Opinion
Amertume et «
délire de victoire »
Mohamed
Bouhamidi
Lundi 27 mai 2013 La coalition de l’opposition
extérieure de la Syrie réitère, à
partir d’Istanbul, son exigence de
réaliser par Genève II ce qu’elle n’a
pu obtenir par l’insurrection. Elle
croit avoir beaucoup concédé en
acceptant que la conférence se
réunisse pour consacrer le départ
d’El Assad au lieu de se réunir
après ce départ. Moaz El Khatib, bon
prince, propose même au président
syrien de prendre une suite de cinq
cent personnes et de quitter la
Syrie, certainement par un de ces
couloirs humanitaires que rêvait la
France de Sarkozy dans sa superbe,
sans lui garantir d’immunité contre
une éventuelle action devant la
justice internationale. En clair
Moaz El Khatib met les pieds dans le
plat et offre à un chef d’état laïc
et plutôt moderne l’Aman Moyenâgeux
des traditions bédouines qui
constituent le fond de sa « pensée
politique», alors qu’il est censé
porter avec la caution française un
projet de république citoyenne
moderne. Ne cherchez pas dans la
presse meanstream française une
quelconque interrogation sur ces
curieux mariages – c’est le cas de
le dire depuis Taubira – entre le
boniment démocratique de Fabius et
les fantasmes bédouins ressuscités
dans la tête de chefs avouant leur
inféodation à des Emirats et des
royaumes moyenâgeux. La coalition a promptement refusé la
largesse « royale » de Moaz El
Khatib. Elle risquait de faire
croire aux miliciens et aux
mercenaires un manque de fermeté et
de détermination de la part de
l’opposition « cinq étoiles
», comme l’appellent désormais les
syriens, en référence aux fastes de
leur vie dans les grands hôtels. Les
dirigeants de la coalition
savent d’instinct et d’expérience
que ces « révolutions » enveloppées
dans le langage et dans les
motivations religieuses ne se
reconnaissent que dans l’ultime et
impossible identité de la politique
à la religion. Par nature, les
groupes islamistes, eux,
fonctionnent au « plus radical »
jusqu’à l’identité de l’acte humain
à la prescription divine. Derrière
la rodomontade, toute discussion
doit porter sur les modalités du
départ d’El Assad – et non sur la
construction d’une autre Syrie, qui
de toutes les façons est en train de
naître – se dessine implacable la
réalité de la défaite. Elle cherche
à donner une impression de toute
puissance et de gains tangibles en
demandant, en exigeant comme
préalable –en implorant en réalité –
que le pouvoir montre « la sincérité
de ses intentions »
par des « gestes simples »
comme « cesser le feu »
unilatéralement, se retirer de «
certaines villes etc. Nous pouvons
comprendre cette prolongation du «
délire de la victoire »
chez des dirigeants syriens
dont la survie politique est
désormais grevée par la réalisation
du seul but politique formulé
jusqu’à présent, si on considère
qu’il s’agit d’un but politique : le
départ d’El Assad. Plus ce but est
contrarié, plus la politique, elle,
refait surface et avec elle la
question soigneusement refoulée:
Quelle Syrie veulent les syriens ?
Premier accroc, les quarante mille
djihadistes étrangers dont a parlé
Lakhdar Brahimi, soixante quinze
mille selon d’autres sources, les
huit cents djihadistes européens
dont parle la presse européenne,
sont-ils concernés par la question
et qu’ont-ils à faire dans la
conférence de Genève II et
qu’ont-ils à en faire ? La coalition
ne peut espérer désarmer
politiquement cette force étrangère
qui fait l’essence de la «
révolution syrienne » qu’en
présentant à la masse considérable
de miliciens syriens qui
s’agglomèrent autour d’eux, des
victoires plus évidentes que celles
d’El Nosra, et donc au minimum
l’expulsion de l’armée syrienne des
« certaines villes », c'est-à-dire
Alep et Homs essentiellement. Les
sponsors de cette révolution
–France, Angleterre, Qatar, Arabie
Saoudite, Israël en douce - hors les
USA qui se sont rendus à la réalité
– subissent cette logique jusqu’au
bout : ils ne peuvent réclamer ni
proclamer moins que les djihadistes
: le départ d ‘El Assad. Et partant,
gêner les USA qui ne pourront qu’au
prix de mille difficultés entraîner
leurs comparses à accepter la
nouvelle réalité et réduire de
l’ampleur de la défaite. Les américains, eux, méditeront
longtemps ce principe de précaution
en politique : « on peut rattraper
un retard, jamais une avance ».
Ils auraient quand-même
besoin de fouiller dans les textes
de Mao Tsé Toung pour se convaincre
des bienfaits de l’autocritique même
si, au fond, ils risquent de trouver
à côté des vertus de cette méthode
d’évaluation et d’espérance pour
révolutionnaires cet axiome que
dédaigne l’Hybris comme l’arrogance
des puissants : « Nul rapport de
force n’est immuable ».
Publié sur
Reporters.dz
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