Tunisie
La Tunisie du
«Père Rached» au bord du naufrage
Moncef
Dhambri
Jeudi 21 février
2013
On a toutes les
raisons du monde de s'opposer à Ennahdha
et de supposer que, à la fin de cette
médiocre et pathétique comédie, tous ces
tours de passe-passe finiront par lui
permettre de s'en sortir aux moindres
frais.
Par
Moncef Dhambri
Hier, peut-être plus qu'aucun
autre jour depuis plus de deux ans, le
spectacle qu'offrait et qu'offre encore
notre paysage politique a été le plus
désolant, le plus décevant et le plus
regrettable. A tout instant de la
journée, le constat du «tout
ça, pour ça?» revenait,
s'imposait, nous enfonçait encore plus
dans la déprime et pouvait soit nous
pousser au suicide ou à commettre
quelque irréparable forfait.
Au plus
profond de la crise
De bout en bout, ce qui nous a été
donné de voir était tout simplement
déplorable. Il n'y avait pas une parole,
une affirmation, une idée ou un acteur
pour sauver les autres. On a eu beau
zapper d'une chaîne à une autre, d'une
radio à une autre ou d'un site web à un
autre, on a eu beau s'accrocher, on a eu
beau se frotter les yeux, taper du poing
sur table et bondir, il n'en sortira
rien. Nous y sommes en plein dedans.
Nous avons atteint le plus profond de la
crise. Cette confiance qui a été placée
en notre classe politique, ce damné 23
octobre 2011, nous avons eu l'occasion
de la regretter à chaque heure, à chaque
minute de la journée, avant de nous
installer devant notre poste de
télévision pour la soirée, pour
apprendre le scoop (!?) de la démission
de Hamadi Jebali.
Ghannouchi,
Jebali, Ben Jaâfar, Abbou, le 15
février: souriez vous êtes pris en
photo!
Nous savions que l'homme qui,
il y a plus d'un an, a pris en charge la
direction des affaires du pays allait
jeter l'éponge. Nous savions, également,
qu'il a échoué. Nous savions aussi qu'il
ne pouvait en être autrement: son
expérience était très limitée (pour ne
pas dire inexistante), son parti
dégageait de l'arrogance beaucoup plus
que de la compétence, et les premiers
pas de son équipe gouvernementale ont
été des faux-pas..., les uns après les
autres.
Nous savions tout cela et nous osions
toujours croire que ces «hommes et
femmes qui craignent Dieu»
pouvaient nous surprendre un jour et
placer l'intérêt du pays et de la
révolution au-dessus de leur instinct
partisan. Il n'en fut et il n'en sera
jamais autrement. Et les raisons de
cette incorrigible tare tiendraient en
quelques mots: le parcours malheureux de
la majorité des dirigeants nahdhaouis –
nous avions dit et répété que le peuple
tunisien n'était pour rien dans ce
qu'ils ont enduré comme exil,
emprisonnement et autres répressions –
les a privé d'un savoir-faire, d'un
savoir-vivre et d'un certain
vivre-ensemble qui étaient tous des
conditions plus que requises pour
l'entreprise de la transition
démocratique.
Ennahdha doit
rendre des comptes
Ils nous ont dit et répété à longueur
d'année qu'ils étaient – comme nous tous
! – de nouveaux apprenants et qu'il
fallait que nous fassions montre de
patience et d'indulgence. Nous avons
fermé l'œil sur une première bourde,
puis une deuxième et une troisième,
jusqu'à ne plus compter les fautes
impardonnables et les erreurs graves.
Les cartons jaunes se ramassaient à la
pelle. Les cartons rouges fusaient de
toutes parts jusqu'à la mort de Lotfi
Nagdh, qui n'était pour eux qu'un simple
arrêt cardiaque, et celle de Chokri
Belaïd qui attend toujours depuis deux
semaines une explication.
Hamadi
Jebali, démissionne mais reste en place
Aujourd'hui, Ennahdha doit
rendre des comptes, des comptes entiers,
à tous les Tunisiens, ceux qui ont voté
pour lui et cru au «Père
Rached», tout autant que ceux
qui n'ont jamais avalé les couleuvres de
sa sorcellerie. Nous avons tous perdu
notre temps, nous avons tous attendu,
nous avons tous assisté, impuissants, au
naufrage de notre révolution...
En lieu et place des excuses
qu'ils auraient du présenter au peuple
tunisien, en lieu et place de rendre le
tablier, de plier bagages, de tirer leur
révérence et d'emprunter la sortie pour
se faire oublier, les Nahdhaouis osent
encore nous servir les plats réchauffés
des legs de l'ancien régime et de la
période de transition de l'équipe de
Béji Caïd Essebsi. Pire, ils font preuve
d'une imperturbable effronterie en se
présentant comme les sauveurs de la
situation, eux qui n'ont rien compris,
et ne comprendrons jamais – et c'est une
affaire de gènes! – à ce qui se passe en
Tunisie depuis le 14 janvier 2011.
Ils viennent nous parler de la
«grandeur d'âme»
de Hamadi Jebali «qui a su
faire passer l'intérêt de la patrie et
du peuple avant toutes les autres
considérations» et nous dire
qu'«il demeure le candidat
privilégié à sa propre succession».
L'on croit rêver: l'homme qui a
collectionné tous les échecs possibles
et imaginables, et qui a mené le pays
droit vers l'indescriptible impasse dans
laquelle on se trouve, se serait d'un
seul coup transformé en sauveur...
L'indécence
des «islamo-démocrates»
L'outrecuidance nahdhaouie est sans
limite. Certaines grosses pointures du
parti islamiste (comme Sahbi Âtig et
Fathi Ayadi, respectivement président du
groupe Ennahdha à la Constituante et
président du Majlis Choura d'Ennahdha)
viendront, dans l'édition spéciale et le
journal de 20 heures de la Watania 1
d'hier, pousser l'effronterie jusqu'à
nous «rassurer» que, même dans
le cas où le Premier ministre sortant
refuse de poursuivre sa fonction, «Ennahdha
regorge de talents et de compétences qui
pourront assumer cette responsabilité
avec brio...».
Rached
Ghannouchi, le grand marionnettiste qui
tire les ficelles
De quels compétences et talents
parlent Messieurs Atig et Ayadi? Pour
qui est-ce que les Nahdhaouis nous
prennent-ils? Où et quand est-ce que
cette indécence des «islamo-démocrates»
va-t-elle cesser?
La mascarade de l'initiative Jebali
est à son comble et l'opposition n'a pas
manqué, non plus, d'ajouter son petit
grain de sel, depuis une semaine au
moins. Sa tartufferie, ses
positionnements et sa maladresse
désarçonnent.
Déboussolées par le rythme endiablé
des évènements, toutes les oppositions –
oui, l'opposition est nombreuse et
désorganisée! – présentent le navrant
spectacle de figurants qui ne savent pas
à quel saint se vouer (Abdelwaheb
El-Hani, président du Majd s'étant même
transformé en analyste politique pour
accompagner l'anchor woman de la Watania
1 pendant plus de trente minutes).
Chaque parti de cette opposition
plurielle tente comme il peut de tirer
ses marrons électoraux du feu. Il y en a
ceux qui rappellent qu'ils ont soutenu
l'initiative Jebali à cent-pour-cent, et
avant tous les autres. Il y a aussi ceux
qui l'ont soutenue à moitié, moyennant
quelques petits rajouts. Il y a
également d'autres qui, en ces temps de
désespoir, trouvent toujours des
ressources pour faire de la
surenchère... Bref, le ridicule est à
son comble: à droite, à gauche et au
centre.
Bref, ils nous tuent tous, les uns
comme les autres.
Un
gouvernement en suspens pour gérer les
affaires courantes.
En dernière analyse, j'en reviens
toujours à mon intuition première: j'ai
toutes les raisons du monde de m'opposer
à Ennahdha et de supposer que, à la fin
de cette médiocre et pathétique comédie,
tous ces tours de passe-passe finiront
par lui permettre de s'en sortir aux
moindres frais.
Rendez-vous aux prochaines élections
et il y aura assez d'électeurs pour
glisser des bulletins nahdhaouis dans
les urnes. Et tout ce que nous avons
enduré et dont nous souffrons encore
aujourd'hui finira par être oublié.
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Publié le 20 février 2013 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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