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Le web de l'Humanité
Israël-Palestine,
voyage au coeur des peuples
Nadir Dendoune
Mercredi 12 août 2009
Nadir Dendoune est journaliste indépendant. Il est en Israël et
Palestine pendant une vingtaine de jours. Il décrit ici ce qu’il
vit et surtout ce qu’il ressent. Premier épisode : l’aéroport de
Tel Aviv.
Les villes ressemblent aux gens, le temps les fait changer.
Parfois en bien, souvent en mal. A Jérusalem, capitale convoitée
par les trois religions monothéistes, le temps est trop pressé
pour s’arrêter. Sept années se sont écoulées depuis ma dernière
visite. Arafat était coincé dans son palais, les chars
israéliens encerclaient sa demeure et la partie arabe de la
ville sainte retenait son souffle. On arrive par l’aéroport de
Tel-Aviv et dès le début, on sait qu’avec sa gueule de métèque
et son patronyme bien muslim, on va devoir passer de bureau en
bureau pour subir un interrogatoire.
On essaie tout de même d’afficher son meilleur sourire quand on
présente son passeport à la nana de la douane. Elle vous demande
votre prénom et votre nom, elle oublie le bonjour, elle ne sait
pas lire, je me mets à penser, mais je réponds Nadir Dendoune,
j’ajoute je suis né à Paris, histoire de brouiller les pistes et
pour qu’elle croit que je suis un digne héritier de Charlemagne.
Le nom de mon père ? La filiation, elle veut savoir les
origines. C’est Mohand, je réponds, immigré algérien
analphabète, venu prêter main forte à la France dans les années
50. Elle sourit, c’est un sourire de façade pour mieux attaquer
derrière. « Va attendre dans la pièce là-bas », qu’elle me
lance, en montrant avec son index une sorte de salle d’attente
plantée sur le côté gauche de l’aéroport.
Ils finiront par me laisser entrer, je suis Français, même si
j’ai trop pris le soleil, je suis également journaliste, carte
de presse 106731, document installé sagement à l’intérieur de la
poche de mon pantalon. Je ne suis pas seul à être suspecté de
quelque chose. Beaucoup de « têtes cramées » attendent sagement
sur un fauteuil confortable mais il y a aussi quelques hippies à
la peau blanche, sans doute des gauchistes. Une télé crache un
programme en hébreu. Les gens n’osent pas parler. Il y a une
caméra cachée juste derrière la machine à café, je l’ai vue en
arrivant, certains ne l’ont pas aperçue, mais tout le monde doit
savoir que quelqu’un nous filme. On t’appelle, ils écorchent les
noms, alors personne n’est certain que c’est bien soi qu’on
vient chercher. On nous emmène dans une pièce, et on redemande
le prénom, le nom, et le nom du père, amen ! On veut savoir
pourquoi on vient en Israël, ils trouvent étrange que des
personnes veulent juste visiter et que le tourisme c’est
international.
Ils ont besoin de deux adresses email, une professionnelle et
une personnelle, et comme on a qu’une seule envie : c’est de
sortir de ce putain d’aéroport, on finit par abdiquer. Ils
gardent votre passeport et vous demandent de revenir dans la
salle d’attente. L’horloge tourne. Ils ont le temps. Tic-Tac,
Tic-Tac. Une nana, une blonde pétillante, semble contrariée.
J’engage la conversation avec elle. Elle me reconnait : on était
ensemble en business class avec la Swiss Air, on avait un billet
en classe éco et on nous avait tous les deux, « upgraded ». Elle
est Belge. Elle a voulu jouer l’honnêteté avec les douaniers,
elle leur a dit qu’elle allait en Cisjordanie. Il ne faut jamais
dire qu’on va rendre visite aux Palestiniens. Beau contact, on
se raconte nos vies, pas de problème de branchement. D’autres
filles sont assises à côté, des Bougnoules-Américaines. Pour les
Israéliens, des Américains de seconde classe.
L’une d’entre elle n’a pas 13 ans. C’est ridicule. Je balance
une vanne. Tout le monde explose de rire. Je suis de nouveau
appelé. La même putain de question : le prénom, le nom et le
prénom de mon père. Je pense qu’il vaut mieux éviter de venir en
Israël, si on vient juste de perdre son daron, imaginez : avoir
à dire plusieurs fois le prénom de son papa qui vient de partir
…Le gars a l’air sympa : good cop-bad cop, vieille ruse à deux
shekels, la monnaie locale. On se détend. Les raisons de mon
voyage en Israël ? Du tourisme, je réponds, et puis si j’ai le
temps, peut-être un, ou deux reportages, faut voir. Je voyage
avec une mini-caméra, et comme elle fait pro, il se doute bien
que je vais m’en servir. Il me demande dans quelles villes je
compte me rendre, si j’ai déjà un numéro de téléphone israélien,
si j’ai de la famille ici ou des amis, tu me fais chier,
j’aimerais lui balancer à la figure. J’attends déjà depuis près
de deux heures et c’est pas tout Simone, mais j’ai un autre bus
à prendre pour aller à Jérusalem. « Bon, je finis pas lui dire,
google mon nom, et tu verras qui je suis ». « C’est déjà fait,
me réponds-il, tu peux partir ».
Nadir Dendoune est journaliste, et auteur notamment d’un
livre, Lettre ouverte à un fils d'immigré.
La semaine passée, son travail, photographier l’expulsion de
Palestiniens de leur maison
lui a valu une arrestation par la police israélienne.
© Journal L'Humanité
Publié le 12 août 2009 avec l'aimable autorisation de
L'Humanité
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