Effet de serre
Climat : où en
sont les négociations pour limiter le
réchauffement planétaire ?
Maxime Combes
Jeudi 31 mai 2012
Un nouveau record
d’émissions de gaz à effet de serre a
encore été battu en 2011. Plusieurs
instituts de recherche annoncent un
réchauffement de plus de 3,5 °C d’ici à
la fin du siècle. Malgré cela, de
nouvelles négociations climatiques
viennent de se terminer, dans
l’indifférence générale, à Bonn.
Toujours pas d’accord en vue. Les États
continuent de se renvoyer la balle, le
marché du carbone est en pleine
déconfiture, et les promesses des
grandes négociations tombent dans
l’oubli. Le chaos climatique, lui,
n’attend pas.
À croire que les sécheresses en
Australie et en Afrique, les inondations
au Pakistan et en Thaïlande, les feux de
forêt en Russie, la montée des eaux qui
menace les îles du Pacifique, le
changement des saisons des pluies dans
les Andes ou en Asie du Sud-Est ne
suffisent pas. Les dernières
négociations internationales sur le
climat, qui ont eu lieu à Bonn
(Allemagne) du 14 au 25 mai, se sont
achevées « dans la discorde et la
déception », estime The Guardian.
Pourtant, de nouveaux records
d’émissions de gaz à effet de serre ont
été battus : + 3,2 % en 2011 ! Après
avoir connu une augmentation de 6 % en
2010… Pour avoir une chance sur deux de
ne pas dépasser les 2 °C d’augmentation
de la température d’ici à la fin du
siècle, les émissions ne devraient
presque plus augmenter jusqu’en 2017,
selon le scénario de l’Agence
internationale de l’énergie (AIE). Ce
qui fait dire à Fatih Birol, économiste
en chef de l’AIE, que la possibilité de
ne pas dépasser les 2 °C est sur le
point de devenir inaccessible.
En se fondant sur les engagements
actuels de réduction de chaque pays,
trois instituts [1]
prévoient que la température globale
moyenne va augmenter de 3,5 °C d’ici à
la fin du siècle. « Plusieurs
gouvernements ne semblent pas appliquer
les politiques censées leur permettre
d’atteindre leurs objectifs de réduction
de GES, estiment-ils. D’où une
difficulté à contenir l’augmentation de
la température terrestre entre 1,5 et 2
°C. Les émissions du Canada devraient
augmenter de 7 % d’ici à 2020 par
rapport à 2005. Ce dernier s’était
pourtant engagé à les réduire de 17 %
sur la même période. Le protocole de
Kyoto – dont la Canada s’est depuis
retiré – prévoyait qu’il les réduise de
6 % entre 2008 et 2012 par rapport à
1990.
Comment les États se
renvoient la balle
À Bonn, avait lieu en mai la première
rencontre après la conférence de Durban
de décembre 2011. Les pays étaient
censés établir un plan de travail pour
les trois prochaines années. Une «
phase conceptuelle » (sic), selon le
négociateur américain. À Durban, après
de longues nuits de négociations, les
pays avaient finalement décidé de
poursuivre la discussion en vue d’un
accord en 2015, qui pourrait entrer en
vigueur en 2020 (re-sic) ! Débutées
après le sommet de Rio de 1992, les
négociations internationales sur le
climat semblent s’enliser de façon quasi
irrémédiable, faisant naître « un
immense fossé entre un monde qui fonce
vers le chaos climatique et des États
qui se livrent à la procrastination »,
comme le
signalait Basta ! en décembre
dernier.
Lorsque les négociations sont
bloquées, les États en profitent pour
reprendre leur jeu favori : le «
blame game ». Ce qu’on pourrait
traduire en français par « se renvoyer
la balle ». Ils passent leurs journées à
se rejeter la responsabilité de
l’inertie des négociations, oubliant de
balayer devant leur porte. L’Union
européenne s’en donne à cœur joie. Par
l’intermédiaire de sa commissaire à
l’Environnement, Connie Hedegaard, elle
n’hésite pas une seconde à dégainer
contre l’Inde et la Chine, accusées de
« dépenser trop d’énergie en essayant
de revenir en arrière plutôt que de
sécuriser les progrès ». En ligne de
mire, les positions prudentes de ces
pays quant à l’ouverture de négociations
qui les placeraient sur un pied
d’égalité avec les pays ayant
historiquement émis plus des trois
quarts des gaz à effet de serre.
Les pays du Nord, principaux
responsables des dérèglements
climatiques actuels, sont accusés
par la Chine, l’Inde et les pays «
en développement », de vouloir «
échapper aux engagements
juridiquement contraignants » et
d’abandonner le principe de «
responsabilités communes mais
différenciées ». Difficile de
leur donner tort, à voir l’inaction
des États-Unis et la décision du
Canada de sortir du protocole de
Kyoto [2].
Ou la volonté de la Russie, du
Japon, de l’Australie et de la
Nouvelle-Zélande de ne pas
s’aventurer sur une deuxième période
d’engagements de réductions
d’émissions.
Les fausses solutions de
l’Union européenne
L’Union européenne, affublée d’un
très usurpé titre de « leader
climatique », n’est pas exempte de
tout reproche. D’abord parce qu’elle
cible ses attaques sur la Chine et
l’Inde plutôt que sur les États-Unis
et le Canada. Ensuite parce qu’elle
refuse de s’engager sur des
réductions d’émissions de 40 % d’ici
à 2020. Le seul engagement possible
au vu des enjeux, et pour donner du
contenu à une seconde période
d’engagements dans le cadre du
protocole de Kyoto. Si l’on y ajoute
des promesses de financements auprès
des pays du Sud qui restent non
tenues – le Fonds vert pour le
Climat n’est toujours pas
opérationnel – et le fait que sa
politique d’efficacité énergétique
est actuellement torpillée, l’UE
aurait beaucoup à faire avant de
donner des leçons à tout le monde en
matière de politique climatique !
L’Agence européenne de
l’environnement (AEE) vient de
révéler que les émissions de l’UE
ont de nouveau augmenté, de 2,4 % en
2010. Si les sources d’énergies
renouvelables ont cru de 12,7 % au
sein de l’UE, la consommation totale
de gaz a également augmenté de 7,4
%. Preuve que que les énergies
renouvelables s’ajoutent au mix
énergétique existant, plus qu’elles
ne se substituent aux énergies
fossiles. Au même moment, selon
The Guardian, l’UE semble
vouloir faire du gaz un «
carburant à faible teneur en carbone
», décision susceptible de
dévier des fonds destinés aux
énergies renouvelables vers le
développement du gaz. À l’heure où
l’AIE préconise d’introduire une
réglementation favorable pour
susciter un nouvel « âge d’or du
gaz », sans doute faut-il
s’inquiéter pour les investissements
dans les énergies renouvelables et
dans la lutte contre le changement
climatique.
Inefficacité des marchés
carbone
Quant au marché du carbone
européen, le European Trading
System (ETS), principal
instrument en vigueur pour réduire
les émissions en Europe, il est en
pleine déconfiture. Après des vols
de permis d’émissions et des fraudes
à la TVA qui ont coûté plusieurs
milliards d’euros aux finances
publiques, le marché du carbone
européen dysfonctionne totalement.
La tonne carbone vaut à peine 6
euros. Certains analystes
pronostiquent une chute prochaine à
3 euros. À ce prix-là, aucune
entreprise n’est incitée à réduire
ses émissions : cela revient moins
cher d’acheter un permis
supplémentaire parmi les quelques
350 millions existant, dont la
majorité se trouve dans les mains
des industriels de l’acier et du
ciment [3].
Autant de permis excédentaires qui
seront sources de profits importants
lorsque le prix de la tonne carbone
remontera.
L’ETS a ainsi créé un marché de
120 milliards de dollars à partir
d’une marchandise qui n’existait pas
auparavant. Peu efficace et créant
un formidable effet d’aubaine, le
marché du carbone reste pourtant
« le pilier de la politique
européenne pour le climat »
selon l’UE. Il devrait être
prochainement étendu au secteur de
l’aviation. Et une part des permis
alloués à partir de 2012 devraient
être vendus aux enchères. Une légère
amélioration si la Commission
européenne n’avait pas adopté au
même moment des règles autorisant
les États à verser des aides aux
grosses industries obligées
d’acheter ces quotas de CO2. À
quelques semaines de la conférence
Rio+20, où l’UE compte promouvoir
une « économie verte » – qui
prévoit d’étendre ces mécanismes de
marché –, mieux vaudrait sans doute
tout revoir de fond en comble pour
éviter le chaos climatique.
Maxime Combes
Photos :
source (Une),
source
Notes
[1]
Le Climate Analytics, Ecofys et
l’Institut de Potsdam sur la
recherche climatique.
[2]
Le protocole de Kyoto est à ce jour
l’unique instrument juridique
imposant des objectifs de réduction
d’émissions de gaz à effet de serre
à 37 pays développés.
[3]
Notamment Arcelor Mittal et Lafarge.
Lire notre article
Et pourquoi
pas une taxe carbone européenne ?
Publié sur
Basta
Le dossier Ecologie
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