Opinion
Toute une série de
personnages et de causes
ont conduit les USA à la guerre contre
l'Irak
Muhammad
Idrees Ahmad
Muhammad
Idrees Ahmad
Jeudi 28 mars
2013 Irak 2003
– Iran 2013?
Nous sommes
peut-être encore nombreux à penser
que le pétrole était une des
principales motivations de la guerre
entreprise par les Etats Unis contre
l’Irak en 2003.
J’écris «nous»
parce que je le pensais encore avant
de lire un article de Muhammad
Idrees Ahmad dont je vous propose
une traduction.
L’exposé de
Muhammad Idrees Ahmad est limpide et on
est obligé, après lecture, d’admettre
que le pétrole n’était en aucun cas un
motif décisif de cette agression. On
peut
par ailleurs apprendre
que l’exploitation du pétrole irakien
est plus aujourd’hui l’affaire des
sociétés chinoises que des firmes
américaines qui n’ont plus sur place
qu’une activité assez marginale (en
dehors des société se services
pétroliers comme Halliburton).
Si la guerre contre
l’Irak s’est soldée par la défaite du
régime irakien de l’époque, elle a eu
aussi pour conséquence un
affaiblissement [relatif] des Etats Unis
dont l’économie a été mise à mal par les
dépenses de toutes sortes induites par
ce conflit qui était venu s’ajouter à
l’intervention en Afghanistan. De la
même manière, la domination politique
des Etats Unis dans le monde commence à
être remise en cause par l’émergence de
nouveaux acteurs qui cherchent à ajuster
leur rand diplomatique à leur force
économique.
Une situation qui n’a
rien d’inédite, si on veut bien se
souvenir que l’Angleterre était sortie
affaiblie des deux guerres mondiales qui
l’avaient pourtant vue victorieuse.
Si j’ai bien compris
la thèse de l’auteur de l’article,
l’entrée en guerre contre l’Irak
s’explique en premier lieu par la
rencontre d’un homme, George W. Bush,
animé d’un esprit messianique qui mêle
doctrine religieuse et mysticisme
démocratique et d’une bande de penseurs
néoconservateurs cherchant avant tout à
agir dans ce qu’ils considéraient être
l’intérêt de l’entité sioniste.
Pour résumer,
l’invasion de l’Irak était une
intervention visant à servir des
objectifs définis par une tendance
particulière du sionisme, le sionisme
révisionniste dont le pouvoir en place à
Tel Aviv incarne l’évolution
contemporaine.
Ces gens là,
comme tout fasciste qui se respecte,
pensent que seule la force leur
permettra d’exister, d’exister au Moyen
Orient pour ce qui concerne
les fascistes Juifs.
Cette même logique
qui a conduit les Etats Unis et leurs
alliés à envahir puis à occuper et
détruire l’Irak reste à l’œuvre
aujourd’hui, s’étant simplement fixée un
autre ennemi à abattre d’urgence, à
savoir le régime iranien.
Comme en 2003,
signale l’auteur, personne n’imagine
vraiment que Washington va entrer en
guerre contre l’Iran.
Et pourtant…
Djazaïri
Toute une
série de personnages et de causes ont
conduit les USA à la guerre contre
l’Irak
Par Muhammad Idrees Ahmad, The
National (EAU) 23 mars 2013 traduit de
l’anglais par Djazaïri
Dix ans après «choc et effroi», les
raisons derrière l’invasion de l’Irak
n’ont toujours pas été expliquées de
façon satisfaisante.
Des journalistes, des intellectuels,
des soldats et des idéologues se sont
tous trituré les méninges pour donner
des réponses. Le pétrole,
l’impérialisme, le militarisme, la
démocratie, Israël et l’économie de
marché ont été proposés en guise
d’explications.
Certaines d’entre elles s’excluent
mutuellement, et elles semblent toutes
mettre en lumière plus qu’elles ne
satisfont le besoin qu’ont les humains
de la simplification. D’un autre côté,
entre les mains des universitaires les
explications tendent inévitablement vers
le «complexe» (le marqueur obligatoire
pour séparer l’homme ordinaire du
mandarin).
Dire que les causes de la guerre
contre l’Irak sont assez simples à
expliquer ne veut pas dire qu’elles sont
simples. Mais le manque de simplicité ne
signifie pas non plus indétermination
[du fait d’une trop grande quantité de
causes]. La réalité peut être complexe
mais est tout à fait dans le domaine de
l’explicable.
On n’a pas besoin de souscrire à la
notion tolstoïenne de l’histoire – une
force insondable, sans agents,
prédestinée et avec des causes infinies
– pour accepter qu’un phénomène aussi
compliqué qu’une guerre puisse avoir des
causes multiples. Celle contre l’Irak en
avait beaucoup. Chacune de celles
mentionnées plus haut ont joué un
certain rôle dans les calculs des
décideurs politiques ; mais elles n’ont
pas toutes la même importance. Les
acteurs décisifs n’étaient pas animés
par les mêmes motifs, pas plus qu’ils
n’avaient forgé leurs décisions
simultanément.
George W Bush, Dick Cheney et Donald
Rumsfeld voulaient la guerre, mais elle
fut conçue par les néoconservateurs. Le
11 septembre 2001 en fut le catalyseur,
mais ce sont les néoconservateurs qui
s’employèrent à l’instrumentaliser.
Le désir des néoconservateurs de
renverser le régime irakien préexistait
à celui de M. Bush, M. Cheney ou M.
Rumsfeld. Le changement de régime était
une doctrine officielle aux Etats Unis
depuis 1998 et une doctrine officieuse
depuis plus longtemps encore. Mais les
moyens imaginés étaient la pression
diplomatique, l’étranglement économique
et l’action secrète – pas l’invasion et
l’occupation.
M. Bush commença à recevoir des
briefings sur ce sujet seulement dans le
cours de sa campagne présidentielle. Les
Vulcans – le groupe chargé de réfléchir
à la politique étrangère – étaient
animés par Condoleeza Rice qui, dans un
document de situation pour les affaires
étrangères avait soutenu que la
puissance militaire irakienne était
«considérablement affaiblie» et que les
Etats Unis pouvaient vivre même avec un
Irak nucléaire.
M. Cheney avait passé les années 1990
à se plaindre de la politique de
sanctions [‘’sanctions-happy’’] de
l’administration Clinton. Il dirigeait
aussi USA*Engage, un consortium
d’industriels qui faisait pression pour
l’abrogation de l’Iraq Libya Sanctions
Act de 1996, un cadeau du lobby
israélien.
M. Rumsfeld avait manifesté peu
d’intérêt pour l’Irak dans la quinzaine
d’années entre sa tristement célèbre
poignée de mains avec Saddam Hussein et
sa signature d’une lettre rédigée par le
Project for the New American Century, un
think tank néoconservateur. A l’hiver
2001, M. Bush, M. Cheney et M. Rumsfeld
étaient cependant tous convaincus de la
nécessité de la guerre.
Le 11 septembre explique
partiellement ce changement d’état
d’esprit. Mais il n’avait pas pour
autant rendu la guerre inévitable. Il
fallait encore manipuler l’opinion
publique, surmonter les obstacles
bureaucratiques. Il fallait mettre
l’Irak sur l’agenda en le présentant
comme une menace imminente. C’est
seulement ainsi qu’une guerre préventive
pouvait être justifiée. A cette fin, la
conjonction de liens présumés de l’Irak
avec al Qaïda et sa possession d’armes
de destruction massive (ADM) était
nécessaire. Ensemble, cela constituait
une menace qui renvoyait au rang
d’exercice d’irresponsabilité
pointilleuse toute recherche de preuves
supplémentaires. Comme le soulignait
l’argumentaire de la Maison Blanche, la
preuve décisive risquait fort d’être le
champignon d’une explosion atomique.
Un inventaire des articles parus dans
le sillage immédiat du 11 septembre et
liant l’Irak aux attentats révèle qu’ils
provenaient Presque exclusivement des
cercles néoconservateurs.
La plupart des articles que j’ai pu
lire citent les assertions non étayées
d’une seule personne, l’idéologue
néoconservatrice Laurie Mylroie. Ses
théories étaient promues avec ardeur au
sein du gouvernement par Paul Wolfowitz
qui avait aussi chargé son protégé,
Douglas Feith, de trouver du matériel
pour appuyer les assertions de Mlle
Myrloie.
Paul
Wolfowitz: « je peux aussi chanter La
Marseillaise »
M. Feith avait créé deux groupes à
cet effet – le Policy Counterterrorism
Evaluation Group et l’Office of Special
Plans – pour fabriquer la connexion Irak
– al Qaïda et des preuves sur les ADM
irakiennes présumées. Il était assisté
par des exilés et des escrocs de l’
Iraqi National Congress et, plus
important selon moi, par la
correspondante du New York Times Judith
Miller, co-auteure avec Mlle Myrloie
d’un livre sur l’Irak publié en 1991.
Pendant ce temps, la cheville
ouvrière néoconservatrice Richard Perle
s’était arrangée pour que M. Cheney soit
briefé personnellement en plusieurs
occasions par Bernard Lewis, un doyen de
l’orientalisme, qui assurait au vice
président revanchard que le seul langage
que les Arabes comprenaient était la
force. « Choc et effroi » était donc le
corollaire obligé.
Quid du pétrole ? Malgré sa
plausibilité au premier abord, la thèse
de la «guerre pour le pétrole » ne
semble résister ni à l’épreuve des faits
ni à l’analyse. En 2003, l’Irak ne
refusait pas de vendre son pétrole mais
était sous embargo. Les sociétés
pétrolières avaient passé une dizaine
d’années à faire pression non pour la
guerre, mais pour une levée des
sanctions. Leur état d’esprit a pu
changer en 2003, mais il existait
beaucoup de moyens moins coûteux et
moins aléatoires que la guerre.
A au moins trois reprises dans les
six mois qui avaient précédé l’entrée en
guerre, Saddam Hussein avait fait des
efforts désespérés pour maintenir son
pouvoir en offrant aux Etats Unis un
accès privilégié au pétrole irakien. Les
compagnies pétrolières n’avaient pris le
train en marche qu’une fois la guerre
devenue inévitable, et encore pas sans
appréhension. Elles craignaient toutes
la déstabilisation qui pouvait
s’ensuivre.
Pour M. Cheney et M. Rumsfeld, la
première motivation n’était pas le
pétrole, mais l’effet d’exemplarité de
la guerre – une affirmation sanglante de
la puissance militaire des Etats Unis
pour intimider quiconque envisagerait de
nuire aux USA en livrant des ADM à des
terroristes. Pour Bush, selon des gens
très proches de lui, la motivation
principale était des plus simplistes,
une croyance messianique dans le combat
contre un régime «diabolique» – un
régime qui avait précédemment tourmenté
son père. Il était aussi flatté par des
conseillers et des exilés Irakiens qui
l’encourageaient à endosser son nouveau
rôle de guide de l’humanité, de
libérateur des peuples, de diffuseur de
la démocratie.
M.Bush, M. Cheney et M. Rumsfeld
auraient peut-être pu décider d’entrer
en guerre contre l’Irak sans
l’encouragement des néoconservateurs.
Mais sans leur aide, il est peu probable
que le parti de la guerre eut pu
surmonter la résistance d’establishments
militaires, diplomatiques et du
renseignement hésitants. Par leur
cohésion sociale, leur cohérence
idéologique et leur domination sur
l’appareil de la sécurité nationale, et
avec les ressources et le soutien
institutionnel du lobby israélien, les
néoconservateurs avaient des atouts dont
ne disposait aucune autre faction.
Dans la longue série de textes
produits par les néoconservateurs
pendant la décennie qui avait précédé –
en particulier les deux documents
politiques rédigés par M. Perle, M.
Feith et David Wurmser pour le premier
gouvernement benjamin Netanyahou – des
idées que M. Wurmser avait par la suite
développées dans son livre Tyranny’s
Ally – ces motivations [pour la guerre]
sont affirmées sans équivoque.
Le néoconservatisme s’enracine
idéologiquement dans le sionisme
révisionniste et c’est pourquoi Israël
est sa grande priorité. Pour les néocons,
la guerre est désirable parce qu’elle
fragmenterait un Etat arabe
potentiellement puissant et laisserait
l’Iran, le véritable ennemi juré
d’Israël dans une situation plus
vulnérable. Elle renforcerait aussi
l’isolement des Palestiniens, les
rendant plus enclins au compromis. Pour
eux, la route de Jérusalem passait par
Bagdad.
Près d’un million de morts Irakiens
plus tard, avec plus de 3 000 milliard
de dollars perdus et 5 000 soldats tués,
on ne sait pas toujours vraiment si les
Etats Unis en ont tiré une quelconque
leçon. La guerre du Vietnam avait été
suivie de beaucoup d’introspection ; ce
ne fut guère le cas avec l’Irak. La
rhétorique reste belliqueuse et
l’enthousiasme pour la guerre a à peine
faibli.
La guerre contre l’Irak semblait
improbable jusqu’à ce qu’elle se
produise. Dans ses mémoires, M. Feith
regrette que ses démarches pour mettre
l’Irak dans le collimateur de
l’administration n’aient suscité que
dérision aussi tardivement qu’à l’été
2001. Le 11 septembre avait tout changé.
De la même manière, une guerre contre
l’Iran semble improbable aujourd’hui ;
et c’est ce qui a encouragé les
politiciens US à se lancer dans une
stratégie de la corde raide avec l’Iran
sans avoir peur des conséquences. Tout
cela pourrait changer rapidement si un
«évènement catalyseur – un nouveau Pearl
Harbour» venait à rompre l’équilibre.
Si on doit tirer une leçon de la
guerre contre l’Irak, c’est que
l’histoire est contingente et que les
idées ont des conséquences. Seul ce qui
est inerte répond à la volonté humaine.
Avec la prépondérance de leur puissance
de destruction, les Etats Unis ont le
devoir de ne pas être esclaves des
circonstances.
Muhammad Idrees Ahmad est un
spécialiste de sociologie politique
d’origine pakistanaise qui vit en
Angleterre. A côté d’activités
académiques il collabore avec divers
médias tels Le Monde Diplomatique, Asia
Times, IPS News, et Political Insight
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