Lobby pétrolier
Les gaz de schiste
vont-ils resurgir après la
présidentielle ?
Maxime Combes
Vendredi 20 avril
2012
Le lobbying
politique et médiatique des compagnies
pétrolières et gazières se fait de plus
en plus intensif : pourquoi se passer de
l’extraction des gaz et huiles de
schiste présents dans les sous-sols
français ? Sous prétexte
d’expérimentations scientifiques, les
forages risquent de se multiplier. Le
futur gouvernement résistera-t-il à la
pression ?
Depuis quelques semaines,
éditorialistes et commentateurs s’en
donnent à cœur joie. À deux euros le
litre de sans-plomb, pourquoi « ne
pas redonner une chance au gaz de
schiste », propose le site
Atlantico [1].
« Si nous autorisions la production
de gaz de schiste en France, cela aurait
un effet sur le prix du pétrole. Ce
serait une mesure économiquement
justifiée, créatrice de richesse »,
assure dans Challenges un
spécialiste des matières premières [2].
Pour le journal Le Monde, on
ne peut pas « se plaindre de la
flambée des prix de l’énergie et refuser
l’exploitation des gaz de schiste au nom
des menaces sur l’environnement »,
dénonce l’éditorial du 9 mars [3].
Il faut « repenser […] le mix
énergétique […] sans tabou ». Le
tour est joué, le gaz de schiste devient
« un substitut au pétrole ». Le
même jour, Les Échos annoncent
que « la compétitivité de l’industrie
américaine [a été] relancée par la
production de gaz de schiste » [4].
Assise « sur un tas d’or », la
France disposerait dans son sous-sol
« de quoi changer profondément la donne
économique des années à venir »,
lance un éditorialiste du quotidien
économique. Alors pourquoi s’en priver ?
Les pétroliers texans
réclament des indemnités
Cette salve pro-gaz de schiste ne
survient pas par hasard. Les entreprises
pétrolières et gazières ont été
globalement dépassées par l’incroyable
mobilisation citoyenne de l’année 2011.
Aujourd’hui, elles tentent de reprendre
la main. Sur le plan juridique d’abord.
Total a déposé un recours devant le
tribunal administratif de Paris,
considérant que « la loi ne
justifiait pas l’abrogation du permis de
Montélimar », qui s’étend de Valence
à Montpellier,
incluant le parc national des Cévennes.
Quant au pétrolier texan Schuepbach
Energy, c’est auprès du tribunal
administratif de Lyon qu’il a déposé un
recours contentieux pour demander
l’annulation de l’abrogation de ses deux
permis de Nant et de Villeneuve-de-Berg,
tout en réclamant 14 millions d’euros de
dédommagements au titre des frais déjà
engagés.
Sûr de son coup, le PDG de Total,
Christophe de Margerie, annonçait en
janvier que le débat « allait
nécessairement évoluer » puisque la
prospection des gaz de schiste « se
justifie ». Dès le 1er février,
l’Union française des industries
pétrolières (UFIP)
publiait une « contribution au
débat sur l’énergie » préconisant de
« développer les ressources
nationales ». Pour Jean-Louis
Schilansky, président de l’UFIP, « il
faut absolument exploiter » les gaz
de schiste du sud-est, les huiles de
schiste du bassin parisien, le pétrole
récemment découvert au large de la
Guyane par Total, Shell et la compagnie
britannique Tullow, ainsi que l’or
noir de Méditerranée. Bref, produire
« made in France [pour] réduire notre
dépendance énergétique, améliorer notre
balance commerciale et susciter
d’importantes retombées économiques
locales ».
Quand les multinationales
veulent un débat public...
Ce document de l’UFIP précise que
« l’intérêt de nos concitoyens » est
d’avoir un « débat constructif sur
les impacts du développement des
hydrocarbures de schiste ». Beaucoup
pensaient qu’un tel débat constructif
avait déjà eu lieu en 2011 ! Plus
récemment, c’est l’Union des industries
chimiques (UIC) qui a
exigé des pouvoirs publics de «
relancer le débat sur l’exploitation des
gaz de schiste », redoutant que
l’interdiction actuelle encourage la
« désindustrialisation » du pays.
Pour une fois que les industriels sont
ouverts au débat... Quelle sera la
prochaine cible de l’offensive pro-gaz
de schiste ? La loi du 13 juillet 2011,
interdisant la fracturation hydraulique,
a laissé la porte ouverte à la « mise
en œuvre d’expérimentations réalisées à
seules fins de recherche scientifique ».
L’étape suivante consistera donc à
s’appuyer sur cette possibilité pour
contourner l’interdiction.
Coïncidence ? Le décret créant la
« commission nationale d’orientation et
d’évaluation des techniques
d’exploitation des hydrocarbures
liquides et gazeux », qui doit
encadrer ces possibles expérimentations,
vient tout juste d’être publié au
Journal Officiel. La composition de
cette commission fait craindre que «
l’équilibre des forces et intérêts en
présence » ne soit pas assuré, comme
le remarquent plusieurs associations,
dont les Amis de la Terre et Attac
France, dans un
communiqué commun. Trois
représentants d’associations agréées
pour la protection de l’environnement
pourront y siéger… Aux côtés de cinq
représentants de l’État, de trois
représentants des entreprises gazières
et pétrolières, de trois représentants
du personnel de ces industries et de
trois personnalités qualifiées au vu de
leurs compétences scientifiques. Ce qui
fait dire aux collectifs « Gaz et huile
de schiste : non merci ! » que cette
commission est « illégitime ».
Fracturation hydraulique, le
retour ?
Au même moment, le rapport définitif
de la mission d’inspection voulue par
les ministères de l’Énergie et de
l’Environnement sur « les
hydrocarbures de roche-mère en France »,
c’est-à-dire les gaz et huiles de
schiste, a également été rendu public.
Il établit un agenda et une
programmation précise des prochaines
étapes, prévoyant un recueil de données
sur des puits par des « méthodes
conventionnelles » dès le second
semestre 2012, mais aussi des
expérimentations de forage avec
fracturation hydraulique d’ici fin 2013.
Considérant « qu’il serait
dommageable, pour l’économie nationale
et pour l’emploi […] de rester dans
l’ignorance d’un éventuel potentiel »,
le rapport préconise « de réaliser
des travaux de recherche et des tests
d’exploration » en particulier en
vue d’améliorer les « connaissances
sur les huiles de schiste du Bassin
Parisien ». Ce qui revient à
recommander des forages avec
fracturation hydraulique dans des zones
où se trouvent les principales
ressources en eau potable de la région
la plus peuplée de France.
Sur demande des ministères, des
chercheurs du Bureau de recherches
géologiques et minières (BRGM, dont le
slogan s’est verdi en « Géoscience pour
une Terre durable »), de l’Inéris [5]
et de l’Institut français du pétrole
(rebaptisé IFP Énergies Nouvelles), ont
publié un rapport conseillant d’examiner
« la possibilité de lever des verrous
scientifiques ou technologiques » [6].
Comprenez : contredire par la science
les inquiétudes soulevées par les
conséquences de la fracturation
hydraulique. Or ces craintes ne sont pas
virtuelles. En témoigne une décennie de
ravages considérables provoqués par
l’extraction des gaz de schiste aux
États-Unis. « Sous couvert de
recherches scientifiques, le
gouvernement joue aux apprentis sorciers
pour le plus grand bonheur des lobbies
pétroliers et gaziers », accusent
les opposants aux gaz de schiste. Ils
craignent d’être mis devant le fait
accompli avec la multiplication de
forages dits « scientifiques »,
précurseurs d’une exploitation
industrielle.
12 permis en Île-de-France, 8
en Rhône-Alpes...
Dans le même temps, l’instruction des
permis en attente a repris de plus belle
au sein de l’administration française.
Une liste a été mise en ligne par le
ministère, à « disposition du public
». Quatorze de ces permis sont «
arrivés au terme de leur instruction »
et sont « envisagés pour octroi »,
dont douze en Ile-de-France (voir
le détail). Le bassin parisien n’est
pas le seul concerné : en Rhône-Alpes,
huit permis de recherche sont en attente
[7].
Pour l’ensemble des permis en cours
d’instruction, les demandes ne
mentionnent pas explicitement le
caractère non conventionnel des
hydrocarbures recherchés et ne prévoient
pas d’utiliser la fracturation
hydraulique. Pourtant, les précédentes
prospections ne laissent aucun doute sur
ce qui intéresse les pétroliers. Le
site « pédagogique » financé en 2011
par ExxonMobil pour vanter en Europe les
vertus de la fracturation hydraulique
est explicite. Les compagnies anticipent
donc des modifications futures de la loi
et la possibilité d’expérimentations «
scientifiques ».
Sarkozy favorable, Hollande
dans le flou
En 2011, les élus de gauche avaient
très largement pris position contre
l’extraction par fracturation
hydraulique. Cette nouvelle offensive
change-t-elle la donne ? Chez certains
candidats à la présidentielle, dont le
favori des sondages, le flottement est
perceptible. Au printemps 2011, les
parlementaires socialistes s’étaient
clairement opposés à l’extraction des
gaz et huiles de schiste. François
Hollande, lui, préfère ne pas fermer la
porte. Le 29 février dernier sur RTL, il
a indiqué qu’il ne « fallait jamais
rien écarter, surtout si des recherches
démontrent qu’on peut obtenir ce gaz
sans nuire à la nature », laissant
ainsi entendre qu’il était favorable à
des expérimentations scientifiques.
Récemment
interpellé par les collectifs
citoyens, le candidat socialiste a
assuré être « pour l’interdiction
claire et nette de l’exploitation des
gaz et huiles de schiste », mais
sans se prononcer sur d’éventuelles
phases de recherche, d’exploration et
d’expérimentation. Sa position est jugée
« insatisfaisante » par les
collectifs.
Nicolas Sarkozy, qui n’a pas répondu
au questionnaire, est jugé « sur les
actes de son gouvernement qui accepte la
fracturation hydraulique au titre de la
recherche scientifique » et qui «
n’envisage pas le retrait des permis
accordés ». Il lui est aussi
reproché d’avoir
déclaré que « l’exploitation des
ressources en hydrocarbure contenues
dans notre sous-sol est un enjeu
stratégique pour notre pays ».
Récemment
questionné par Le Monde, le
président sortant a répondu que «
pour être autorisées, l’exploration et
l’exploitation du gaz de schiste doivent
utiliser des techniques respectueuses de
l’environnement ». Des techniques
qui, aujourd’hui, n’existent pas.
Également interpellés par les
collectifs, Nicolas Dupont-Aignan,
François Bayrou, Philippe Poutou et
Nathalie Arthaud n’obtiennent pas de
satisfecit. Le candidat du Modem
n’exclut pas l’exploitation des gaz de
schiste en cas d’évolution
technologique. À l’extrême gauche,
Nathalie Arthaud refuse de « mener le
combat contre telle ou telle technique
sans discuter des discussions sociales
dans lesquelles elles sont mises en
oeuvre ». Au final, seules les
réponses d’Eva Joly et de Jean-Luc
Mélenchon sont jugées très
satisfaisantes, eux seuls s’exprimant
clairement contre toute expérimentation
à des fins scientifiques. Même en cas
d’alternance, le dossier des gaz de
schiste est loin d’être clos.
Notes
[1]
Source.
[2]
Source.
[3]
Lire ici.
[4]
Lire ici.
[5]
Institut national de l’environnement
industriel et des risques.
[6]
Lire la note
[7]
Les demandes dites de Blyes, Gex
Sud, Montfalcon et Lyon – Annecy et
Montélimar Extension, s’ajoutent à
ceux de Gex, Moussières et Lons le
Saulnier.
Publié sur
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