Opinion
Liban: guerre civile
ou déflagration régionale ?
Mohamed El Bachir
Dimanche 8 août 2010
Suite à la guerre de 2006 au Liban dont le but de guerre israélien était le
démantèlement du Hezbollah en tant que force militaire- But de
guerre partagé par les puissances occidentales, l’Arabie
Saoudite et l’Egypte- le Conseil de sécurité de l’ONU adopta, le
11 août 2006, la résolution 1701 qui instaura le cessez le feu.
Evidemment comme dans toute résolution concernant le
Moyen-Orient, dans un paragraphe, consacré à la question
palestinienne, il est souligné
«
qu’il importe et qu’il
est nécessaire d’instaurer une paix globale, juste et durable au
Moyen-Orient, sur la base de toutes ses résolutions pertinentes,
y compris ses résolutions 242 (1967) du 22 novembre 1967, 338
(1973) du 22
octobre 1973 et 1515 (2003) du 19 novembre 2003.» Enfin,
dans cette résolution, le Conseil de Sécurité n’omet pas de
rappeler l’« Exclusion de
toute force étrangère au Liban sans le consentement du
Gouvernement libanais.»(1)
Recommandation contenue explicitement dans la résolution 1559 du
2 septembre 2004 qui, à l’initiative de Paris et Washington,
exige le départ des troupes syriennes et le désarmement des
milices. L’assassinat du Premier Ministre libanais Rafic Hariri,
le 14 février 2005, offrira
un formidable levier pour la réalisation de la première
partie de la recommandation puisque
la Syrie fut considérée, avant toute enquête, comme le
commanditaire de cet assassinat par la classe politique
pro-occidentale libanaise, appuyée en cela par la France, les
Etats-Unis, l’Arabie Saoudite et l’Egypte. La pression
internationale fut telle que le retrait s’est effectué trois
mois après l’assassinat et en vingt trois jours (3 avril-26
avril 2005).
Quant au volet palestinien de la résolution 1701,
il est ouvert le 27 novembre 2007 lors de la conférence
d’Annapolis. Sous la tutelle du Président américain George Bush,
le Président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas et le
Premier Ministre israélien Ehud Olmert s’engagèrent à «...
servir l'objectif de deux
Etats - Israël et la Palestine - coexister dans la paix et la
sécurité » et "
à mettre fin au bain de
sang, aux souffrances et aux décennies de conflit entre nos
peuples … (2)». Une déclaration dont l’objet final n’était
rien moins que l’avènement d’un Etat palestinien en 2008. (2)
On sait maintenant que ces accords connurent le même sort que
ceux d’Oslo, au lendemain de la guerre du Golfe. En effet, les
accords d’Oslo se
conclurent par la deuxième Intifada, le quasi-emprisonnement de
Y.Arafat et avec, comme point d’orgue, les opérations militaires
israéliennes, « Rampart en Cisjordanie » et « Pluie d’été à
Gaza» (2005-2006). Ceux d’Annapolis s’achevèrent par un crime
contre l’humanité dans la bande de Gaza. (Opération « Plomb
durci » (janvier 2009, rapport Goldstone (3).
Ce bref rappel est fort utile parce que les mêmes scénarios
risquent de se reproduire dans la région dans
les mois à venir.
Ainsi prend fin le
deuxième mandat de Georges Bush, son successeur Barack Obama
semble plus disposé envers le peuple palestinien. Il nomme
Georges Mitchel comme envoyé spécial et somme Palestiniens et
Israéliens d’entamer des négociations indirectes avec la
condition« gel de la colonisation». L’Etat d’Israël n’obtempère
pas et continue sa
politique de colonisation de la Cisjordanie et de judaïsation de
Jérusalem-Est avec en prime un blocus de la bande de Gaza qui
fait de celle-ci, une prison à ciel ouvert. Ce qui entraîne le
deuxième échec de Georges Mitchel après celui de la « feuille de
route 2005 » (4) et la fin des négociations indirectes.
Le 31 juillet 2010, changement de braquet de la part de
l’Administration américaine puisque Barack Obama ordonne à
l’Autorité palestinienne d’entamer des négociations directes
sans condition en précisant que
tout refus
pourrait nuire aux relations palestino-américaines. Sur ce, la
Ligue Arabe emboîte le pas à l’administration américaine en
précisant, tout de même, que
les Palestiniens sont libres dans leur choix. Ce qui
n’empêche pas le Président égyptien d’orchestrer un ballet
diplomatique cairote entre
le Président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas,
le Premier Ministre Netanyahu et le Président S.Pérez afin de
préparer le « oui » palestinien. Ce remue ménage diplomatique
n’aurait eu aucune signification politique particulière si dans
le « ciel libanais» ne pointait pas un orage lourd et menaçant.
En effet, parallèlement à la pression américaine sur les
Palestiniens, des rumeurs et des fuites bien orchestrées sur les
auteurs de l’assassinat de Hariri polluent de nouveau l’espace
politique libanais jusqu’au point de remettre à l’ordre du jour
la question de la paix civile. Comme par le passé, l’agitation
diplomatique autour de la question palestinienne sert, vis-à-vis
des populations arabes, de cache sexe à la politique des
dirigeants Saoudiens et Egyptiens et à leurs implications dans
le dossier du désarmement du Hezbollah et du nucléaire iranien.
L’assassinat de Hariri :
« Un tremblement de terre » pour un nouveau Moyen-Orient
Pour reprendre l’expression utilisée par le dirigeant du
Hezbollah, Hassan Nasrallah, l’assassinat du Premier Ministre
Rafic Hariri est « un
tremblement de terre » dont l’onde de choc ne cesse de
secouer la terre libanaise. Là aussi, un retour dans le passé
récent est utile pour mieux saisir les scénarios en cours de
réalisation.
Faisant fi de l’avis de
l’opposition animée
principalement par le Hezbollah et le Courant patriotique
de Michel Aoun qui demandait une enquête et le jugement des
auteurs de l’assassinat sous la seule autorité du Gouvernement
libanais, le Premier ministre libanais Fouad Séniora s’adressa,
le 13 décembre 2005, au Secrétaire général des Nations Unies, M.
Kofi Annan, pour la création d’un tribunal à caractère
international. Ainsi est né le 30 mai 2007, le Tribunal Spécial
pour le Liban (TSL, résolution 1757 du Conseil de Sécurité). Il
est évident qu’une telle résolution légitime les ingérences
extérieures, notamment américaines et françaises. (4) Car il
faut garder à l’esprit que trois acteurs majeurs dans la région
perturbent la stratégie israélo-américaine: la Syrie, le
Hezbollah et l’Iran. Contrairement à ce qu’on pense, il n’y a
pas d’inféodation du Hezbollah à la Syrie ou à l’Iran mais entre
ces trois acteurs régionaux, existe une convergence d’intérêts
stratégiques où se mêlent souveraineté, intégrité territoriale,
ambition de puissance régionale et nucléaire.
Enfin, les champs de confrontation et de luttes d’influence
entre d’un côté, puissances occidentales, y compris Israël et
leurs alliés arabes à majorité sunnite
et de l’autre, la Syrie, le Hezbollah et l’Iran, sont
multiples: Irak, Palestine, Yémen…Pour simplifier, les
contradictions politiques et idéologiques qui minent la société
libanaise sont le prolongement de celles qui secouent le
Moyen-Orient.
1) Isoler la Syrie de
l’Iran
Comme rappelé précédemment, le retrait syrien du Liban fut
immédiat. Mais la pression continue de s’exercer sur la Syrie
pour d’une part, isoler la Syrie de l’Iran et d’autre part
couper les liens politiques et militaires syriens avec la
résistance libanaise et le Hamas.
Six mois après le retrait syrien du Liban, le 31 octobre 2005,
le Conseil de sécurité de l’ONU adopte le rapport de la
Commission d'enquête internationale sur l'assassinat de Rafic
Hariri, présidée par le magistrat allemand Detlev Mehlis. La
Commission conclut qu’ « après avoir entendu des témoins et
interrogé des suspects en République arabe syrienne et avoir
établi que de nombreuses pistes désignent directement des agents
des services de sécurité syriens comme étant directement
impliqués dans l'assassinat, qu'il incombe à la Syrie de
clarifier une part considérable des questions non résolues
». (5) Pour Mehlis, il existe des "preuves concordantes"(5)
d'une implication libano-syrienne. D’où l’emprisonnement, le 30
août 2005, de quatre généraux libanais, responsable du
renseignement militaire. Reste à entreprendre les poursuites
concernant les responsabilités syriennes
au plus haut niveau. Entre temps, il a été prouvé que les
généraux furent incriminés sur des faux témoignages. Aussi,
quatre ans plus tard, le 29 avril 2009, le Tribunal spécial pour
le Liban (TSL) a ordonné la libération des quatre généraux sans
pour autant poursuivre en justice les faux témoins. La piste
syrienne fut abandonnée. Ainsi prend fin la mission de Mehlis et
le 11 janvier 2006, le Secrétaire Général des Nations unies
nomme le belge
Serge Brammertz à la tête de la Commission d’enquête
internationale.
Reste maintenant à
réaliser la seconde partie de la résolution : le désarmement du
Hezbollah.
Objectif, une fois atteint, combiné à
l’éloignement politique de la Syrie de l’Iran et à l
étranglement du Hamas servira doublement: clore
le volet palestinien tel que le conçoivent Israélien et
Américain et ouvrir le dossier du nucléaire iranien
avec…L’option militaire ?
2)
Les germes d’une guerre civile ou régionale ?
Comme rappelé au début, la première tentative pour démanteler la
résistance libanaise est dévolue, en juillet 2006, à l’armée
israélienne. Une guerre qui fut un échec pour cette dernière. Au
contraire, la résistance libanaise sort renforcer politiquement,
au-delà de la rue libanaise, sans être affaiblie militairement
pour autant. Mais ce n’est que partie remise.
En effet, sans abandonner l’action juridique du TSL, la C.I.A
ainsi que d’autres organismes de renseignement américains
financent des groupes politico-militaires anti-Hezbollah
et encouragent l’infiltration de groupes armés sunnite et
de prédicateurs salafistes avec l’aide de l’Arabie Saoudite.(7)
Sur ces points, les déclarations de Jeffrey D. Feltman,
assistant de la secrétaire d’Etat américaine et responsable du
bureau des affaires du Proche-Orient, et de Daniel Benjamin,
coordinateur du bureau de lutte contre le terrorisme sont sans
ambiguïtés : « Les Etats-Unis continuent de prendre très au
sérieux les menaces que le Hezbollah fait peser sur les
Etats-Unis, le Liban, Israël et l’ensemble de la région.» (8)
Mais le plus intéressant est la reconnaissance officielle de
l’aide directe apportée par les Etats-Unis aux forces libanaises
qui luttent contre le Hezbollah. « Les Etats-Unis
fournissent une assistance et un appui à tous ceux qui, au
Liban, travaillent pour créer des alternatives à l’extrémisme et
réduire l’influence du Hezbollah dans la jeunesse. (...) A
travers l’USAID et la Middle East Partnership Initiative (MEPI),
nous avons contribué depuis 2006 à hauteur de plus de 500
millions de dollars à cet effort… Depuis 2006, notre aide totale
au Liban a dépassé le milliard de dollars… » (8)
C’est dans ce programme
que s’inscrivent les dizaines de cadres et techniciens libanais
travaillant dans les télécommunications, arrêtés pour espionnage
au service de l’Etat d’Israël.
Enfin, l’arme juridique que représente le TSL est également
prête à être utilisée. Contrairement à Mehlis, l’actuel
Président de la Commission d’enquête, le juge Serge Brammertz, a
reconstruit la
confiance avec Damas. Ce qui vaut d’ailleurs à cette dernière un
satisfecit de la part de la Commission. De Puissance coupable,
elle passe au rang de puissance coopérante. A ce propos, il faut
souligner que de toutes les hypothèses émises sur le ou les
commanditaires de
l’assassinat, la Commission n’a jamais retenue la patte
israélienne donc, exit la Syrie de la liste des coupables, le
Hezbollah devient le principal suspect. C’est ce qu’affirmait,
au lendemain de la victoire du Hezbollah dans sa confrontation
avec l’armée israélienne, le journaliste Georges Malbrunot dans
un texte publié dans le Figaro du 19 août 2006. Hypothèse qui de
nouveau ressurgit dans l’hebdomadaire allemand Spiegel, en
pleine période électorale législative libanaise, en 2008. Ce
dernier affirme que « ce ne sont pas les Syriens, mais les
forces spéciales de l’organisation chiite qui ont planifié et
exécuté l’attentat.»
Enfin, récemment, dans un article publié le 19 juillet 2010,
Malbrunot écrit qu’
« une reconstitution de l’assassinat de l’ex premier ministre
libanais Rafic Hariri en 2005 à Beyrouth doit avoir lieu cet
automne dans une base militaire au sud de Bordeaux, révèle au
Figaro une source policière. » et il ajoute que «
Le Hezbollah se retrouve dans la ligne de mire de la
justice internationale.»(9)
(Lire également l’article
du 21 juillet concernant la visite du commandant en chef
des Forces de défense israéliennes Gabi Ashkenazi en France)
Allant dans le même sens,
la presse israélienne enrichit les fuites en divulguant
un nom : « il y a maintenant officiellement un nom derrière
l’attentat qui a coûté la vie à l’ancien Premier ministre
libanais Rafik Al-Hariri en février 2005. Il s’agit d’un haut
responsable du Hezbollah, Mustapha Badr A-Din, surnommé Elias
Saab… » (10) et cite le dirigeant Hassan Nasrallah qui a affirmé
dans une conférence de presse qu’
avant son voyage à Washington en mai, Saad Hariri lui a
dit que des membres indisciplinés du Hezbollah seraient désignés
par l’acte d’accusation.»
Enfin, sous le titre «
Comment Assad s’est laissé convaincre par Abdallah de
l’accompagner au Liban... » Paru dans le journal libanais
l’orient le jour, Scarlett Haddad
souligne en s’appuyant
sur une source libanaise proche de la Syrie «
que cet entretien
a été très animé. Le roi Abdallah aurait demandé à son
interlocuteur syrien de « faciliter la solution au Liban et avec
les Palestiniens, sinon une nouvelle guerre pourrait éclater
dans la région, et cette fois, elle pourrait bien ne pas
épargner la Syrie » (11).
Toutes ces rumeurs, fuites et faits apparaissent comme des échos
aux propos tenus par un responsable de l’Administration
américaine et par la Porte parole du TSL. Le premier conseille
au Président syrien de bien écouter ce que lui dit le roi
Abdallah, la seconde
rappelle au Gouvernement libanais son devoir de
collaborer avec le TSL, quel que soit le commanditaire de
l’assassinat. Fondées ou non, toutes ses informations donnent
une teneur particulière aux accusations israéliennes et
américaines de livraison, par l’Iran et la Syrie, d’armements
sophistiqués au Hezbollah et aux propos exprimés devant la
Knesset par le commandant en chef des Forces de défense
israéliennes Gabi Ashkenazi qui prédit que : «
avec beaucoup d’espoirs
», la situation se détériorerait au Liban en septembre.
Du côté du Hezbollah,
tout en accusant l’Etat d’Israël d’être derrière
l’assassinat de Rafic Hariri, son dirigeant Hassan
Nasrallah déclare s’opposer à toute coopération avec le TSL si
des membres de son organisation, « indisciplinés » ou non, sont
inculpés.
Pour le moment, l’intégralité de la classe politique libanaise
appuyée par le
Président syrien Bachar Assad et le roi Saoudien Abdellah
appellent à la sauvegarde de l’Unité Nationale et de la Paix
civile. Néanmoins, cette unité politique semble très fragile à
cause des profondes divergences politiques et idéologiques qui
traversent la société libanaise accentuée par les pressions
juridico-politiques extérieures. Ainsi, tous les ingrédients
d’une guerre civile ou d’une déflagration régionale sont réunis,
seul manque le détonateur, à savoir, la divulgation des noms et
la qualité des accusés de l’assassinat de R.Hariri.
A moins que le Hezbollah se soumette au verdict de la Commission
d’enquête de l’ONU pour éloigner le spectre de la guerre civile.
Dans ce cas peu probable, il risque, d’une part, l’implosion et
d’autre part, la pression intérieure et extérieure serait telle
que le processus de désarmement se déclencherait inévitablement.
Comme il est également peu probable que le Gouvernement libanais
refuse de satisfaire le TSL pour sauvegarder l’Union nationale.
Une telle position
déboucherait sur une déflagration régionale.
Reste alors l’hypothèse
que le Hezbollah appuyé par le Courant patriotique de Michel
Aoun, pour ne pas être accusés de saboter l’Union nationale et
considérant le TSL comme un instrument politique
israélo-américain d’ingérence, déclenchent une guerre contre
l’Etat d’Israël avant même l’annonce de la Commission d’enquête.
En tout état de causes, il est peu probable que la question du
désarmement du Hezbollah, la question palestinienne,
l’occupation du Golan et le nucléaire iranien trouvent des
réponses diplomatiques.
Notes
(1)
http://blog.francetv.fr/Liban/index.php/2006/08/12/35248-liban-le-texte-de-la-resolution-1701
(2)
http://www.un-echo-israel.net/la-declaration-israelo
(3)
http://www2.ohchr.org/english/bodies/hrcouncil/docs/12session/A-HRC-12-48_ADVANCE2_fr.pdf
(4)
http://www.ism-france.org/news/article.php?id=303&type=analyse&lesujet=Initiatives%20de%20Paix
(5)
http://www.legrandsoir.info/Amalek-et-l-Etat-d-Israel.html
(6)
http://www.libanvision.com/mehlis.htm
(7) http://www.lorientlejour.com/category/Liban/article/666658/La_polemique_sur_Hezb_al-Tahrir_devra_attendre_la_reunion_du_Conseil_des_ministres.html
(8)
http://blog.mondediplo.net/2010-06-30-500-millions-de-dollars-contre-le-Hezbollah
(9)
http://blog.lefigaro.fr/malbrunot/2010/07/une-reconstitution-de-lassassi.html
(10)
http://www.israel7.com/2010/07/officiel-un-dirigeant-du-hezbollah-accuse-de-l’assassinat-d’al-hariri/
(11)
http://www.lorientlejour.com/category/Liban/article/666805/_Comment_Assad_s'est_laisse_convaincre
_par_Abdallah_de_l'accompagner_au_Liban ....html
© Droits d'auteurs Mohamed El Bachir, Mondialisation.ca, 2010
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