Opinion
Irak : Incertitudes et luttes futures
Michaël Schwartz
Jeudi 1er septembre 2011
(traduction et synthèse par Xavière
Jardez)
Si, selon Claus von Clausewitz,
la guerre est la continuation de la
politique par d’autres moyens,
l’environnement politico-économique
actuel en Irak est
« la continuation de la guerre par
d’autres moyens ».
Après six années d’un carnage militaire
sans égal au cours des deux dernières
décennies, on assiste à
« l’installation »
d’une lutte multiple sur son rôle dans
le système mondial, son rôle au
Moyen-Orient et son rôle dans sa réponse
aux besoins de la population …
Cette lutte prend des formes
moins spectaculaires que celles, plus
violentes, de la période précédente et
obscurcit les liens qui relient la
guerre et cette espèce de quasi-paix qui
prévaut actuellement. C’est en scrutant
cette nouvelle réalité, que nous voulons
rendre visibles ces liens et identifier
les forces qui donneront forme à l’issue
de cette lutte.
Ambitions impériales
Quand les Etats-Unis ont envahi l’Irak
en mars 2003, ils avaient mûri les buts
de cette invasion depuis 15 ans et les
avaient affinés au cours des 26 mois de
l’administration Bush. La population
américaine n’avait pas eu son mot à dire
sauf à suivre ce que Paul Wolfowitz
avait déclaré « la seule question
sur laquelle tous doivent être d’accord
est la question des armes de destruction
massive ». Il va sans dire que les
événements postérieurs ont dégagé quatre
principes généraux pour cette invasion :
- l’Irak deviendrait le noyau militaire
d’une présence hégémonique US au Moyen
Orient, quartier général d’une force
militaire permanente majeure, comptant
habituellement 50 000 militaires.
- Le gouvernement irakien serait un
allié politique solide des Etats-Unis
opposant une résistance vigoureuse au
contrôle régional de l’Iran et
apaiserait son antagonisme face à
Israël.
- L’économie irakienne intégrerait le
système de mondialisation conduit par
les Etats-Unis, en démantelant les
entreprises nationalisées (constituant
35% de l’économie avant la guerre) et
les replaçant par des multinationales
privées, internationales bien
imbriquées.
- L’industrie pétrolière irakienne
serait intégrée au marché mondial avec
une augmentation dramatique de sa
production dont le contrôle et la prise
de décision sur les niveaux de
production échapperaient au gouvernement
irakien pour être transférés aux forces
du marché international.
Rien n’est joué
Qu’en est-il de la réalisation de ces
buts initiés par Bush et repris
par l’administration Obama ?
- S’agissant du positionnement du
quartier général US au Moyen-Orient,
plutôt que de conquérir et de pacifier
les centres de résistance à son
occupation, les Etats-Unis ont engendré,
avec l’envoi de troupes additionnelles (the
surge), un carnage sans précédent
et une dislocation de l’Irak. C’est
seulement quand les Etats-Unis ont
modifié leur stratégie et se sont alliés
à leurs adversaires insurgés que les
massacres et les attentats ont cessé….
Mais Obama n’a pas abandonné l’idée de
Bush, indépendamment de l’accord signé
par ce dernier (retrait des troupes
US, vacation ou destruction des bases US
ou leur transfert aux Irakiens),
comme l’a dernièrement souligné le
Secrétaire à la Défense, Robert Gates
devant le Congrès : « Il y a
certainement pour nous un intérêt à
disposer d’une présence
additionnelle ». Des pressions
accrues pour modifier l’accord (SOFA),
avant le 31 décembre 2011, ont donné
lieu à une campagne publique orchestrée
par de hauts militaires soulignant
l’urgence de la situation et
corrélativement à des mouvements de
protestations incluant syndicats,
parlementaires, la résistance.
- L’Irak sera-t-il l’allié
inconditionnel des Etats-Unis ? Trois
élections et quatre gouvernements, n’ont
pas permis aux Etats-Unis de recueillir
le soutien à sa ligne politique,
particulièrement en matière de
diplomatie régionale, c’est-à-dire, face
à l’Iran, avec lequel un certain nombre
de membres du gouvernement irakien avait
des liens. Les Américains ont subi échec
après échec jusqu’à la conclusion d’un
accord… d’armement avec l’Iran, abrogé
sous pression américaine,
d’accords économiques à long terme, dont
la construction à Kerbala d’un aéroport
pour desservir les pèlerins chiites, et
l’inclusion de la province de Diyala
dans le réseau électrique iranien.
Il n’y a eu aucun dégel face à Israël ;
l’opinion publique et les
manifestations font de l’Irak une place
forte du soutien (rhétorique) aux
Palestiniens. Au lieu de graviter dans
l’orbite de l’Arabie Saoudite, le
gouvernement de Maliki a gardé ses
distances avec les pays du Golfe et n’a
toujours pas réglé avec le Koweït la
question des compensations réclamées par
ce dernier après la première guerre du
Golfe. L’amélioration de ses relations
avec l’Iran a facilité les relations
économiques et politiques avec la Chine
et la Russie, créant ainsi d’autres
difficultés pour les Etats-Unis.
Rien n’est joué sur la place qu’occupera
l’Irak au Moyen- Orient dans les
remaniements
politico-militaro-économiques régionaux
qui se dérouleront au Moyen-Orient.
- Ouvrir la voie à la mondialisation de
l’économie irakienne a été accompli dès
les premiers jours de l’invasion
avec le démantèlement des 192
entreprises nationales qui constituaient
les 30% du produit du pays et
soutenaient une portion substantielle du
secteur privé. Cela entraîna une
dépression pire que celle connue par les
Etats-Unis en 1930 à laquelle s’ajouta
la dé-baasification du système qui a
paralysé tous les services publics dont
l’éducation, le secteur hospitalier,
l’assainissement des eaux. « Cette
thérapie de choc de l’économie »
selon la terminologie des néo-libéraux
US, devait être suivie d’un train
d’investissements pour ériger une
économie dynamique. Mais l’âge d’or ne
s’est jamais matérialisé car les
multinationales ont refusé leur
participation et la « reconstruction »
des « contractors » n’a
qu’aggravé le déclin.
Rien n’est résolu
Devant cette catastrophe économique, les
forces civiles du pays (syndicats,
parlementaires, fonctionnaires) ont tous
demandé de revenir sur les
privatisations imposées par l’occupant
US par l’utilisation des recettes
pétrolières pour financer des
programmes, nouveaux ou en cours,
proposés par les autorités locales.
Depuis deux ans, l’Irak a été le théâtre
de nombreuses manifestations sur les
questions économiques tant et si bien
que le ministre de l’énergie a été
obligé de promettre d’engager 70
milliards de dollars sur 10 ans pour la
restauration (non privée) du
réseau de distribution d’électricité. Il
est à noter que la municipalité de
Bagdad a engagé une procédure contre les
Américains, pour un milliard de dollars,
pour les dommages causés à
l’infrastructure de la ville.
Dès 2008, la poursuite par les
Etats-Unis de cette politique
néo-libérale devint plus visible et fut
même endossée par Obama dans son Message
à l’Union en 2011 qui promettait un « partenariat
durable avec l’Irak » sous la forme
« d’un partenariat dynamique »
centré sur « la
stabilisation de l’économie par
l’investissement étranger ». La
mise en œuvre revenait au Département
d’Etat avec l’expansion d’ « une
ambassade extraordinaire avec
différentes fonctions » comme
décrite par l’ambassadeur US James
Jeffrey dont le personnel totaliserait
en 2012, 16 000 personnes.
-La lutte pour le pétrole :
contrairement à l’économie, le secteur
pétrolier a été maintenu par les
Américains sous contrôle de l’Etat
irakien pour que ni le flot, ni les
recettes du pétrole ne s’interrompent.
Le plan US était de quadrupler la
production et de transférer les pouvoirs
de décision aux compagnies pétrolières
internationales, ce qui aurait
définitivement torpillé les possibilités
de l’OPEP en matière de production et de
prix. Mais l’opposition à ces projets a
éclaté venant de tous bords et allant du
sabotage d’oléoducs à la reprise en main
des sites ou au détournement des fonds
vers de projets locaux et la résistance
armée.
Questions en suspens
Si, avec l’arrivée au pouvoir d’Obama,
des contrats d’exploration et de
production ont été signés, il n’en reste
pas moins que les termes et conditions
de ces contrats ont été tels que ces
compagnies pétrolières ont refusé de
jouer le jeu et ne l’ont fait que
lorsque les deux principales compagnies
nationales chinoises en ont accepté le
cadre à savoir, contrôle du niveau de
production par le gouvernement irakien,
formation et embauche de personnel
irakien, techniciens et administratifs,
et royalties de deux dollars par baril
de pétrole extrait.
A l’heure actuelle, les questions qui
sont en suspens et feront l’objet de
luttes sont de savoir si le gaz naturel
capté sera sous le contrôle des
compagnies ou le gouvernement, si les
produits raffinés seront alloués en
premier lieu aux Irakiens avant d’être
exportés, si les compagnies seront dans
l’obligation d’employer des Irakiens en
lieu et place de leurs employés
non-nationaux.
Rien n’est résolu dans ce domaine et les
forces civiles, syndicales, du
gouvernement local et la résistance
seront là pour que ce combat centenaire
pour le pétrole aboutisse à un « commonwealth »
irakien.
Source :
Professeur Michaël Schwartz, Department
of Sociology, Stony Brook University,
paru dans International Socialist
Review (juillet-août 2011)
http://www.isreview.org/issues/78/feat-iraq.shtml
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 31 août 2011 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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