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Opinion
Qu'attendre de Cancun ?
Maxime Combes
Dimanche 28 novembre 2010
Dans le cadre du projet Echo des Alternatives (www.alter-echos.org),
durant 6 mois, nous avons réalisé des dizaines d’interviews de
spécialistes du climat, de militants d’organisations sociales et
environnementales, d’intellectuels, d’individus engagés pour des
modes de vie plus soutenables. Sans détour, ils nous ont confié
leurs attentes vis-à-vis de Cancun, des négociations officielles
et des initiatives de la société civile. La vidéo de 8 minutes
et l’article qui suivent sont un condensé de quelques-unes de
ces réponses.
« Il n’y a rien
à attendre de Cancun »
« Il
n’y a rien à attendre de Cancun » selon Yvonne Yanès d’Accion
Ecologica (Equateur). « Rien de bon, mais
beaucoup de mauvaises choses ». Et en premier lieu, la
crainte vient d’un accord sur
REDD. Pour Roque Pedace, des
Amis de la Terre Argentine, et
ayant participé au dernier rapport du
GIEC, cela ne fait pas mystère puisqu’il y
a très peu de pays qui aujourd’hui s’opposent à ce dispositif
officiellement présenté comme devant permettre de réduire les
émissions de gaz à effet de serre (GES) issues de la
déforestation et de la dégradation des forêts. Il se souvient
pourtant qu’en 2001, à Marrakech, « tout le monde disait que
c’était une honte d’imaginer qu’on pourrait financer la
déforestation évitée ». Aujourd’hui, peu s’en offusquent,
considérant les forêts comme de simples puits de carbone. Dès
lors, il n’y a plus d’obstacles à considérer qu’il en soit de
même avec les plantations nouvelles, notamment sous la pression
de l’UE, voire avec des pratiques agricoles spécifiques.
En
permettant à des pays ou des entreprises de financer des projets
de protection des forêts plutôt que de réduire leurs propres
émissions, le dispositif REDD pourrait également être articulé
aux marchés carbone. Concrètement, ces financements de projets
donneraient droit à des certificats pouvant être échangés sur
ces marchés, alimentant une finance carbone complètement
déconnectée des réalités climatiques. Cela ne surprend pas Roque
Pedace qui rappelle que la non-déforestation est aujourd’hui « la
tonne de carbone la moins chère » et qu’il n’y a pas de
réelle volonté de s’accorder sur des politiques climatiques,
seulement sur des « politiques économiques qui tirent
avantage du climat ». Quitte à ce que des dispositifs comme
les Mécanismes de développement propre (MDP) se soient
transformés en « quantités d’escroqueries ». Pour Elias
Diaz Pena de
Sobreviviencia – Amis de la Terre paraguay,
REDD sera une « fausse solution pour un vrai problème
».
S’attaquer à la racine du changement climatique
Quid
d’un accord général ? La réponse fait quasi consensus, comme le
résume Martin Villela d’Agua
Sustentable (Bolivie), pour qui « il n’y aura
pas d’accord contraignant » ce qui « réduit le temps
que nous avons pour agir ». Carlos Zorilla, engagé dans la
protection de la vallée d’Intag (Equateur)
contre un projet de mines de cuivre à ciel ouvert,
rappelle une donnée essentielle : « les Etats-Unis
refuseront de s’engager à réduire réellement leurs émissions, la
Chine ne va pas arrêter de construire des centrales à charbon et
les classes supérieures des pays du Nord, mais aussi des pays du
Sud, ne veulent pas réduire leur consommation d’énergie et de
matières fossiles ».
Pour
Yvonne Yanès, tant qu’on ne s’attaque pas à la racine, « à
l’extraction des combustibles fossiles », on ne changera
rien. Comme d’autres, elle cite le
projet Yasuni-ITT, conçu face aux désastres
des conséquences des activités pétrolières en Equateur, comme
une des idées à mettre en œuvre. Tout comme un moratoire mondial
sur toute nouvelle exploitation pétrolière ou gazière,
revendication phare du réseau Oil Watch.
Roque
Pedace résume en considérant qu’il faut que « le show
continue » pour éviter de « tout perdre » mais
qu’il faut aujourd’hui se concentrer sur « la mise en place
de politiques locales, nationales voire régionales ». C’est
pourquoi à ses yeux, la proposition de la
Via Campesina de réaliser
1000 Cancun « vise donc juste ».
Pour « mettre la pression sur nos gouvernements et qu’ils ne
puissent se réfugier derrière l’excuse que c’est un problème
global ». Comme le dit Alberto Gomez de l’Unorca
– Via Campesina Mexique, l’unique manière de « transformer
radicalement ces négociations » c’est d’agir « là où
nous sommes » et de « multiplier les initiatives citoyennes
».
« Des caravanes
pour démasquer le gouvernement mexicain »
Nombreux sont ainsi celles et ceux qui pointent l’importance des
batailles locales pour obtenir des politiques climatiques à la
hauteur des enjeux. « La
loi des glaciers en Argentine, qui est une
véritable politique climatique » selon Roque Pedace,
n’est-elle pas aussi le fruit des
luttes contre les méga-projets miniers à ciel ouvert en
Argentine ? A ce sujet, Julia Cuadros Falla de
l’organisation péruvienne
CooperAccion est sans équivoque : « si
les activités minières comptent assez peu dans le réchauffement
climatique global, elles sont par contre à la source de
profondes transformations climatiques locales », favorisant
« les sécheresses sur un versant de la montagne et des
inondations de l’autre ».
Dans le
même esprit,
les scientifiques ne sont pas convaincus
que les « gigantesques inondations » dont a été victime
le Mexique à la fin de l’été soient dus au réchauffement
climatique comme l’a affirmé le président mexicain Felipe
Calderon. La déforestation pour laisser place à de l’agriculture
d’exportation, une urbanisation sans limite sont autant de
réalités locales qui ont joué et qui favorisent les phénomènes
climatiques extrêmes. Et autant de politiques locales qui
pourraient être profondément modifiées. C’est d’ailleurs
l’objectif des caravanes qui vont sillonner le
Mexique à compter du 28 novembre que de « démasquer le
gouvernement mexicain qui ne mène pas, comme il le dit, une
politique verte mais qui détruit notre territoire » selon
Alberto Gomez.
« Mettre nos
critiques en pratique »
En se
cachant derrière l’excuse selon laquelle rien ne peut-être fait
contre les dérèglements climatiques sans un accord global a pour
conséquence de rendre illégitimes et invisibles toutes les
initiatives, expérimentations et pratiques locales alternatives.
Si elles ne sauraient, bien-entendu, tout régler d’un coup, ne
sont-elles pas les prémices d’une société post-pétrole ?
De
l’agriculture urbaine, aussi bien
sur les toits que dans des
usines abandonnées, en passant par des
coopératives de production biologique, des
pratiques d’écoconstruction, l’agriculture
paysanne, ou des initiatives de
sauvegarde et d’échanges
de semence comme alternatives à l’agro-business,
les initiatives concrètes transformant la vie des gens,
notamment en relocalisant des activités de production, sont
pourtant innombrables.
Il ne
manquerait pas grand chose pour qu’elles fassent système et
soient une véritable alternative au « modèle de production
et de développement qu’il faut changer », selon les termes
de Martin Vilela. Cela nécessiterait des politiques publiques
qui aillent à l’encontre « des grands pouvoirs
économiques et politiques mondiaux », poursuit Elias Diaz
Pena, ceux-là mêmes qui « bloquent toute possibilité
d’accord à Cancun ». Raison pour laquelle, selon Glenn
Morris du
projet Woodbine (Etats-Unis), « il faut
mettre nos critiques en pratique et être conscients que nous
avons à la fois besoin des luttes globales et des exemples
concrets ». Voilà un bien bel objectif pour les mouvements
sociaux, environnementaux et de solidarité internationale qui
seront présents à Cancun.
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