Al-Ahram Hebdo
Pour un procès sans
compromis
May Al-Maghrabi
Mercredi 1er juin 2011
Moubarak.
L’ancien chef de l’Etat a été déféré devant le Tribunal pénal
pour meurtre et corruption. De nombreux Egyptiens dénoncent la
lenteur des procédures.
C’est la première fois dans l’histoire de l’Egypte qu’un ancien
chef de l’Etat soit condamné par un tribunal. Avec deux de ses
anciens ministres, Hosni Moubarak a été condamné à une amende de
540 millions de L.E. pour avoir « porté préjudice à l’économie »
nationale en coupant Internet et le téléphone mobile pendant la
révolution du 25 janvier. Cette somme correspond au coût estimé
de la coupure de ces moyens de communication pendant 5 jours
décidée par le gouvernement. Le président déchu, son ancien
premier ministre, Ahmad #8217;ex-ministre de l’Intérieur,
Habib Al-Adely, ont été respectivement condamnés à payer à
l’Etat 200 millions, 40 millions et 300 millions de L.E.
Tout
aussi « historique » qu’il soit, ce précédent a été éclipsé par
un autre. Celui de la décision, quelques jours plus tôt, du
procureur général, Abdel-Méguid Mahmoud, de déférer
l’ex-président et ses fils Alaa et Gamal devant un tribunal
pénal. Ils sont accusés cette fois d’avoir « planifié le meurtre
de certains participants aux manifestations pacifiques de la
révolution du 25 janvier » et d’avoir abusé de leur position
pour s’enrichir. Selon un bilan officiel, 846 personnes ont été
tuées et 6 000 blessées entre le 25 janvier et le 11 février
2011. S’il est reconnu coupable, l’ex-président est passible de
la peine capitale, avait affirmé le ministre de la Justice
Abdel-Aziz Al-Guindi. Le tribunal décidera de la date du procès
dès qu’il aura reçu le dossier que le Parquet doit lui envoyer
dans les jours à venir, a indiqué une source judiciaire.
En
fait, les procès relatifs à la corruption ou dont les jugements
impliquent un remboursement des fonds détournés ou dilapidés,
loin de propager de la satisfaction auprès d’une population «
qui a soif de justice », provoquent plutôt des vagues de
protestations. Les Egyptiens réclament le jugement des caciques
de l’ancien régime, l’ex-président en premier lieu, pour leurs «
crimes politiques ».
La
plupart des Egyptiens jugent la détention préventive de Hosni
Moubarak dans un hôpital luxueux de népotisme non justifié. Ils
protestent notamment contre une lenteur jugée parfois
intentionnelle, et souvent incompréhensible des poursuites
contre Moubarak, sa famille et son régime. Jusqu’à présent, le
lieu des audiences (Le Caire ou Charm Al-Cheikh) n’a pas été
précisé. L’armée a annoncé que le procès se déroulera au Caire
alors que le ministre de la Justice affirme que les rapports
médicaux sur l’état de santé de l’ex-président et la difficulté
pour le ministère de l’Intérieur à sécuriser les lieux ne
permettent pas le déroulement du procès au Caire.
Le
13 avril, l’ancien raïs avait été placé en détention préventive
à l’hôpital international de Charm Al-Cheikh, station balnéaire
sur la mer Rouge où il s’est réfugié après sa chute. Alaa et
Gamal sont, eux, dans la prison de Torah, au Caire.
«
Cette semaine, un professeur a été déféré à la justice le
lendemain de la diffusion d’une vidéo où il battait des enfants.
Alors que ceux qui ont commis des meurtres prémédités contre des
manifestants pacifiques au vu et au su de tout le monde ne
provoquent pas autant d’indignation », constate Amal Charaf,
activiste du mouvement du 6 Avril.
Un
tribunal révolutionnaire pour le jugement
Face
à cette lenteur, de plus en plus de personnes sont prêtes à
croire que seul un tribunal révolutionnaire, voire exceptionnel,
est à même de juger les hommes de l’ancien régime. « Hosni
Moubarak doit comparaître devant la justice comme un citoyen
ordinaire. Personne n’est au-dessus de la loi. Ses crimes
dépassent de loin ceux qui lui ont été attribués. Il nous a
volés pendant 30 ans, il nous a volé la vie, la santé et la
dignité », s’indigne Mohamad Aboul-Ela, vice-président du Parti
nassérien. Il a présenté un mémorandum au Conseil militaire
réclamant la formation immédiate d’un « tribunal révolutionnaire
» pour juger Moubarak et les prévaricateurs de son régime. Selon
Aboul-Ela, la loi civile souffre de lacunes que ces derniers «
utiliseront sûrement à leur profit ».
Un
souci partagé par Adel Eïd, directeur de l’initiative arabe des
droits de l’homme, qui trouve indispensable de purger les
institutions de l’Etat avant de procéder au jugement des hommes
de l’ancien régime. « La révolution n’a réussi qu’à écarter
Moubarak. Ses institutions juridiques et politiques sont
toujours là. Comment peut-on s’attendre à un jugement équitable
sous des lois taillées hier par les accusés d’aujourd’hui ? »,
se demande-t-il. « Des dizaines de lois sur les investissements
ont été spécialement adaptées aux intérêts des anciens
responsables, même les crimes contre les manifestants peuvent
être justifiés à travers la loi d’urgence qui interdisait les
manifestations », cite Eid à titre d’exemple.
Une
« expérience » qui ne fait toutefois pas l’unanimité. « La
révolution du 25 janvier a le mérite d’avoir renversé le régime
tout en épargnant les institutions de l’Etat, dont la Justice »,
estime Amr Al-Shobaki, du Centre des Etudes Politiques et
Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. En outre, il souligne le danger
de ces demandes sur le processus de démocratisation. Il se sert
de l’exemple de la révolution iranienne de 1979 « qui a commencé
par des jugements exceptionnels des symboles du régime du Shah,
avant de se retourner contre tous les opposants, considérés
comme ennemis du nouveau régime de Khomeiny ». Al-Shobaki estime
que le fait de demander aux magistrats de se politiser ou de
juger au gré de la rue est contraire au principe même de la
justice revendiquée.
Le
magistrat Mahmoud Al-Khodeiri pense, de son côté, que le procès
de Moubarak peut s’étendre sur des mois. Pour lui, ce qui compte
ce n’est pas la durée, mais « c’est que les gens voient que la
procédure est irréprochable ». Pour les rassurer, « il est
important d’en ôter le caractère mystérieux, et que les
audiences soient retransmises en direct, sinon, la population ne
croira pas à l’intégrité de la procédure », estime-t-il.
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reproduction et de diffusion réservés. ©
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Publié le 1er juin 2011 avec l'aimable autorisation de
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