Ecologie
Pérou : ces
activités minières qui entrainent des
dérèglements climatiques locaux
Maxime Combes
Jeudi 16 février
2012
Une
véritable ruée minière, que ce
soit pour l’or, l’argent, le cuivre ou
des métaux plus rares, est à l’œuvre à
l’échelle mondiale pour satisfaire
l’avidité des marchés mondiaux. A chaque
nouveau projet, à chaque fois que des
terres sont confisquées pour une
nouvelle mine, les droits des
populations sont souvent bafoués, les
territoires ravagés, les rivières
asséchées et les sols pollués, les
populations déplacées. Raison pour
laquelle Alter-Echos (www.alter-echos.org)
a décidé de publier l’intégralité de
l’interview réalisée avec Julia Cuadros
Falla de l’organisation
CooperAcción lors de la
rencontre
Mines, Changement climatique et Buen-Vivir
qui s’était tenue en novembre 2010 à
Lima (Pérou). (voir
notre reportage à cette
occasion).
Alter-Echos :
Quelle est la réalité des conflits liés
aux industries extractives au Pérou ?
Julia Cuadros
Falla : Notre pays vit une période
de haute conflictualité sociale. Les
conflits sociaux sont à la hausse sur
les deux dernières années. Notamment
parce qu’il n’y a aucune volonté
politique pour résoudre les problèmes de
fonds. Entre 50 et 60 % de tous les
conflits sociaux relèvent de la défense
de l’environnement. Ce sont des conflits
socio-environnementaux. Et environ 80 %
de ces conflits socio-environnementaux
sont issus de conflits avec des
industries extractives, principalement
minières, et le reste est lié à
l’extraction d’hydrocarbures.
A quoi sont dus
ces conflits avec les industries
extractives ?
Ces conflits ont
des raisons très précises et ils ne sont
pas dus, comme il est dit, à
l’intervention d’institutions ou
d’organisations comme la nôtre qu’on
accuse de généraliser ces conflits. En
premier lieu, il faut regarder du côté
de l’extension territoriale des
concessions minières qui occupent
aujourd’hui 16 % du territoire. En juin
2010, cela représentait 19,6 millions
d’hectares. Cela ne signifie pas qu’il y
ait de l’activité minière sur l’ensemble
de ce territoire, mais qu’il est
possible qu’il y en ait un jour. La
plupart des terres concernées
appartiennent aux communautés paysannes
ou indigènes. Au minimum 50 % de leurs
terres sont sous concession minière.
Que font les
entreprises minières qui disposent de
ces concessions ?
Ces entreprises
arrivent sur les territoires avec un
pouvoir économique et politique très
important en disant « nous avons une
concession, par conséquent, nous avons
le soutien de l’État et vous ne pouvez
qu’acquiescer ». Cela implique forcément
une tension avec les communautés qui
cultivent ou vivent sur ces mêmes
terres. L’expansion des concessions
minières porte atteinte aux droits
d’accès à la terre ou à l’eau,
ressources essentielles, viole le droit
à l’autodétermination des populations et
plus généralement bafoue tous leurs
droits. Les entreprises se comportent
bien souvent de manière arrogante, comme
si elles étaient toutes-puissantes, en
utilisant un double discours : celui de
la responsabilité sociale pour
l’étranger, mais des pratiques très
souvent discriminatoires et racistes
localement.
Vous affirmez
que « mines et dérèglements climatiques
forment un cocktail explosif », pourquoi
?
Le Pérou est le
troisième pays le plus vulnérable de la
planète en termes de conséquences des
dérèglements climatiques. Je dis que les
activités minières et les dérèglements
climatiques forment un cocktail explosif
parce que cela va nous rendre encore
plus vulnérables que nous ne le sommes
déjà. Nous avons réalisé une étude avec
l’Université Nationale d’Ingénierie.
L’activité minière n’a que peu d’effets
sur le réchauffement climatique global.
De plus, le Pérou y contribue peu à
l’échelle de la planète. Pourtant, en
raison des activités minières, nous
vivons dans notre pays des dérèglements
climatiques locaux qui touchent très
fortement la population, notamment
paysanne, quand on ne sait plus quand il
va pleuvoir ou non, quand il faut semer
ou récolter, quand il tombe la grêle
alors qu’elle ne devrait pas tomber. A
Cuzco, il pleut maintenant toute l’année
alors que ce ne devrait pas être ainsi.
La saison des pluies a toujours été très
marquée. Aujourd’hui, il y a des pluies
démentielles pendant la saison des
pluies mais il peut également pleuvoir
pendant la saison sèche.
Pourriez-vous
préciser quels sont les mécanismes de
ces dérèglements climatiques locaux ?
Il y a les
dérèglements climatiques globaux qui ont
des répercussions locales. Mais il y
aussi, en zone minière, des dérèglements
climatiques locaux. L’activité minière,
notamment lorsqu’elle opère à ciel
ouvert, a plusieurs types de
répercussions. Le premier phénomène est
lié au fait que ces activités prennent
généralement place aux sommets des
montages, des collines. Lorsque le
sommet est rasé pour laisser place à la
mine, les vents modifient les systèmes
nuageux locaux pour les envoyer sur
d’autres zones. Là où il pouvait y avoir
un équilibre entre les différents
régimes de pluies et de vents, cela
change considérablement, produisant des
sécheresses dans une zone et des
inondations dans une autre. Ce n’est pas
tout. Déplacer des millions de tonnes de
roche et de terre du sommet pour les
entreposer plus bas, en plus de relâcher
du carbone dans l’atmosphère, peut
conduire à produire une montagne
artificielle, ou tout du moins, à
modifier considérablement une autre
zone. Le climat local peut également
changer dans cette zone, s’assécher par
exemple, ou bien contribuer également à
la modification des vents.
Vous n’évoquez
pas les enjeux sur l’eau ?
Si, car à tout
cela, il faut rajouter le fait que
l’activité minière requiert d’immenses
quantités d’eau. Raisons pour laquelle
on construit d’immenses réservoirs et
barrages. Non seulement ces barrages
vont affecter les bassins versants
inférieurs ou supérieurs qui étaient
alimentés par de l’eau captée par les
barrages, mais ils transforment les
cours d’eau. Là où le fleuve s’écoule
naturellement, il connaît une flore, une
faune et un climat plus ou moins
continus. A partir du moment où l’on
construit un barrage, cela implique une
zone sèche et une zone humide, inondée,
et à mesure que la mine va puiser dans
les réserves d’eau, il y en aura moins
pour les autres usages. En plus de
devoir être bien souvent déplacées, les
communautés locales vont être affectées
par ces changements locaux et les
pollutions de l’eau. A ces préjudices
locaux se rajoutent les effets globaux
avec la fonte de nos glaciers qui
raréfient l’eau potable et modifient la
régulation de l’eau. Pour le paysan dans
sa ferme, vivre avec les conséquences
locales des activités minières et du
changement climatique, c’est son
quotidien. Dès aujourd’hui.
Quelles mesures
préconisez-vous ?
Des mesures doivent
être prises. En premier lieu, il faut
définir les régions du Pérou où il peut
y avoir des activités minières de celles
où il ne peut y en avoir. Aujourd’hui,
il y a bien un registre qui répertorie
les zones où il ne peut y avoir de
telles activités, mais il n’est pas
actualisé. Il faut qu’il le soit parce
qu’il n’est pas possible de continuer à
délivrer des concessions ainsi. La
législation péruvienne prévoit trois cas
empêchant la délivrance d’une concession
: qu’un permis soit déjà octroyé ; que
la zone soit en aire naturelle protégée
; ou qu’elle soit répertoriée dans le
registre. Ce n’est pas suffisant si ce
registre n’est pas mis à jour. La
politique de concession minière doit
être revue. Il doit y avoir une réelle
politique territoriale, avec des outils
efficaces et des dispositifs qui soient
réellement respectés et suivis d’effet.
Les évaluation environnementales
stratégiques sont des éléments clefs à
cet égard. A condition qu’elles soient
établies avant de prendre la décision de
délivrer le permis ou pas. Pas après.
Publié sur
Alter Echos
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