Tunisie
Ennahdha : La
haine et l'incompétence pour fond de
commerce
Mohamed
Ridha Bouguerra
Lundi 25 février
2013
Les dirigeants d'Ennahdha
se trompent lourdement, cependant, s'ils
persistent longtemps à croire que le
peuple qui s'est si bien débarrassé d'un
vil tyran se laissera de nouveau mettre
et de si tôt la bride au cou !
Par
Mohamed
Ridha Bouguerra*
A voir la gestion par les
dirigeants d'Ennahdha de la crise
ouverte par l'assassinat du militant
Chokri Belaïd, on ne peut que tristement
constater qu'ils sont tous frappés de
cécité politique.
Cela ressort clairement des
manifestations qu'ils ont organisées
deux samedis successifs sur l'avenue
Habib Bourguiba ou du camouflet qu'ils
ont administré au secrétaire-général de
leur propre parti et chef du
gouvernement dont ils ont saboté la
louable tentative de réconciliation
nationale et qu'ils ont ignominieusement
poussé vers la sortie. Leur manière de
s'emparer de la crise ministérielle pour
davantage serrer leur étreinte sur
l'État sans concéder, dans un esprit
d'apaisement, la moindre concession à
leurs adversaires est une autre preuve
de cet aveuglement catastrophique pour
tout le pays.
La politique
de division et d'exclusion
Ce sont là, en effet, quelques-uns
des principaux faits qui montrent que
les premiers responsables du parti
conservateur religieux n'ont pas tiré la
leçon qui s'impose du gigantesque
rassemblement humain du vendredi 8
février en hommage au leader du parti
des Patriotes démocrates.
Au lieu de tenter, à l'occasion de ce
deuil national, de rassembler les
Tunisiens et de renoncer à leur
politique de division et d'exclusion,
ils n'ont, au contraire, manifesté que
suffisance mal venue, satisfaction de
mauvais aloi et hâte inquiétante à
investir les rouages de
l'Administration.
Un simple exemple ici pour mieux me
faire comprendre : la déclaration de
Moncef Ben Salem, selon laquelle le
Conseil de la Choura d'Ennahdha serait
«la plus haute instance du pays»!
On me rétorquerait, probablement, que ce
n'est là qu'un malheureux lapsus. Ce
serait alors un lapsus bien révélateur
des vœux secrets et intentions profondes
de nos gouvernants actuels!
Ne nous donnent-ils pas, d'ailleurs,
la nette impression que, pour eux, la
Tunisie n'est qu'un butin qu'il faut
rapidement se partager? Il faut finir,
en effet, par se rendre à l'amère
évidence, à savoir que le moteur de
l'action d'Ennahdha est,
malheureusement, la haine que son leader
porte à un certain mode de vie et à un
modèle social tunisien.
Aveuglés par la rancœur et le
ressentiment, avides de vengeance, les
Nahdhaouis ne souhaitent-ils pas à leurs
adversaires, comme le disent leurs
pancartes et slogans: «Mourez de
votre propre dépit»? Tous les leurs
pourraient reprendre à leur compte ces
mots terribles prononcés par la fille
cadette de Rached Ghannouchi, tels que
rapportés par l'hebdomadaire
''Jeune-Afrique'', le 6 novembre
2012.
Un message
injurieux de la fille du leader
islamiste destiné à l'opposition
a provoqué une vive colère chez beaucoup
de Tunisiens.
Les mots
ravageurs de Soumaya Ghannouchi
Mme Soumaya Ghannouchi, épouse
Bouchlaka, a donné libre cours à un
inconscient ravageur et qui ne se soucie
pas des nuances, quand, après avoir
ironisé sur le compte des candidats
malheureux aux élections du 23 octobre
2011 et qu'elle a qualifiés de
«pleurnichards» et de mauvais
perdants, elle déclare: «Mon père a
souffert, au tour des autres de
souffrir».
Que faudrait-il penser de propos
aussi scandaleux, révoltants et
révélateurs à la fois, sinon qu'ils sont
«comme une auto-intoxication, la
sécrétion néfaste, en vase clos, d'une
impuissance prolongée», produit du
ressentiment tel que défini par Camus
dans ''L'Homme révolté''?
On aimerait demander à Mme Ghannouchi
Bouchlaka si elle trouve aujourd'hui
méritées les souffrances de Basma
Khalfaoui Belaïd et celles de la jeune
Nourouz, veuve et fille de Me Belaïd,
qui, sous la dictature, n'hésitait pas,
pourtant, à prendre la défense des amis
de M. Ghannouchi précisément et à
ferrailler durement contre des juges
corrompus et tout un appareil judiciaire
vindicatif et malfaisant?
Méritées aussi les souffrances de la
veuve de feu Lotfi Nagdh et des six tout
petits orphelins dont le père a été
lynché par les membres de la prétendue
Ligue de protection de la révolution
(LPR) et protégés de M. Ghannouchi à
Tataouine?
Méritées également les souffrances de
tous les jeunes manifestants contre la
précarité de la vie et qui ont perdu qui
un œil, qui la vue, à Siliana?
Méritées encore les souffrances de
tous ces manifestants qui sont
régulièrement tabassés par la police de
Ali Larayedh car opposés à
l'instauration d'un État théocratique
d'inspiration wahhabite étrangère à nos
mœurs?
Méritées, enfin, les souffrances de
tout une population devenue incapable de
joindre les deux bouts, plongée dans un
profond marasme socio-économique et
gagnée par la désespérance en raison de
la politique politicienne étriquée
pratiquée par M. Ghannouchi et ses amis?
L'"œuvre
complète" de Ali Lârayedh
Obnubilés par le pouvoir qu'ils
entendent jalousement garder malgré
leurs échecs patents, les hommes de M.
Ghannouchi et M. Ghannouchi lui-même se
soucient davantage de leurs intérêts
strictement partisans plutôt que des
réels problèmes auxquels se trouve
confronté tout le pays. Si tel n'était
pas le cas comment aurait-on désigné
comme futur chef du gouvernement l'homme
qui, dans l'actuelle et provisoire
équipe ministérielle, est le moins
consensuel et dont le bilan est le plus
sujet à caution?
M. Ghannouchi et ses amis pensent-ils
sérieusement que nous avons déjà oublié
le lynchage de Tataouine et la prétendue
crise cardiaque qui aurait coûté la vie
au militant régional de Nida Tounes, si
l'on en croit le porte-parole de M.
Lârayedh?
Que nous avons déjà oublié le meurtre
de feu Chokri Belaïd et les bombes de
gaz lacrymogène par lesquelles la police
de M. Lârayedh a accueilli
l'arrivée, à l'avenue Habib Bourguiba,
de l'ambulance transportant la dépouille
du martyr?
Que nous avons déjà oublié la
commission qui doit enquêter sur le
passage à tabac des citoyens désireux un
an après la révolution dignement
commémorer les événements historiques du
9 avril mais qui en ont été empêchés par
les brigades d'intervention de M.
Lârayedh secondées par les milices de
son parti?
Que nous avons déjà oublié la
commission qui doit enquêter sur les
agressions subies par des syndicalistes
la veille de la célébration de
l'anniversaire de la mort du martyr
Farhat Hached, mais dont les coupables
sont encore inconnus pour les services
de M. Lârayedh?
Que nous avons déjà oublié l'impunité
dont ont joui les agresseurs de Zied
Krichène ainsi que tous les membres,
partout dans le pays, de la mensongère
et fascisante Ligue de protection de la
révolution, jamais arrêtés par les
enquêteurs du ministère où officie M.
Lârayedh?
Un
ministre en flagrant déli d'incompétence
à la tête du gouvernement Tunisien.
Que nous avons déjà oublié la gestion
calamiteuse de l'assaut lancé contre
l'ambassade et l'école américaines où a
lamentablement échoué le plan de
sécurisation du site concocté par les
services compétents de M. Lârayedh?
Que nous avons déjà oublié la cavale
qui se poursuit encore du chef salafiste
et grand stratège de cette attaque
désastreuse tant pour l'image de notre
pays à l'étranger que pour son économie,
d'autant plus qu'est demeurée à ce jour
sans succès la traque d'Abou Yadh par
les limiers de M. Lârayedh?
Passivité, complaisance, complicité,
incompétence, voilà le beau bilan du
ministre de l'Intérieur paradoxalement
promu Chef du gouvernement!
On pourrait se demander aujourd'hui à
qui, finalement, profite le meurtre de
Chokri Belaïd? On peut répondre, sans
grand risque d'erreur, que le grand
gagnant dans cette bien triste affaire
est Ennahdha, si l'on en juge d'après la
promptitude avec laquelle le parti
conservateur a pu avancer,
opportunément, ses pions sur l'échiquier
politique.
Les dirigeants d'Ennahdha se trompent
lourdement, cependant, s'ils persistent
longtemps à croire que le peuple qui
s'est si bien débarrassé d'un vil tyran
se laissera de nouveau mettre et de si
tôt la bride au cou !
* Universitaire.
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Publié le 25 février 2013 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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