, j’étais comme un sac de pommes de terre qu’on transporte sans ménagement. Ensuite, ils m’ont enfermé dans leur voiture pin-pon. Des coups de poings ont atterri sur mon ventre, et des insultes ont fusé : « on va te tuer, tu crois que tu peux faire ce que tu veux ici ». Ils ont pris mon passeport et ils ont insisté sur mon prénom : « t’es un Arabe, pas Français, un muslim ». Ils auraient pu dire un Palestinien. C’était ça l’idée.

Je suis resté silencieux, j’ai planté mon regard dans le vide pour chercher autre chose. Je voyais au loin mes collègues s’inquiéter de mon sort, je les voyais, ils étaient à distance, empêchés par l’armée d’avancer. La camionnette est partie, ça sentait le roquefort moisi. Au commissariat, on m’a demandé mon prénom, mon nom et le nom de mon père. J’ai répondu, je suis relou comme mec mais je suis poli. Je me suis assis sur une chaise, je n’avais pas les menottes. A moitié libre. Un flic est arrivé, bonne gueule, un anglais parfait. C’était le policier gentil, comme on en trouve dans tous les commissariats du monde. On a rigolé, je ne voulais pas rire avec lui, parce que je les connais, ce sont tous des pourris.

Une heure est passée et il a voulu savoir mon prénom, mon nom et le nom de mon père. J’ai répondu. Un collègue a montré son corps et son sourire dans la pièce où nous étions, j’ai été surpris de le voir, les policiers l’avaient laissé entrer. Ca m’a rassuré, je n’étais pas perçu comme un criminel. Il est resté à mes côtés. Le flic-bonne-gueule nous a demandé de sortir et d’attendre sagement sur une chaise. On a parlé de la situation qu’on était en train de vivre. Le taxi avec lequel était venu mon confrère nous attendait en bas depuis un bon bout de temps. Le chauffeur est monté pour voir dans quel sens notre affaire se dirigeait, s’il y allait avoir un sens interdit ou si on allait pouvoir reprendre la route sur une autoroute cinq voies. Un vrai moulin ce commissariat, je me suis dit. Le policier bien gentil a demandé à mon acolyte de redescendre, il souhaitait vérifier quelque chose avec moi. Je ne me suis pas méfié, il avait été tellement sympa. J’avais même oublié un moment que j’étais un Arabe dans un commissariat israélien. Il a sourit, ses mains sur ses hanches, il a dit, j’ai une mauvaise nouvelle, tu es arrêté, tu as le droit de garder le silence, tout ce que tu diras pourra être retenu contre toi, etc…Comme à Hollywood. J’ai pas cru à son histoire, j’ai répondu tu rigoles, c’est une farce, moi en prison ? Il avait l’air désolé, c’était pas sa faute. Il avait essayé de convaincre ses chefs, il leur avait dit c’est un bon gars ce Français-Arabe dont le père se prénomme Mohand. Il m’a dit dix fois je suis désolé, je t’aime bien, tu as l’air correct. Je me suis énervé, je lui ai dit ne me parle plus, tu m’as bien eu avec ta gentillesse à deux shekels.

J’ai attendu dans une autre salle et j’ai eu le droit aux menottes en ferraille. J’avais oublié quel goût elles avaient. J’étais dégoûté mais je devais garder le moral. Il y a eu un moment de flottement, où rien ne se passe, où tout se fige. Les policiers criaient, leurs voix me tapaient sur le système humain. Je ne les aime pas, je crois que je ne les aimerais jamais, je dis ce que je pense. Je n’ai rien à vendre. On m’a fait sortir du magasin de police, menotté en haut et en bas, Guantanamo style. Je suis monté dans une fourgonnette, des gens m’ont regardé, je faisais terro. La nuit avait mis un coup de latte au jour quand je suis arrivé à la Prison, dans le quartier russe de la ville, une tôle connue pour les sévices infligés aux prisonniers palestiniens. J’ai redit mon prénom, mon nom et le nom de mon père : Mohand. J’étais fier du prénom de mon daron. J’ai rendu mes effets, mes thunes, vingt shekels, une ceinture en cuir acheté aux Puces de Clignancourt. Ensuite, on m’a mis tout nu, heureusement que je suis tout en muscle, je me suis senti moins humilié.

On m’a redemandé mon prénom, mon nom et le nom de mon père. Je me suis énervé et j’ai dit regarde sur mon passeport ! J’ai attendu dans une cage individuelle, à l’intérieur, un banc en pierre. J’avais toujours les menottes et les chaines autour des chevilles, comme au temps de la traite des Noirs, dans le pays le plus démocratique du Moyen-Orient. Je voulais dormir. Je somnolais, un type est entré. Mon prénom, mon nom et le nom de mon père. Je me suis rendormi. Il m’a tapoté l’épaule pour que je me réveille. J’ai pas répondu, faut arrêter de me prendre pour un con. Il est ressorti. Une heure s’est écoulée et un autre gars m’a dit de le suivre. On a marché dans les corridors, les cages étaient remplies de prisonniers. J’ai croisé des taulards et je les ai salué en muslim, le maton a pas aimé et a commencé à s’exciter. Il m’a tiré par le bras pour me remettre dans son droit chemin. Ensuite, on m’a dit d’attendre devant une porte, le numéro 10 inscrit en grosses lettres dessus, le numéro de Zidane en équipe de France. Je suis entré. Je n’étais pas seul, salaam alikoum j’ai dit, à l’intérieur, ils avaient tous des têtes de Bougnoules. La porte s’est refermée. Neuf Palestiniens m’ont regardé, j’avais un short à la mode et un t-shirt siglé 93, le département de la dignité. Ils m’ont demandé d’où je venais : j’ai menti à moitié : j’ai dit que j’étais Algérien. On m’a filé à boire, des choses à grignoter, mais on m’a surtout sourit.

Mon lit était celui à gauche de la porte. On a ri, des blagues sur l’autre Sexe, ça marche toujours, désolé la gente féminine ! On est parti dormir, pas pour longtemps, la lumière s’est allumée. Une lumière collective, les matons peuvent l’actionner à tout moment. Un gardien est entré avec arrogance et les autres se sont levés. Je suis resté dans mon pieu : je ne connaissais pas encore les règles du jeu de la démocratie. Il m’a gueulé dessus, ou peut-être qu’il parlait toujours de cette façon. Nos prénoms, nos noms et le nom de nos pères. J’avais jamais dit Mohand autant de fois dans une soirée. Redodo. Puis, de nouveau, la lumière s’amuse…J’ai fermé les yeux pour les rouvrir une nouvelle fois. Cette fois-ci, je me suis levé en même temps que les autres prisonniers. Tournez manège. Ca a duré jusqu’au petit matin.

Le jour s’est levé sans les croissants, juste du pain sec et un œuf dur. Welcome to Israël, the only democracy in the Middle East. Une petite ballade dans une cour carrée pour détendre les muscles et pour se jauger entre prisonniers. Beaucoup de Palestiniens mais aussi des Juifs. Ils sont rarement dans les mêmes cellules. Les matons sont plus corrects avec les Juifs. L’heure du transfert chez le juge. Une heure pour sortir de la prison. Les chaines aux chevilles, menottes aux mains, on monte dans un camion. Au palais de justice, on est quinze dans une cage de 15m², les plaintes pleuvent, faites en sortir, on en peut plus. On fume clope sur clope et la ventilation est en vacances au nouvel hôtel cinq-étoiles construit à Jérusalem-Est. On attend notre tour. Le mien arrive vers 10h20. Mes amis sont là, il y a également deux nanas du consulat français qui me sourient pour m’aider à tenir bon ; à l’étranger il n’y aucun doute sur notre francitude.

J’ai une avocate, une as du barreau, une Israélienne engagée. Le juge gueule. Enfin, il a pas l’air content. Pas d’interprète pour moi, heureusement la diplomate française se propose de faire les traductions. Le juge crie, j’aimerais pas être sa nana, lui et l’avocate, ils ne partiront jamais sur les bords de la Mer Morte passer des vacances. Le juge me libère : j’ai l’interdiction de me rendre à Sheik Jarrah pendant 181 jours. Pas d’amende, aucune charge retenue, un procès pour que dalle. Je suis libre. Enfin presque. J’ai toujours les chaines au pied et je repars en prison. Il est 11h. On me change de cellule, m’emmène dans des bureaux, me demande encore et encore mon prénom, mon nom et le nom de mon père. Je réponds une fois sur trois. Ce petit jeu dure jusqu’à 19h. Torture psychologique. J’imagine un mois ici. J’imagine un Palestinien qu’on enferme deux mois. Je sors de prison. La nuit m’accueille. Mes amis sont là, accompagnés d’un journaliste palestinien. Il y a de l’émotion dans leurs mots, dans leurs gestes et dans leur regard. Moi, j’ai la rage. Ah oui, j’ai la rage.

 

© Journal L'Humanité
Publié le 14 août 2009 avec l'aimable autorisation de
L'Humanité



Source : Le web de l'Humanité
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