Tunisie
Tunisie-Dialogue
national:
Les dés sont pipés par... Ennahdha
Moncef Dhambri
Mercredi 30 octobre 2013
Les
Nahdhaouis ne sont pas des démocrates et
ils ne pourront jamais l'être. Qu'ils
prennent place, aujourd'hui, autour de
la table du dialogue national n'y
changera rien. Ils ne donneront rien.
Ils ne cèderont rien.
Par
Moncef
Dhambri
On veut bien croire qu'Ennahdha se
soit enfin plié à la volonté populaire
pour négocier la fin de son mandat
provisoire qui a trop duré, qu'il ait
mis de côté ses intérêts vicieusement
partisans, qu'il place aujourd'hui
l'intérêt national au-dessus de toutes
les autres considérations, qu'il
reconnaisse à présent que le jeu de ce
qui reste de la deuxième transition
devra se faire sans lui – ou avec lui
sur le banc des remplaçants (ou celui
des spectateurs). Bref, on pourrait
avoir l'impression que la Révolution du
14 janvier reprend son souffle et que
ceux qui l'ont faite peuvent être
rassurés. Or, tout cela peut n'être
qu'illusion.
Intenable
éternité de deux années
Ennahdha, toute la structure de ce
mouvement et tous les Nahdhaouis – de
Rached Ghannouchi au simple sympathisant
islamiste que l'on croise dans la rue –
ne céderont jamais le moindre pouce de
ce qu'ils ont «gagné» pendant ces deux
dernières années. Et Dieu sait, et nous
aussi nous le savons, qu'Ennadha n'a pas
chômé depuis le 23 octobre 2011, qu'il a
bien meublé son temps au pouvoir et
qu'il a très avantageusement rentabilisé
ses deux passages au gouvernement, sous
Hamadi Jebali et Ali Larayedh.
Quoi que puissent être les
précautions que l'opposition (ou les
oppositions) prenne(nt) aujourd'hui,
rien n'y fera et, dans 6, 7 ou 8 autres
mois, l'on se rendra à l'évidence que
tout cela n'était que peine perdue,
qu'il n'y a pas eu d'alternance et qu'il
n'y en aura pas... Tout simplement,
parce les Nahdhaouis ne sont pas
démocrates et qu'ils ne le seront
jamais.
C'est à se demander si cela n'a pas
trait à leur culture, leur structure
mentale ou leurs gènes – que sais-je
encore. Pour de multiples raisons, je
suis intimement persuadé qu'Ennahdha n'a
rien perdu en acceptant de s'asseoir à
la table du dialogue national, que, dans
cette manche qui se joue au siège du
ministère des Droits de l'Homme et de la
Justice transitionnelle au Bardo, elle
détient des atouts de très grandes
valeurs et que, en fin de parcours, elle
remportera la partie.
Malgré les
déclarations soporifiques des dirigeants
de son parti, Ali Larayedh continue
d'envoyer des signaux qui trahissent son
refus de céder un pouvoir où il semble
prendre ses aises, malgré l'échec
J'admets que mon anti-nahdhaouisme
est primaire, mais l'intenable éternité
que nous avons vécue depuis deux ans a
donné amplement raison à mon rejet
viscéral de la chose nahdhaouie.
Aujourd'hui, je crains le pire et mon
appréhension est amplement justifiée.
Dans cette analyse, je laisse de côté
les faiblesses et l'impréparation de
l'opposition. Il est vrai qu'Ennahdha a
grandement capitalisé sur les nombreuses
fragilités de ceux qui s'opposent à
elle. Mais il a ses propres ressources
et il a su également s'inventer de
nouvelles cartes maîtresses qu'il ne se
privera pas d'utiliser, dans les jours,
les semaines et mois à venir.
Le long-terme
nahdhaoui
J'ai eu l'occasion, dans les colonnes
de Kapitalis (Le
bilan d'Ennahdha est globalement...
positif), d'évoquer ce que je
considère comme étant les forces
naturelles d'Ennahdha. Dans la présente
réflexion, j'ai choisi d'attirer
l'attention de nos lecteurs sur les
nouvelles armes nahdhaouies, plus
fatales celles-ci car pernicieuses et
peut-être insoupçonnables.
J'en énumère, ici, quelques unes: les
centaines, les milliers de nominations
partisanes du plus haut échelon des
institutions de l'Etat jusqu'au rang le
plus inférieur de l'administration
tunisienne; les apprentissages de la
gestion des affaires du pays (même s'il
n'y a eu que des ratages, ils équivalent
tout de même une expérience acquise); et
le «djinn» salafiste dont le Grand
sorcier de Montplaisir, Rached
Ghannouchi, fera usage chaque fois que
les choses semblent échapper à Ennahdha.
Calculant sur le long-terme, les
gouvernements de Hamadi Jebali et d'Ali
Larayedh ont pris le plus grand soin de
bien infiltrer les rouages de l'Etat et
de verrouiller la machine
institutionnelle, en effectuant des
milliers de nominations qui s'avéreront
très utiles dans ce qu'il convient
d'appeler une confiscation entière et
irréversible de la Révolution par
Ennahdha. Ces hommes et ces femmes qui
ont investi nombre des administrations
clés du pays ne seront pas délogés de
sitôt. Ils sont là pour servir la cause
nahdhaouie et ils y resteront... Ils
sont là et ils exécuteront,
clandestinement ou au grand jour, les
ordres de Montplaisir.
Souvenons-nous de la célèbre vidéo
«fuitée» de Rached Ghannouchi
où il expliquait à ses «enfants
salafistes» que plusieurs
institutions tunisiennes échappaient
encore à Ennahdha. Parions, aujourd'hui,
que cet objectif de la conquête de
l'administration tunisienne a été
atteint, ou quasiment. En tout cas, nous
pouvons imaginer assez facilement la
manière dont une seule nomination a pu
engendrer une autre et d'autres encore,
jusqu'à la «gangrénisation»
totale de l'appareil de l'Etat...
Que peut donc faire le dialogue
national pour détricoter cette toile que
les comploteurs nahdhaouis ont
assidûment tissée dans nos ministères et
autres administrations, et à travers
tout le pays? Que peut faire
l'opposition pour éradiquer cette
insidieuse contagion nahdhaouie?
Je crains que pareille déconstruction
ne nécessite de très longs mois, voire
plus, et des enquêtes complexes et
approfondies. Ajoutons à cela le fait
que les Nahdhaouis, ayant connu l'exil
et la répression les plus terribles sous
les anciens régimes, sont passés experts
du sabotage, de la sape et de la besogne
secrète. Cette clandestinité et cette
marginalisation leur ont appris à
survivre, à renaître et reprendre le
dessus...
La Troïka
manoeuvre et joue la montre.
Fumisterie et
tricherie
Autre chose que les Nahdhaouis ont
apprise: qu'une occasion en or comme
celle du 23 octobre 2011 était une
chance inouïe, pour eux, de se saisir du
pouvoir et de s'essayer au gouvernement.
Cette aubaine, ils en ont grandement
profité: Ennahdha a placé ses hommes et
ses femmes dans des dizaines de
ministères et de secrétariats d'Etat.
L'opportunité a été accordée à ces
responsables nahdhaouis de prendre
connaissance de toutes les affaires du
pays, de décider de tous les dossiers,
d'orienter les politiques, etc. Les
résultats de ce qu'ils ont entrepris
laissent, bien entendu, beaucoup à
désirer, mais qu'importe. L'essentiel,
pour Ennahdha, demeure qu'il ait appris
(sur le dos du peuple tunisien et sur le
compte du 14 janvier!) à gouverner. Bien
ou mal gouverner reste secondaire pour
les dirigeants de Montplaisir: il
s'agissait pour eux d'un premier test,
d'un cours accéléré, d'un stage... Bref,
les Nahdhaouis ont pu s'offrir un
apprentissage de deux années de
gouvernement durant lequel ils ont fait
leurs armes.
Cette tentative nahdhaouie de
maitriser la chose gouvernementale a été
également accompagnée d'une offensive
inarrêtable d'Ennahdha sur le terrain du
débat politique. Cette omniprésence et
cette domination des Nahdhaouis nous ont
imposé les sujets de discussion les plus
inimaginables, les pertes de temps les
plus irrattrapables et les morts les
plus douloureuses.
Chaque fois qu'Ennahdha donnait
l'impression de perdre le contrôle de la
situation face à la colère et à la
meilleure mobilisation de la rue, chaque
fois qu'il était obligée de battre en
retraite et de céder, les salafistes (jihadistes
et autres wahhabites), leurs alliés
naturels (ou leurs créations),
surgissaient de nulle part et se
chargeaient de créer encore plus de
confusion, de détourner l'attention de
l'opinion publique et de semer doute et
terreur.
En somme, «les enfants de Rached
Ghannouchi» ont été de très
efficaces fantassins de la conquête
nahdhaouie, des déblayeurs de terrain et
des exterminateurs de l'opposition qui
osait contrarier le projet
d'islamisation de la Tunisie.
De ''Persépolis'', à la
veille des élections du 23 octobre 2011,
aux incidents, il y a deux ou trois
jours, à Sidi Ali Ben Aoun et à
Menzel-Bourguiba, en passant par les
assassinats politiques (Lotfi Nagdh,
Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi),
l'attaque de l'ambassade des Etats-Unis,
les nombreuses morts parmi les agents
des forces de l'ordre, de la garde
nationale et des soldats, etc., nous
avons acquis la certitude que rien ni
personne n'arrêtera le monstre
islamiste. Nous avons eu le temps de
réaliser que l'islamo-démocratie – une
invention du locataire du Palais de
Carthage – n'était qu'une fumisterie,
une tricherie pour mieux confisquer
notre 14 janvier.
Nous l'avons dit. Répétons-le: les
Nahdhaouis ne sont pas des démocrates et
ils ne pourront jamais l'être. Qu'ils
prennent place, aujourd'hui, autour de
la table du dialogue national n'y
changera rien. Ils ne donneront rien.
Ils ne cèderont rien.
Copyright © 2012 Kapitalis. Tous droits
réservés
Publié le 30 octobre 2013 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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