Opinion
«Tu peux nous voler
notre sommeil,
Nous avons dormi trop longtemps»
Mohamed Belaali
Khaled Saïd
Dimanche 13 mars 2011
Tu
peux élever tes palais sur nos champs
Avec notre labeur et le travail de nos mains
Tu peux lâcher tes chiens dans les rues
Et renfermer sur nous tes prisons
Tu peux nous voler notre sommeil
Nous avons dormi trop longtemps.
Poème d'Ahmed Fouad Negm chanté par Cheikh Imam.
Khaled Saïd est peut-être
le Mohamed Bouazizi égyptien. Depuis que la population a
découvert les photos insoutenables du visage méconnaissable du
jeune homme battu sauvagement à mort en pleine rue par la police
de Moubarak, grand ami des États-Unis, de l'Europe et d'Israël
entre autres, les manifestations en Égypte n'ont pour ainsi dire
jamais cessées. Khaled Saïd est devenu l'icône de la révolution
égyptienne comme Bouazizi l'est pour la révolution tunisienne.
Mais Khaled Saïd n'est que l'étincelle qui a enflammé tout un
peuple qui depuis longtemps souffrait en silence sous le règne
du régime de Moubarak.
Combien d'égyptiens et d'égyptiennes ont été
torturés par la police de
Moubarak? Combien d'hommes, de femmes et de familles
entières ont été brisés par la torture ? Personne ne le sait
avec précision. Les tortionnaires égyptiens ont acquis une
renommée telle que des pays comme les États-Unis et la Suède,
entre autres, extradaient illégalement des détenus présumés
«islamistes» vers l'Égypte pour les torturer (1).
Les égyptiens confondaient cette pratique
barbare avec le régime lui-même. Ils savent que l'un ne peut se
passer de l'autre. Pour se maintenir, le régime avait besoin de
terroriser la population et la torture ne pouvait s'exercer
efficacement (les experts disent scientifiquement) que par le
pouvoir de Moubarak. A la veille de sa chute, le 10 février
2011, alors que tout le monde attendait son départ, Moubarak est
apparu à la télévision pour dire … qu'il restait au pouvoir.
Pour Moubarak le pouvoir n'était pas un moyen mais une fin: le
pouvoir pour le pouvoir !
Mais la torture, cette négation totale
de l'être humain, n'est pas le seul visage du régime. La
corruption constituait l'autre face hideuse de l'Égypte de
Moubarak. En 2009
Transparency International
classait l'Égypte au 115e rang
sur 180 pays. Pendant les dix-huit jours de la révolution,
Moubarak et sa famille passaient leur temps à transférer des
sommes colossales vers des comptes indétectables à l'étranger.
La presse a évalué la fortune du tyran entre 40 et 70 milliards
de dollars. Ces chiffres sont peut-être exagérés, mais Moubarak
et sa famille utilisaient tout l'appareil de l'État égyptien
pour s'enrichir le plus rapidement possible : rentes et
prébendes en tout genre, commissions et rétrocommissions en
marge de contrats gaziers, d'armements, de vente et d'achat
d'entreprises publiques, d' investissements immobiliers dans les
États du Golfe etc. etc.(2).
La corruption gangrénait non seulement la tête
du régime, mais tout le corps social. La corruption, à l'instar
d'un cancer, rongeait toute la société égyptienne. Elle se
répandait dans la société comme les métastases dans un corps
malade. Il n'est pas jusqu'au policier, au douanier, au dernier
des fonctionnaires qui ne participait à ce terrible fléau
social. La corruption était devenue une quasi-institution . Elle
a permis au clan Moubarak d'amasser une fortune qui n'a d'égale
que la misère de l'immense majorité des égyptiens.
Au Caire par
exemple, des milliers et des milliers de citoyens pauvres vivent
dans ce que les égyptiens appellent «les cités des morts»
c'est-à-dire dans des cimetières ! Pour survivre, les plus
pauvres, et ils sont hélas très nombreux (40% de la population
vit avec moins de 2 dollars par jour), vendent, en «pièces
détachées», leurs organes: «l’Égypte est
régulièrement citée parmi les pays les plus concernés au monde
par le commerce d’organes»
(3).
Il faut dire
que les programmes de stabilisation et d'ajustement structurel
du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale
appliqués avec zèle par le régime de Moubarak ont nettement
contribué à cette misère en orientant par exemple la production
agricole vers l'exportation au détriment de la culture vivrière,
celle qui correspond aux besoins de la population. Les petits
paysans sont ainsi arrachés à leur terre, ruinés et remplacés
par les gros propriétaires terriens. Ces politiques libérales
acceptées déjà par Sadate, qui a remplacé Nasser en 1970,
poursuivies par Moubarak ont détruit également ce qui restait
encore des services publics de l'Éducation et de la Santé. Les
subventions aux produits de première nécessité ont été
progressivement supprimées et des pans entiers de l'économie
égyptienne ont été privatisés
(4).La
misère est ainsi devenue le lot quotidien de l'immense majorité
du peuple égyptien.
C'est ce
régime là qui a été porté à bout de bras par les bourgeoisies
américaines, européennes et leurs institutions internationales.
Le capitalisme et l'impérialisme n'ont jamais été incompatibles
avec les dictatures qui sont souvent leurs produits les plus
authentiques. Les États-Unis apportaient à l'Égypte de Moubarak
une «aide» financière, humaine et surtout militaire qui n'est
dépassée que par celle accordée à l'État terroriste d'Israël.
Mais la contrepartie était très lourde. Non seulement le pays a
perdu toute souveraineté et toute dignité, mais surtout
Moubarak, comme Sadate avant lui, a trahi le peuple palestinien.
Faut-il rappeler que la cause palestinienne est la cause de tous
les peuples arabes ? «La paix» séparée
avec
Israël
(le
Traité de paix israélo-égyptien est signé le 26 mars 1979 à
Washington à la suite des Accords de Camp David de 1978)est
une véritable machine de guerre contre le peuple palestinien.
Sadate a payé de sa vie cette trahison. Moubarak qui l'a
remplacé en 1981, a approuvé et justifié, au nom de cet accord,
les deux invasions du Liban, la féroce répression des Intifadas
palestiniennes et les massacres de l'opération «Plomb durci». Il
a même entamé, pour plaire à ses maîtres américains et
israéliens, la construction d'un mur d'acier souterrain
participant ainsi directement à l'étouffement de la bande de
Gaza où vivent un million et demi de palestiniens déjà soumis à
un terrible blocus de la part d'Israël. Ce blocus, entre autres,
donne la mesure de la cruauté des dirigeants de cet État
anachronique.
La révolution arabe en marche dévoilera
davantage encore le visage hideux de l'entité sioniste. Quel
contraste, en effet, entre les peuples du monde arabe qui
désirent ardemment bâtir une société démocratique débarrassée
des despotes d'un autre âge et l'État hébreux dirigé par une
équipe d'extrémistes fanatiques, qui construit le «Grand Israël»
sur les cadavres des palestiniens. D'un côté, une folle envie de
démocratie, de dignité et d'une société meilleure s'est emparée
des peuples arabes, de l'autre, Israël qui s'enfonce, chaque
jour un peu plus, dans le fanatisme et la barbarie.
Si les
bourgeoisies occidentales ont tout fait pour maintenir au
pouvoir un régime aussi cruel et corrompu que celui de Moubarak,
le peuple égyptien, lui, désirait de toute ses forces le
renverser. Les égyptiens ne scandaient-ils pas à l'unisson dans
tout le pays «le peuple veut renverser le régime»
? Ce slogan a été repris,
d'ailleurs, par les peuples arabes en lutte contre leurs tyrans.
Le régime de Moubarak a créé une situation insoutenable pour le
peuple égyptien. La situation était devenue explosive et elle a
effectivement...explosé. Le peuple d'Égypte a su se débarrasser,
et d'une manière admirable, de ce régime tyrannique soutenu par
les Etats-Unis, l'Europe et Israël. Décidément l'intérêt des
peuples et ceux de l'impérialisme et du sionisme sont absolument
incompatibles.
Torture, corruption, misère et trahison
sont les caractéristiques et les fondements du régime de
Moubarak. Dignité, liberté, démocratie et solidarité sont les
valeurs pour lesquelles le peuple d'Égypte a donné généreusement
des centaines de martyrs et des milliers de blessés. Khaled Saïd
l'égyptien, Mohamed Bouazizi le tunisien et tous les martyres
tombés pour une nouvelle société resteront à jamais gravés dans
la mémoire et le cœur des masses arabes opprimées.
Notes
(1)
http://www.hrw.org/en/reports/2005/05/09/black-hole
(2)
http://www.guardian.co.uk/world/2011/feb/04/hosni-mubarak-family-fortune
(3)http://blog.mondediplo.net/2009-10-19-Egypte-organes-a-vendre#nb3
(4)Pour plus
de développement sur cet aspect du sujet, voir
Louis Blin:«Le
programme de stabilisation et d'ajustement structurel de
l'économie égyptienne» :
http://ema.revues.org/index1211.html
Le dossier Egypte
Dernières mises à
jour
|