Opinion
Transition
énergétique:
l'Académie des sciences disqualifiée
Maxime
Combes
Mardi 26 février
2013 En publiant un rapport prônant
une exploitation rapide des gaz et
pétrole de schiste en en confiant un
débat sur les gaz de schiste à un
climato-sceptique notoire, l'Académie
des sciences vient de perdre tout crédit
en matière de transition énergétique.
En janvier 2013, l'Académie des
sciences publie
un rapport intitulé La recherche
scientifique face aux défis de
l’énergie, présentant « la
contribution de l'Académie des sciences
aux débats sur l’énergie et sur la
transition énergétique » en
établissant une série de neuf
recommandations pour intervenir dans le
débat public ouvert par le Gouvernement.
L'Académie des sciences est
supposée réunir des chercheurs
éminents chargés de « promouvoir la
recherche scientifique ». Par
ailleurs, les défis de la transition
énergétique mêlent inextricablement des
savoirs des sciences physiques, de
chimie, de sciences économiques et
sociales, d'urbanisme, d'architecture,
de climatologie, d'écologie, voire de
sciences politiques, etc. C'est donc
avec intérêt que nous nous sommes
plongés dans la lecture attentive de la
synthèse de ce rapport, avant de
l'acheter (29 € quand même).
Et là, quelle surprise ! Nous ne
sommes pas allés plus loin que la
lecture de cette synthèse tellement elle
déshonore le travail scientifique en la
matière. La série de neuf
recommandations est digne d'un (très)
mauvais rapport de lobbyistes défendant
à la fois le statu-quo nucléaire et les
intérêts des entreprises pétrolières et
gazières. Ces recommandations s'appuient
sur des postulats discutables qui
consisteraient à « respecter les
objectifs économiques fondamentaux »
et « préserver l’indépendance
énergétique de notre pays ». Ce qui
revient à faire du modèle économique
actuel un modèle intangible. Business
as usual, cela ne se discute pas.
Quant à « préserver l'indépendance
énergétique du pays », faut-il ici
rappeler aux auteurs que la France
importe 98 % du gaz et 99 % du pétrole
et charbon qu'elle consomme. Idem avec
le nucléaire, puisque la totalité de
l'uranium nécessaire aux 58 réacteurs
est importé, dont une part importante
provient du Kazakhstan et du Niger qui
sont par ailleurs des régimes
autoritaires et non démocratiques. Au
final, seules les productions
d'électricité provenant de
l'hydroélectrique, du photovoltaïque ou
de l'éolien, et une part des
agrocarburants, contribuent à «
l'indépendance énergétique du pays
», soit à peine 10 % de l'énergie
primaire consommée en France
(principalement hydraulique). Preuves de
l'ignorance ou de la mauvaise foi des
auteurs.
Au fil de la
lecture de cette courte synthèse, on
comprend que le véritable objectif des
auteurs est finalement de mettre en
lumière les limites supposées des
énergies renouvelables annoncées comme
produisant une électricité «
intermittente, diffuse et foisonnante
» difficilement insérable sur le réseau.
Par ailleurs, difficilement prévisibles,
ces sources d'énergie justifieraient des
recherches scientifiques dans « le
stockage de l’électricité sous forme
chimique (hydrogène, réduction du CO2)
et électrochimique (batteries) ». La
filière nucléaire est jugée comme «
indispensable pour répondre à la demande
et assurer la transition énergétique
vers une réduction de la consommation
des énergies fossiles », tout en
précisant qu'elle est « exploitée en
France dans les meilleures conditions
» et que les recherches sur « les
réacteurs des prochaines décennies […]
doivent être poursuivies ».
L'Académie des sciences est donc prête à
considérer une transition énergétique à
condition de maintenir l'industrie
nucléaire à son niveau, voire de
l'étendre, et que les énergies
renouvelables, faillibles, ne prennent
pas trop de place. Ce n'est plus une
transition, mais un conservatisme
frileux prônant le statu-quo.
Mais il y a encore plus grave au
regard de l'honnêteté scientifique qui
devrait caractériser un rapport de
l'Académie des sciences ! La synthèse et
les neuf recommandations de la synthèse
ne font aucune mention des défis que
posent les dérèglements climatiques et
l'augmentation de la température
globale. Comme si climat et énergie
étaient deux domaines indépendants l'un
de l'autre. Comme si la combustion
d'énergies fossiles et les émissions de
gaz à effets de serre n'influaient pas
sur le climat. Le « climat »
n'est même pas mentionné dans cette
synthèse ! Pourtant, cela fait plusieurs
années que le GIEC (Groupe d'Experts
Intergouvernemental sur l'Evolution du
Climat) a établi que le réchauffement
climatique planétaire actuel est
imputable à l'augmentation de la teneur
de gaz à effets de serre (GES) dans
l'atmosphère, et que la majorité de ces
GES sont issus de la combustion des
énergies fossiles. Il est proprement
incompréhensible – et scandaleux –
qu'aucune des recommandations d'un
rapport de l'Académie des sciences sur
la transition énergétique ne traite des
enjeux climatiques.
Lorsque sont évoquées les émissions
de CO2, c'est pour mentionner la
nécessité de poursuivre « les
recherches sur la séquestration du CO2
» alors que tous les spécialistes
savent que ces techniques non maîtrisées
sont incapables de résoudre
l'augmentation d'émissions de GES.
Aucune mention n'est faite des
recommandations du
dernier rapport de l'Agence
Internationale de l'Energie de
décembre 2012 qui préconisait de ne pas
consommer d'ici 2050 « plus d'un
tiers des réserves prouvées de
combustibles fossiles » afin de ne
pas dépasser les 2°C de réchauffement
global maximal d'ici la fin du siècle.
Au contraire, ce rapport de l'Académie
des sciences préconise de poursuivre une
fuite en avant dans l'extraction
d'énergies fossiles en proposant de «
reprendre le dossier des gaz de schistes
et de réexaminer les conditions d’une
extraction », considérant que «
les conséquences potentielles
économiques positives sont trop
importantes […] pour négliger cette
nouvelle ressource », tout en
critiquant que « que des décisions
aient été prises hâtivement ». Dans
le même temps, aucune référence aux
nécessaires politiques de sobriété et
d'efficacité énergétiques qui sont
pourtant les politiques clefs de toute
politique énergétique digne de ce nom.
Bref, l'Académie des sciences se fait
porte-parole des intérêts des
entreprises pétrolières et gazières au
mépris du climat et de l'avenir. Alors
climato-sceptique l'Académie des
sciences ?
Pas loin en tout cas. Vincent
Courtillot est en effet en charge de la
préparation et l'animation d'une
conférence intitulée « Les gaz de
schiste » qui se déroule ce mardi 26
février. Ce géophysicien, proche de
Claude Allègre, est un climato-sceptique
notoire qui affirme qu'il est « stupide
» de penser que le réchauffement
climatique planétaire est anthropique,
fruit des activités humaines des deux
dernier siècles. Un porte-parole de
Total ainsi qu'un des rédacteurs du
rapport qui a justifié la poursuite de
l'exploitation des gaz de schiste sur le
sol britannique doivent intervenir. Mais
pas de climatologue. Et ce alors que
deux études américaines récentes
démontrent que les rejets de méthane qui
interviennent tout au long du processus
d'exploitation des gaz et pétrole de
schiste en feraient des hydrocarbures
pires que le charbon sur le plan du
climat. Au point que l'Agence
Environnementale Américaine vient de
reconnaître avoir besoin d'étudier
de plus près ces rejets de méthane pour
prendre des décisions en toute
connaissance de cause. Pas l'Académie
des sciences pour qui le climat ne
semble pas être une préoccupation
majeure.
PS : N'achetez pas le rapport de
l'Académie des sciences, il y a mieux
sur le marché !
Maxime Combes, membre d'Attac
France et de l'Aitec,
engagé dans le projet
Echo des Alternatives (www.alter-echos.org)
Twitter : MaximCombes
Publié sur le blog
Mediapart de Maxime Combes
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