Tunisie
Dix raisons de
croire que les Tunisiens ne vivent pas
dans un Etat de droit
Moez
Ben Salem
Jeudi 17 mai 2012
En Tunisie, vivons-nous dans un Etat
de droit? C’est la question qui me
taraude l’esprit depuis la mise en place
d’un gouvernement provisoire dominé par
le parti islamiste Ennahdha.
Par Moez Ben Salem
En effet, depuis cette date, chaque
semaine apporte son lot de scandales, de
comportements hors la loi, souvent
d’ailleurs impunis, de dérives
sécuritaires graves, de décisions de
justice ubuesques, sans oublier, bien
entendu, l’installation d’un émirat
salafiste quelque part sur le territoire
national, véritable Etat dans l’Etat!
Je ne vais pas pouvoir énumérer tous
les actes de transgression de la loi qui
ont été commis au cours des derniers
mois car il me faudrait écrire un livre
entier, aussi vais-je me contenter de
passer en revue les 10 situations qui me
paraissent les plus graves.
Le 9 avril
à Tunis, la police revient à ses
pratiques d'antan
1-
L’occupation de la faculté des lettres
de la Manouba par des salafistes:
C’est une affaire honteuse qui a
pourri la vie, des mois durant, à des
milliers d’étudiants et d’enseignants
universitaires et dans laquelle se
mêlent l’incompétence et la mauvaise foi
du gouvernement.
Un certain 28 novembre 2011, deux
étudiantes en niqab sont, en toute
logique, empêchées de passer des
examens. Elles font alors appel à un
groupe de salafistes, en majorité
étrangers à la faculté, qui occupent
l’administration, empêchent le
déroulement normal des cours, agressent
étudiants, enseignants et même le doyen
de la faculté en toute impunité.
Cette affaire, largement relayée par
les médias, nationaux et internationaux,
a gravement terni l’image de la Tunisie
à travers le monde, au vu et au su du
ministre de l’Enseignement supérieur,
connu pour son idéologie religieuse
fondamentaliste proche de l’extrême
droite, qui n’a pas trouvé mieux que
d’en imputer la responsabilité au doyen
de la faculté !
2- La
profanation du drapeau national en toute
impunité:
Conséquence du pourrissement de
l’affaire de la faculté des lettres de
la Manouba et de l’étrange passivité du
gouvernement face aux agissements des
salafistes, l’un des activistes
religieux s’est permis d’arracher le
drapeau tunisien et de le remplacer par
la bannière noire de son groupe
fondamentaliste, au grand dam de
millions de Tunisiens qui se sont sentis
blessés et meurtris dans leur âme par ce
geste insensé. Heureusement qu’à cet
instant, une jeune fille armée de son
courage a su tenir tête à l’énergumène
et remettre en place notre drapeau,
symbole du sacrifice des martyrs qui ont
donné leur vie pour que la Tunisie soit
un pays souverain et indépendant.
Le pire dans cette affaire est que le
profanateur, quoique identifié, n’a pas
été inquiété outre mesure par les
autorités. Il a pu ainsi se pavaner à sa
guise pendant des semaines avant de se
rendre de son plein gré à la police.
Traduit en justice, il n’a écopé que
d’une peine de prison de 6 mois avec
sursis, qui en dit long sur
l’indépendance de la justice.
(Pour information, si la loi avait
été correctement appliquée, le
profanateur aurait dû être condamné une
peine de 1 an de prison ferme).
Les
salafistes imposent leur loi à
l'université
3- La parade
des prédicateurs ignobles:
Durant les mois écoulés, notre pays a
vu défiler de nombreux
apprentis-prédicateurs d’opérette, le
plus célèbre d’entre eux étant le
dénommé Wajdi Ghanim, qui s’est rendu
tristement célèbre en faisant l’apologie
de l’excision des fillettes, coutume
barbare datant de la Jahiliya (la
période antéislamique). Cet odieux
personnage, condamné dans son propre
pays, n’a pas trouvé mieux que de
profiter de l’hospitalité des Tunisiens
pour venir les insulter, et ce avec la
bénédiction de certains hauts cadres du
parti Ennahdha, de membres de
l’Assemblée nationale constituante et
même de membres du gouvernement, qui lui
ont déroulé le tapis rouge.
Comment un Etat de droit pourrait-il
se permettre d’autoriser une personne
étrangère à venir lancer sur son sol des
appels à la haine et à la discorde?
4- Les
milices au service du parti-Etat :
Par une sorte de syndrome de
Stockholm, Ennahdha semble suivre le
chemin de l’ancien parti au pouvoir, le
Rcd, dans bien des domaines, notamment
celui des milices, chargées de faire le
sale boulot!
Lors de la marche du 9 avril,
destinée à commémorer le sacrifice des
martyrs, l’auteur ces lignes était aux
premières loges pour voir ces milices
barbues à l’œuvre, en train de tabasser
de simples citoyens venus fêter
pacifiquement un évènement cher à leurs
yeux.
Comme si le fait de lancer des gaz
lacrymogènes était insuffisant, le
ministre de l’Intérieur, cherchant
visiblement à montrer un semblant
d’autorité, a permis à ces milices
d’agir en toute impunité et au mépris
des lois élémentaires du respect des
droits de l’homme.
Les
salafistes essaient d'imposer leur
loi... avec l'indulgente
complicité
d'Ennahdha
5 - La
tentative de mainmise sur la télévision
nationale
Continuant sur leur lancée et
cherchant à «aider» le parti au pouvoir
à asseoir sa domination sur les médias
et notamment la Télévision nationale et
ses deux chaînes Watanya1 et Watanya 2,
ces milices ont organisé un sit-in juste
en face du siège de l’établissement,
offrant, deux mois durant, un spectacle
désolant de voyous lançant à travers des
mégaphones des slogans orduriers, appris
par cœur, et des grossièretés à
l’adresse des speakerines et
présentatrices du télé-journal. Trois
d’entre elles, n’en pouvant plus de voir
leur honneur atteint par ces
énergumènes, ont préféré démissionner.
Pour pouvoir camper de la sorte deux
mois durant, il est clair que ces
individus n’ont pas d’autre boulot, ce
qui pourrait laisser penser qu’ils sont
payés pour le faire, d’autant que
certains témoins affirment avoir vu des
voitures venir régulièrement apporter de
la nourriture (et pourquoi pas autre
chose) à ces sit-inneurs décidément très
professionnels.
6 - Des
Salafistes au dessus des lois :
Il semble que, sous le «règne» d’Ennahdha,
les salafistes bénéficient d’une
impunité totale et qu’ils peuvent mener
des actions violentes sans courir le
moindre risque pénal. Il suffit de
rappeler les agressions contre des
journalistes (notamment des journalistes
Zied Krichène et Sofiène Ben Hamida), de
l’universitaire et écrivain (Hamadi
Redissi), des artistes, des innombrables
citoyens (et, surtout, citoyennes)
ordinaires, et ce en toute impunité.
Il y a lieu de noter que même les
agents de police peuvent être victimes
d’agressions de la part de ces
salafistes, que le chef d’Ennahdha
décrit comme ses «propres fils», qui lui
rappellent sa «prime jeunesse»!
Si les forces de police ne sont même
pas capables de se protéger elle-mêmes
contre ces individus violents, alors
comment pourraient-elles protéger les
citoyens?
Les forces
démocratiques muselées par le nouveau
poucoir
7 - Les
appels au meurtre impunis :
De nombreux Tunisiens sont
scandalisés par cette douloureuse
affaire d’appel au meurtre à l’encontre
des juifs lancé par des extrémistes lors
de l’arrivée de l’ex-Premier ministre
palestinien Ismail Haniye. Non seulement
cet appel au meurtre est resté impuni
mais il s’est répété à plusieurs
reprises. Le cas le plus édifiant est
celui de l’appel au meurtre lancé
publiquement contre l’ancien Premier
ministre par un fonctionnaire de l’Etat,
un haut cadre du ministère des Affaires
religieuses de surcroît, dont le salaire
est payé par le contribuable tunisien!
8 - L’affaire
Nessma TV :
C’est une affaire pour le moins
abracadabrante dans laquelle les
agresseurs sont innocentés alors que la
victime est condamnée!
Quelques semaines avant les élections
du 23 octobre 2011, la chaîne privée
Nessma TV a eu la malencontreuse idée de
diffuser le film ‘‘Persépolis’’. Ce film
qui avait été auparavant projeté dans
diverses salles de cinéma a été jugé
blasphématoire par certaines personnes
qui ont réussi à faire une manipulation
politique, de sorte que des hordes
d’énergumènes excités et endoctrinés se
sont attaqués à la personne du directeur
de la chaîne ainsi qu’a des membres de
sa famille.
La justice a quasiment blanchi les
agresseurs. Elle a, en revanche,
condamné le directeur de la chaîne à
payer une lourde amende.
Il y a lieu de noter que le verdict a
été prononcé le jour même de la
célébration de la liberté d’expression,
ce qui a suscité une vive réaction
d’indignation de la part de
l’ambassadeur des Etats Unis d’Amérique.
Et d’organisations internationales de
défense des libertés.
9 -
Dédommagement des islamistes ou le
hold-up du siècle:
Au moment où la situation économique
du pays s’aggrave très sensiblement, où
le chômage s’amplifie, où l’inflation
galopante rogne le pouvoir d’achat du
citoyen tunisien, qui trouve toutes les
peines du monde à joindre les deux
bouts, et où les blessés de la
révolution sont livrés à eux-mêmes et
traités de façon indigne, les membres du
gouvernement islamiste ne trouvent pas
mieux que de sortir cette histoire
d’indemnisation des victimes de la
répression de Ben Ali.
Certaines rumeurs font état d’un
montant astronomique (non confirmé)
d’une cagnotte de 750 millions de dinars
qui serait répartie entre les anciens
prisonniers politiques. Ce qui
constituerait un véritable hold-up sur
les caisses de l’Etat, déjà à moitié
vides!
Heureusement que dans notre pays, il
reste des hommes et des femmes dignes
qui refusent de manger de ce pain,
notamment ces militants de gauche qui
ont annoncé qu’ils refuserait de
percevoir ces indemnités et qu’ils ont
milité pour la libération et
l’émancipation de leur peuple, et non
pour être… rémunérés pour leur combat!
10- L’émirat
salafiste du Sejnanistan
C’est sans doute l’affaire la plus
grave, qui semble relever du surréalisme
!
Divers médias tunisiens et étrangers ont
révélé cette histoire gravissime de
l’établissement d’un émirat salafiste
dans le paisible village de Sejnane
(nord-ouest), dont les habitants se
trouvent à la merci d’un groupe de
fondamentalistes religieux qui fait
régner la terreur, à travers des actes
de torture sur de paisibles citoyens. Un
Etat dans l’Etat!
Le pire est que cette affaire dure
depuis des mois sans que le gouvernement
provisoire ne lève le petit doigt pour y
remédier, se dérobant derrière des
dénégations qui ne convainquent
personne.
Tout récemment, un groupe d’une
centaine d’étudiants, transitant par ce
village, se sont fait menacer, insulter
et même violenter par des extrémistes
salafistes, sans que la police ne daigne
intervenir.
Tout ce que notre gouvernement a
trouvé comme commentaire, c’est de dire
qu’il ne s’agit pas de touristes
étrangers, mais d’étudiants tunisiens!
Ceux qui croient encore que la
révolution tunisienne est celle de la
dignité doivent déchanter!
En définitive, même si nous nous
réjouissons du départ du tyran Ben Ali,
nous devons nous résoudre à accepter le
fait que le chemin vers l’établissement
d’un véritable état de droit en Tunisie
est encore long et semé d’embuches !
Copyright © 2011
Kapitalis. Tous droits réservés
Publié le 17 mai 2012 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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