Opinion
Gaz de schiste : une
loi qui fait pschiste !
Maxime Combes
Processus d'exploitation du gaz de schiste © AFP
Mardi 31 mai 2011
Suite à l'incroyable
mobilisation citoyenne
demandant la suppression des permis d'exploration de gaz et
huiles de schiste, le gouvernement s'était engagé à faire voter
une « loi d'interdiction d'exploitation des gaz de schiste ».
Pour
François Fillon,
il fallait « tout remettre à plat » et « annuler les
autorisations déjà données ». Lorsque
Christian Jacob,
chef des députés UMP s'était prononcé pour « un moratoire ad
vitam aeternam »,
Nicolas Sarkozy
l'avait appuyé contre Bernard Accoyer. Pour
Nathalie Kosciusko-Morizet,
il n'était « pas
question d’avoir recours à des procédés d’extraction ayant une
incidence écologique désastreuse ».
Emballé, vendu. Le temps de détricoter en catimini la
proposition de loi initiale...
En effet, le texte qui sera
présenté aux sénateurs ce mercredi 1er
juin n'a pas grand chose à voir avec
le texte initial.
Les députés l'avaient déjà profondément remanié. L’article 2
prévoyait l’abrogation pure et simple des permis délivrés
jusqu’ici. Il avait été remplacé par une procédure donnant la
part belle aux industriels, et la décision finale au ministère
de l’Industrie, favorable à l’exploitation des gaz et huiles de
schiste. La brèche était ouverte. Elle est aujourd'hui béante.
En commission, le sénateur
Claude Biwer (Meuse) a fait adopter
plusieurs amendements
qui autorisent le recours à la fracturation hydraulique « dans
le cadre de projets réalisés à des fins scientifiques pour
évaluer [cette] technique »
(article 1). Un article additionnel prévoit la création d'une « commission
nationale d'orientation, de suivi et d'évaluation des techniques
d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures liquides et
gazeux », qui aura notamment
pour objectif « d'évaluer les risques environnementaux
liés aux techniques de fracturation hydraulique »
tout en proposant « les projets scientifiques
d'expérimentations de forages employant [cette] technique ».
En décodé ? Sous couvert d'une
exploration scientifique officiellement encadrée par une
commission aux contours obscurs, les industriels pourront
entamer ou poursuivre tranquillement leurs forages. Il existe
aujourd'hui de très nombreuses enquêtes et documents d'études
nord-américains et européens sur les conséquences néfastes sur
l'environnement, la santé et les territoires engendrées par les
techniques de fracturation hydraulique. Pourquoi forer et
fracturer de nouveaux puits si ce n'est pour mettre tout le
monde devant le fait accompli ? Une fois qu’il y aura eu
multiplication des puits « à des fins scientifiques »,
pourquoi ne pas généraliser l’exploitation ? La science est ici
instrumentalisée pour essayer de masquer les pressions des
lobbies industriels, comme
au Québec.
Ces amendements masquent
pourtant l'essentiel. En donnant mandat à cette commission «
d'évaluer les risques environnementaux liés aux
techniques de fracturation hydraulique »,
les sénateurs réduisent les problèmes liés à l'exploitation des
gaz et huiles de schiste à des considérations de nature
technique. Qu'il suffit de « progrès technologiques »
pour « accéder à de nouvelles ressources énergétiques »
pour reprendre les termes de François Fillon. Pourtant, loin de
se limiter à discuter des choix technologiques, les collectifs
citoyens mobilisés depuis 5 mois affirment que c'est la
pertinence globale de la filière des gaz et huiles de schiste
qui n'est pas démontrée.
Dévastation des territoires,
dérèglements climatiques, nécessaire transition énergétique,
tout indique qu'il n'y a aucune raison d'entamer une
exploitation des gaz et huiles de schiste en Europe. Seuls les
intérêts des industriels font vent contraire et influencent
aujourd'hui les parlementaires et le gouvernement. Pour contenir
les dérèglements climatiques et rester en-deçà de 2°C
d'augmentation des températures d'ici la fin du siècle, et alors
que
les émissions de CO2 ont
atteint un niveau record en 2010,
moins d’un quart des réserves prouvées en fossiles (pétrole, gaz
et charbon) peuvent être utilisées d’ici à 2050 selon le
Potsdam Institute for
Climate Impact Research.
Il n'y a pas pénurie d'énergies fossiles. Elles sont en excès.
Dès lors, il ne faut pas se demander comment exploiter les gaz
de schiste, mais pourquoi il faudrait le faire. A défaut, la loi
fera pschiste...et laissera place à de nouvelles mobilisations.
Maxime Combes, membre de l'Aitec
et d'Attac,
engagé dans le cadre du projet
Echo des Alternatives.
Publié sur Mediapart
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