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Analyses
Plaidoyer pour une
éthique islamique en écologie - Partie I
Nabil Ennasri
Lundi 10 mai 2010 Le changement climatique constitue
certainement le plus grand défi que l’humanité devra relever au
cours du XXIe siècle. L’espèce humaine dispose aujourd’hui de
très peu de temps pour renverser le cours d’une tendance qui
menace son existence. Les signes manifestes d’une planète malade
ne manquent pas, et tout porte à croire que les
dysfonctionnements du climat généreront des catastrophes de plus
en plus brutales. La manière dont le monde gère aujourd’hui
cette crise aura des conséquences directes sur la vie des
générations futures.
Une réponse planétaire doit donc être apportée au
danger du réchauffement climatique. Comme pour les autres
traditions philosophiques ou religieuses, l’islam se doit d’être
à la hauteur de ce défi d’un genre nouveau. L’objet de cette
contribution est de proposer des pistes pour placer la question
de l’écologie au centre de la pensée islamique d’aujourd’hui et
d’engager les musulmans dans une prise en compte accrue des
préoccupations de l’environnement dans leur vie quotidienne.
I – Un
constat alarmant
A part
quelques personnalités ou groupuscules aux motivations obscures[1],
plus personne ne nie la réalité du dérèglement climatique et que
c’est bien l’activité de l’homme qui en est à l’origine. Le
Rapport mondial sur le développement humain 2007-2008
consacré à la lutte contre le changement climatique et rédigé
par les experts du Programme des Nations Unies pour le
Développement (PNUD)[2]
aboutit à des conclusions alarmantes : « il reste à
l’humanité moins de dix ans pour retourner la situation ».
Si rien n’est fait dans les plus brefs délais, le monde entrera
dans une ère d’incertitudes où les foudres du climat auront pour
les 40% de la population mondiale la plus pauvre – soit environ
2,6 milliards de personnes – des conséquences apocalyptiques[3].
A terme, c’est l’ensemble de l’humanité qui en subira les effets
néfastes et destructeurs.
Lors de
l’une des ses dernières réunions, le GIEC (Groupe
intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat qui
regroupe 2500 chercheurs provenant de 130 pays et dont
l’ensemble des publications est soumis au consensus), auteur
d’un rapport détaillé sur la question en 2007, mettait en
évidence que c’est, parmi les scénarios qu’il avait élaborés,
« le plus noir » qui se profile désormais[4].
Entre 1990 et 2006, le monde a connu les treize années les plus
chaudes depuis 1880, date qui marque le début de l’ère
industrielle. Quasiment tous les scientifiques reconnus du monde
sont formels : le rejet et l’accumulation des gaz à effets de
serre, responsables du réchauffement de la planète, sont
beaucoup trop importants et sans la mise en œuvre de mesures
draconiennes de réduction, les températures moyennes mondiales
risquent d’augmenter de plus de 5°C. Pour situer les choses, le
rapport du PNUD indique qu’un tel différentiel de 5°C correspond
aux « changements de températures observées depuis la
dernière ère glaciaire, une ère où une grande partie de l’Europe
et de l’Amérique du Nord se trouvait sous plus d’un km de
glace »…
Face à ce
péril, le monde a commencé à prendre conscience de l’urgence
d’une mobilisation. Seulement, en dépit de tous les rapports et
autres mobilisations, l’échec du sommet de Copenhague censé
prendre le relais du Protocole de Kyoto démontre tristement que
les responsables politiques actuels sont dans l’incapacité
d’étendre leur vision au-delà des échéances électorales. Pire,
on assiste aujourd’hui à une forme de régression en la matière
du fait de la combinaison d’une crise économique, qui relègue au
second plan l’impératif écologique, avec une offensive de
groupuscules “climato-sceptiques“ aux pratiques peu scrupuleuses[5].
Alors que le changement climatique nécessite plus que jamais des
actions d’envergure tant au niveau local que national et
mondial, la déception d’avoir échoué à Copenhague, doublée d’un
manque de volontarisme politique qu’illustre, en France,
l’annulation de la taxe carbone, sont des motifs suffisants de
préoccupation. Chaque jour qui passe complique davantage la
tâche et considérant l’inertie et le manque de courage des
responsables politiques, il revient à la société civile mondiale
d’agir dans ce domaine. La gravité de la crise environnementale
nécessite, en effet, la mise en mouvement de toutes les
composantes de la société, dont les communautés religieuses.
C’est dans ce cadre que les musulmans ont le devoir d’apporter
leur contribution à la sauvegarde d’une planète à la santé si
fragile.
II – L’écologie, une préoccupation première de l’islam
Cette contribution doit d’abord se faire à partir d’une
relecture des sources premières de l’islam. En effet, il n’est
pas souhaitable que les musulmans soient à l’écart de ce
mouvement global destiné à sauver la planète d’une détérioration
annoncée. Depuis quelques années, certains penseurs ont ainsi
mis en évidence l’urgence d’une acceptation plus profonde de la
dimension écologique dans les objectifs supérieurs de la
Législation (Mâqasid Ash Shari’a). Cette nouvelle
tendance, même timide, mérite d’être débattue, approfondie et
diffusée le plus largement possible.
Dans ce cadre, il faut d’abord rappeler que la préoccupation de
l’environnement et le respect de la Nature sont au cœur des
principes islamiques. Les exemples sont légion où le Prophète
Mohamed (Saw) interpellait ses compagnons quant au caractère
sacré de la Nature qui les entoure. Dans un célèbre hadîth,
le Prophète, passant près de Sa’d ibn Abi Waqqâs qui faisait ses
ablutions, l’interpella au sujet du gaspillage que ce dernier
faisait de l’eau. Surpris, celui-ci demanda alors : « Y
a-t-il gaspillage même dans les ablutions » ? Et le
Prophète de répondre : « Oui et ce, même en utilisant l’eau
courante d’une rivière »[6].
Ce refus du gaspillage, comme, en d’autres endroits de sa
Sîra, son intérêt pour la préservation des arbres, des
animaux, des récoltes et de tous les autres éléments de la
Nature – même en temps de guerre – donnent la mesure du respect
de l’environnement dans la tradition islamique qui devient ainsi
un principe premier devant réguler les comportements humains.
L’universitaire Tariq Ramadan relève, à juste titre, qu’ « il
ne s’agit pas d’une écologie née du pressentiment des
catastrophes (qui sont engendrées par les actions des hommes)
mais d’une sorte d’“écologie en amont“, qui fait reposer les
rapports de l’homme avec la nature sur un socle éthique associé
à la compréhension des enseignements les plus profonds »[7].
Au bout du compte, les préoccupations des deux écologies
finissent par se rejoindre même si leurs sources diffèrent.
De même, rappelons que la Révélation est parsemée d’occurrences
invitant à la contemplation et à la méditation des signes. Le
Coran est articulé autour d’une pluie de références enseignant
que tous les éléments de la Terre se prosternent, l’homme et la
nature communiant dans cette dévotion : « Et c’est devant
Dieu que se prosternent, bon gré mal gré, tous ceux qui sont
dans les Cieux et sur la Terre, ainsi que leurs ombres qui
s’inclinent devant Lui matin et soir[8] ».
Signe révélateur de l’importance des éléments de la Nature au
sein de la philosophie islamique, le titre de nombreuses
sourates (chapitres) du Coran renvoient à l’écosystème qui
entoure l’humanité : La « Vache », les « Bestiaux »,
« L’éléphant » pour les animaux ; le « Soleil », « L’étoile »,
la « Lune » pour ce dont regorge le cosmos. La rivière de « Kawthar »,
le mont « Tour », le « Tonnerre », le « Tremblement de
terre », la « Caverne » comme éléments naturels, l’« Argile »,
le « Fer » comme matières premières, etc.
La Terre est ainsi considérée comme un dépôt (amana)
dont l’homme à la responsabilité de gérer dans le cadre d’une
interdépendance harmonieuse. En définitive, on constate que le
rapport du croyant avec la Nature ne peut être fondé que sur la
contemplation et le respect : « Dans la création des Cieux
et de la Terre, dans l’alternance de la nuit et du jour, dans
les vaisseaux qui sillonnent la mer, chargés de tout ce qui peut
être utile aux hommes ; dans l’eau que Dieu précipite du ciel
pour vivifier la terre, après sa mort, et dans laquelle tant
d’êtres vivants foisonnent ; dans le régime des vents et dans
les nuages astreints à évoluer entre ciel et terre ; dans tout
cela n’y a-t-il pas autant de signes éclatants pour ceux qui
savent réfléchir ?[9] »
[1]
L’heure du choix,
Hervé Kempf, Le Monde, 21 février 2010. Auteur de plusieurs
ouvrages qui traitent du réchauffement climatique, l’auteur est
journaliste au Monde chargé des questions d’écologie.
Cf. également, Plus de 600 scientifiques,
s’estimant dénigrés, réclament l’organisation d’un vrai débat
sur le climat, Le Monde, 9 avril 2010.
[2]
Rapport mondial sur le développement humain 2007-2008
édité pour le Programme des Nations Unies pour le Développement
(PNUD), 2007, 1 UN Plaza New York, 10017, USA.
[3]
Alors que les nations riches sont responsables de la grande
majorité des gaz à effet de serre, ce sont les pauvres de la
planète qui devront payer le prix le plus élevé du changement
climatique. C’est cette situation inique qui fait dire à
l’archevêque Sud-africain Desmond Tutu que nous nous dirigeons
vers un “Apartheid“ en matière de crise écologique.
Parmi ceux qui subiront de plein fouet ces répercussions, on
trouve beaucoup de pays à la population majoritairement
musulmane. Les cas les plus aiguës se concentreront dans des
pays comme le Bangladesh ou l’Indonésie où les cyclones, couplés
avec les effets de la déforestation, risquent d’engendrer des
difficultés insurmontables. Cf. Au Bangladesh, les premiers
réfugiés climatiques, Le Monde Diplomatique, Avril 2007.
[4]
Le plus noir des scenarios climatiques se profile, Le
Monde, 13 mars 2009.
[5]
Rappelons qu’un équilibre est possible entre croissance
économique et respect de l’environnement. Ainsi, les pays de
l’OCDE ont, à travers l’Agence internationale de l’énergie
(AIE), adopté la devise des « trois E », c’est-à-dire
la sécurité d’approvisionnement (Energy security of
supply), l’efficacité économique (Economic
efficiency) et la protection de l’environnement (Environment
protection) « sans sacrifier un objectif aux autres ».
Cf. “Les grandes batailles de l’énergie“, Jean Marie
Chevalier, Editions Gallimard, 2004.
[6]
Hadîth rapporté par Ahmad et Ibn Majah.
[7]
“La réforme radicale : Ethique et libération“, Tariq
Ramadan, Presses du Châtelet, Paris, 2008.
[8]
Sourate Ar Ra’d, (Le Tonnerre), Verset 15.
[9]
Sourate Al Baqara (La Vache), Verset 164.
Nabil Ennasri
est diplômé de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence,
est actuellement étudiant en théologie musulmane à l’Institut
européen des sciences humaines (IESH) de Château-Chinon. Il est
également membre du Collectif des musulmans de France (CMF).
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