Tunisie
Nous sommes tous
des Jawhar Ben Mbarek !
Mohamed Ridha Bouguerra
Lundi 23 avril 2012
Avec les agressions, physiques et
verbales, à l’encontre de Jawhar Ben
Mbarek, Olfa Youssef, Youssef Seddik et
M. H., la liberté d’expression a-t-elle
encore sa place dans notre pays?
Par Mohamed Ridha Bouguerra
Le Professeur Jawhar Ben Mbarek vient
d’être gravement agressé, ce samedi 21
avril, à Souk Lahad, près de Kébili,
après avoir été empêché la veille de
prononcer une conférence sur la
Constitution à Douz à l’invitation des
l’Union régionale des diplômés chômeurs.
Il s’en sort (!) avec un traumatisme
crânien et une blessure au genou. Il a
été admis pour soins et observation à
l’hôpital Habib Bourguiba de Sfax.
L’animateur de Doustourna et ses
accompagnateurs, dont les voitures ont
été sauvagement saccagées, n’ont eu la
vie sauve et n’ont échappé à leurs
poursuivants qui parlaient de les tuer
que grâce à l’aide que leur ont apportée
des citoyens venus pour écouter le
conférencier.
Qui sont ici les agresseurs?
Toujours, désormais, les mêmes,
c’est-à-dire ceux qui sont
irréductiblement opposés à une opinion
différente de la leur et n’acceptent à
aucun prix l’exercice de la parole libre
et de la démocratie dans ce pays!
C’est-à-dire ceux qui, juin dernier
déjà, ont envahi CinéAfricArt et molesté
employés et spectateurs! Ceux qui ont
craché à la figure de Zied Krichen et
frappé Hamadi Rdissi devant le Palais de
justice de Tunis! Ceux qui, depuis
novembre dernier, perturbent les cours à
la Manouba! Ceux qui, dimanche 25 avril,
ont empêché les comédiens de célébrer,
sur l’avenue Habib Bourguiba, la Journée
internationale du théâtre et appelé au
meurtre de Béji Caïd Essebsi!
Aussi, tous les vrais démocrates ne
peuvent-ils que proclamer leur entière
solidarité avec Jawhar Ben Mbarek et ses
amis, dénoncer l’apparition de plus en
plus manifeste et fréquente de la peste
verte et fasciste et crier que nous
sommes tous, aujourd’hui, des Jawhar Ben
Mbarek !
Les professeurs Olfa Youssef et
Youssef Seddik ont vu, ce dimanche 22
avril, les conférences qu’ils devaient
prononcer à Kélibia perturbées. Mieux
encore, la Maison de la Culture, où
allait se produire cette manifestation
culturelle, a été «décorée» du désormais
sinistre drapeau noir aux lieu et place
de l’emblème national, de nouveau et
encore une fois, profané!
Coupure de la
société tunisienne en deux clans
Dire, aujourd’hui, que certains, dans
ce pays, sont pour la pensée unique et
donc réfractaires à tout échange
intellectuel sérieux est une amère
constatation qui se vérifie quasi
quotidiennement. Il ne s’agit de rien de
moins que de la coupure de la société
tunisienne en deux clans culturellement
antagonistes, de l’exclusion aussi de
toute différence et de l’imposition
forcée, enfin, d’une désespérante
uniformité et d’une banale et
affligeante unanimité!
Une chape de plomb est en train de
s’abattre, sournoisement mais sûrement,
sur nos têtes! À quand le réveil? À
moins de nous considérer tous des Olfa
Youssef et des Youssef Seddik et de le
faire savoir à qui de droit!
M. H. est pharmacienne à Mhamdia,
agglomération située tout près de Tunis.
Elle se trouve, depuis près de deux mois
maintenant, malgré elle, au centre de
l’actualité. Qu’est-ce qui a fait sortir
cette jeune et discrète femme de la
paisible vie qu’elle menait jusqu’ici
pour voir, soudain, son nom étalé à
longueur de pages de nombreux sites
sociaux sur Facebook? Son indépendance
et son refus de se plier au diktat des
nouveaux maîtres du pays (?). On a
directement et explicitement signifié à
la jeune femme que le port du voile est
devenu obligatoire! Après avoir exprimé
son net refus de l’injonction qui lui a
été faite, la pharmacienne de Mhamdia
est actuellement l’objet d’un
harcèlement constant et qui prend chaque
jour une forme différente. La dernière
en date: amoncellement quotidien
d’ordures devant l’officine de
l’intéressée! Les autorités locales
contactées, tergiversent et le chef du
poste de la Garde nationale à Mhamdia a
fini par se dérober et refuser même,
sous divers prétextes, de recevoir la
plaignante! Ne lui revient-il pas,
pourtant, d’appliquer la loi et de
protéger les citoyens?
Le cauchemar que M.H. est en train de
vivre sera-t-il celui de chacun de nous
très bientôt? Ne sommes-nous pas tous
donc, potentiellement au moins, des
M.H.?
À Carrefour, sur la route de la Marsa,
des énergumènes ont vandalisé, samedi 21
avril, les rayons de boissons
alcoolisées. Le même jour, le Premier
ministre déclarait sur France 2, dans le
cadre de l’émission Télé-Matin, que le
bikini et l’alcool relèvent du libre
choix de tout un chacun et font partie,
ajoute-t-il, de sa «liberté sacrée»!
Faire donc
seulement appliquer la loi
Nous ne demandons qu’à croire le chef
tout puissant de notre gouvernement
légitime! Qu’il fasse donc seulement
appliquer la loi, sans plus! Qu’il mette
ainsi hors d’état de nuire les bandes
organisées qui perturbent l’ordre public
et se révèlent idéologiquement
imperméables à l’esprit démocratique! À
défaut d’une action de police énergique
contre les intégristes, ce n’est pas
seulement le gouvernement qui perd toute
crédibilité et sera accusé de complicité
avec les fascistes qu’il ne cesse de
ménager, c’est toute la Tunisie qui sera
immanquablement entraînée dans une
spirale de violences aux conséquences
imprévisibles.
On peut se demander, à titre
d’exemple, comment organiser des
élections libres et mener campagne, avec
obligatoirement des opinions
divergentes, dans une atmosphère aussi
délétère que celle qu’ont connue ce
week-end Jawhar Ben Mbarek, Olfa
Youssef, Youssef Seddik et M. H.
Les adeptes de la pensée unique qui
tiennent actuellement le haut du pavé
partout dans le pays et s’arrogent seuls
le droit de s’exprimer permettront-ils
aux orateurs des différentes formations
politiques de prendre normalement la
parole durant la campagne électorale? La
liberté d’expression a-t-elle encore sa
place dans notre pays? Ce qui vient de
se passer à Douz, Souk Lahad et Kélibia
ne nous permet-il pas d’en douter? Le
gouvernement qui détient les rênes du
pouvoir n’est-il pas entièrement
responsable de cette fascisation en
raison de son incurie et de l’impunité
qu’il a jusqu’ici accordée à l’aile la
plus radicale de l’islamisme religieux?
Une ligne rouge ne vient-elle pas d’être
dangereusement franchie? Le temps de la
complaisance envers les intégristes ne
doit-il pas prendre immédiatement fin?
Il y va tout simplement de l’avenir de
la Révolution du 14 janvier et des
espoirs démocratiques qu’elle a fait
naître de voir apparaître une Tunisie
moderne, ouverte, tolérante, égalitaire
et démocratique.
Mohamed Ridha Bouguerra,
Universitaire
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Publié le 21 avril 2012 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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