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Le temps des adieux
Nadir Dendoune
Photo: Palestine Solidarité
Lundi 7 septembre 2009
Nadir Dendoune est journaliste indépendant.
Durant son périple en Israël et Palestine, il décrit ce qu’il
vit et ressent. Aujourd’hui : la fin du voyage se profile.
Ash,
quand elle parle, tout le monde ferme sa gueule. C’est pas
qu’elle soit agressive, c’est juste qu’elle impose le respect.
Son papa est Palestinien et sa maman Yougoslave, ou vice-versa,
je ne sais plus, je pourrais lui demander mais ça ne changera
pas ce que je pense d’elle. Je crois juste qu’avec une filiation
pareille, on est obligés d’être un battant. Ash est une
guerrière. Elle est solide. Enfin, elle reste une femme…C’était
l’heure du départ. Les étudiants palestiniens attendaient qu’on
boucle les bagages pour venir nous dire au revoir, à bientôt,
peut-être en France, si le Consulat de la délivrance des visas
leur fait une fleur.
Ash
avait une grosse valise noire, elle a demandé au
secours-aidez-moi et un Palestino est venu l’aider. Il fallait
partir, déjà deux heures de retard. San était déjà prête, enfin,
son sac attendait sagement dans le couloir. Il fallait partir
vraiment, on nous attendait à Jérusalem-Est, de plus en plus
colonisée, de plus en plus juive, de moins en moins muslim, de
plus en plus cruelle. Ash a fait semblant qu’elle avait oublié
quelque chose dans sa chambre, je savais que c’était du vent
cette histoire de l’oubli. Elle ne voulait pas les quitter ces
frères de la souffrance. Elle est allée ensuite dans les
chiottes. J’avais pas installé de caméras mais je savais qu’elle
faisait tout pour pas niquer son mascara. Elle est ressortie et
elle a dit allons-y, sa voix était serrée comme un entonnoir.
San a baissé les yeux, j’ai pris leurs deux valises pour
qu’elles puissent pleurer les mains vides.
Un
étudiant nous a accompagné jusqu’à l’arrêt de bus. J’ai essayé
les blagues pour faire passer la pilule de la tristesse des
au-revoir, qui ressemblait vachement à des adieux. Le soleil
jouait de nouveau l’enfant de pute. Je venais de prendre ma
douche et je transpirais déjà comme un yack. Ash et San parlait
avec silence. On a dit encore au-revoir-merci-pour tout et on
est montés dans le taxi-collectif. Ash la guerrière a fini par
craquer et avec San on lui a touché une main chacun pour lui
dire qu’on l’aimait et que nous aussi, on ne voulait pas partir
mais qu’on n’était pas comme elle, pas assez courageux pour
pleurer. Le taxi collectif filait à toute vitesse. On est
descendus et on s’est mis à trouver une bagnole. On cherchait un
Arabe-Israélien qui rentrait au bercail, un mec avec une bagnole
aux plaques jaunes. Un gars, la vingtaine-bien-entamée attendait
sagement le coffre ouvert. Il avait une bonne gueule alors on a
embarqué avec lui.
On a
roulé pas grand-chose et le check-point a montré sa tronche de
l’injustice. San n’avait pas de visa d’entrée sur son passeport
de la France-des-Droits-de-l’Homme alors le militaire, tête de
puceau, nous a dit c’est pas possible, il faut faire demi-tour
et retourner chez les Arabes, j’ai failli lui dire « merci, on
meurt d’envie de retrouver nos frères ». J’ai expliqué que les
douaniers à Tel-Aviv avaient tamponné le droit de voir la misère
de la Palestine sur un bout de papier et que comme San vit trop
avec son cœur et que c’est pour ça qu’elle a la tête ailleurs.
Le policier n’en démordait pas : pas de visa, pas de
laissez-passer. San s’est emportée, est sortie de la bagnole, a
fouillé dans son sac, a sorti son billet d’avion, la preuve
qu’elle était bien arrivée à l’aéroport Ben Gourion, elle a fait
tout ça en moins de deux minutes, elle avait peur qu’avec le
temps, elle finisse par perdre un boulon. Le militaire a regardé
avec une grande attention le papier puis il a regardé son
collègue. J’ai dit demain on rentre en France, à Paris, la
capitale de l’Amour, j’ai de nouveau expliqué la raison de
l’absence du visa. Ash ne disait rien, elle était assise et elle
regardait devant elle. Je crois qu’elle regardait derrière.
On a
pu passer de l’autre côté parce qu’on avait réussi à être bon
dans la conviction. On est passé devant le tramway pas encore
fini (construit par Cocorico Alsthom et Veolia) mais qui à terme
entubera encore plus et sans vaseline les Palestiniens. Le
gouvernement de l’apartheid a pensé à ce moyen de locomotion
moderne pour relier plus rapidement Jérusalem Ouest aux colonies
juives des Territoires occupés en passant par Jérusalem Est (la
partie arabe de la ville). En clair, une autre manière de
renforcer la colonisation de la partie annexée de la ville
(toujours pas reconnue comme légitime par le droit
international). Mais ça (et le reste) ne fait pas d’Israël un
état voyou, non, pour cela il faudrait que l’Etat pas tout à
fait hébreu organise une soirée-presse (caméras de télé plus que
conviés) où les militaires israéliens allumeraient avec une
kalachnikov une centaine de Palestiniens, puis on les verrait
les enterrer sans cercueil, avant qu’ils mettent le feu aux
corps inanimés. Qu’il y en ait un qui vienne me parler de
justice internationale et je lui fous mon poing sur la gueule.
Le
chauffeur sans licence homologuée pour transporter des passagers
nous a laissé à deux pas de l’hôtel. Ash parlait toujours avec
le silence. San est passée devant et moi j’ai suivi en trainant
les sandales. C’était pas la joie Simone, vraiment pas la joie.
On a posé les valises et on est parti diner. Au resto, Ash a
demandé si on pouvait aller là-haut sur la terrasse où il n’y
avait personne. A trois, la tristesse n’a pas d’autre choix que
de tourner en rond. Ash n’a pas fini son assiette, elle a
préféré fumer clope sur clope. Elle s’en allait dans quelques
heures rejoindre sa fille et son compagnon resté en Hexagone.
Moi, je prenais l’avion le jour d’après. Ash a dit j’ai besoin
de faire une sieste pour être prête à l’aéroport. Dormir, pour
mieux répondre à l’interrogatoire des douaniers. Je suis venu la
réveiller peu après minuit. Un tacot l’attendait en bas. Sa
valise noire avait des problèmes de circulation : ses roues
étaient déglinguées. Le chauffeur a eu un mal de ouf pour faire
entrer le bagage XXL dans le coffre de sa voiture. Ash a sourit.
San a sourit. J’ai sourit. On avait partagé tellement de choses
ensemble. Ensuite, je l’ai serré très fort comme si je n’allais
plus la revoir.
© Journal L'Humanité
Publié le 8 septembre 2009 avec l'aimable autorisation de
L'Humanité
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