Ecologie
La Méditerranée et
l'Île-de-France, nouveaux eldorados des
pétroliers ?
Maxime Combes
Jeudi 5 avril 2012
Avec l’augmentation
du prix du baril, les entreprises
pétrolières et gazières prospectent à
tout-va. La France n’échappe pas à cette
ruée vers l’or noir. Des pétroliers
texans s’intéressent de près aux côtes
marseillaises. Des multinationales
s’appuient sur des recherches
scientifiques pour sonder les fonds au
large de la Camargue. Plusieurs permis
d’exploration sont en passe d’être
renouvelés à proximité de
l’agglomération parisienne. Collectifs
citoyens et élus commencent à
s’inquiéter.
Des plateformes pétrolières érigées
au large de la Camargue ? Les flammes
des torchères illuminant l’horizon
nocturne de la cité phocéenne ? Des
oléoducs traversant le Val-de-Marne… Une
crainte sans fondements ? Rien n’est
moins sûr. Cela pourrait bien devenir
une réalité si l’actuelle ruée
pétrolière se confirme. Il y a d’abord
ce projet de recherche scientifique
lancé par l’Ifremer (Institut français
de recherche pour l’exploitation de la
mer) et le CNRS. Baptisé « Gold » (pour
« Gulf of Lion’s Drilling », forage du
golfe du Lion), les chercheurs prévoient
de réaliser un forage de plus de 11 km
sous la surface de la mer, à environ 200
km au sud de la Camargue. Un bateau
spécialisé japonais, le Chikyu,
sera chargé de prélever les sédiments
qui se sont accumulés dans cette zone
depuis vingt-cinq millions d’années.
Objectif : « Étudier les variations
du climat global et celles du niveau
marin, les événements géologiques
extrêmes comme le Messinien [1]
», la « biosphère souterraine ».
Mais aussi identifier d’éventuelles «
ressources énergétiques » et le «
potentiel en hydrocarbures sous le sel ».
Car les intérêts pétroliers ne sont
jamais bien loin ! Depuis la découverte
au large du Brésil en 2006 d’énormes
réserves de pétrole sous une épaisse
couche de sel, les pétroliers spéculent
sur le fait qu’il puisse en être de même
en Méditerranée. Très coûteux, ce forage
pourrait être en partie financé par des
compagnies pétrolières qui, sous
prétexte de recherches scientifiques,
pourraient ainsi poursuivre leurs
explorations tous azimuts. Cinq
compagnies pétrolières – Total (France),
Petrobras (Brésil), Statoil (Norvège),
Sonatrach (Algérie), Melrose
(Grande-Bretagne) – ont d’ailleurs
participé à un groupe de travail autour
du projet. Celui-ci doit être soumis à
validation auprès du programme
international de forage des océans [2].
L’intérêt scientifique du projet risque
ainsi d’être entaché par la proximité
des pétroliers.
Les pétroliers texans au
large de Marseille
D’autant qu’une autre échéance
approche : le renouvellement du permis
d’exploration « Rhône maritime ».
S’étendant sur 9 375 km², plus que la
taille de la Corse, cette zone de
prospection pétrolière est située à
environ 30 km des côtes varoises et à
moins de 30 km du périmètre du futur
parc national des Calanques. Et cette
zone intéresse vivement les pétroliers
texans ! Le permis a initialement été
délivré en octobre 2002 à la société TGS
[3],
spécialisée dans l’exploration
géologique, siégeant à Houston, au
Texas, et dont le conseil
d’administration est largement composé
de personnalités issues du secteur
pétrolier (Shell, Halliburton, Statoil
Russia). Le permis a été prolongé en
octobre 2006 au profit de la société
Melrose Mediterranean Limited, filiale
d’une obscure compagnie pétrolière
britannique, Melrose Resources (la même
qui pourrait être associée au projet
Gold). Aujourd’hui, il est détenu par
Noble Energy France, créée il y tout
juste deux ans, dont la maison-mère se
trouve, elle aussi, à Houston. Noble
Energy participe notamment à la
prospection et à la production de
pétrole ou de gaz en Pennsylvanie (gaz
de schiste), dans le golfe du Mexique
(forage en eaux profondes) ou au large
du Cameroun.
La décision de renouveler le
permis Rhône maritime doit être
prise au plus tard le 11 avril 2012.
Une perspective qui inquiète, après
le récent accident survenu sur la
plateforme Elgin de Total en mer du
Nord (lire
notre article). Craignant de
voir des forages comme celui du
tristement célèbre Deepwater Horizon
à quelques encablures des côtes, on
ne compte plus les collectivités,
les instances publiques, les
associations et les collectifs
citoyens demandant à ce que ce
permis ne soit pas renouvelé. À ce
jour, et à notre connaissance,
l’entreprise, qui ne dispose pas de
site Internet en français, ne s’est
toujours pas exprimée publiquement
sur le sujet.
Des chercheurs d’or noir
en Île-de-France
Les côtes de la Méditerranée ne
sont pas les seules concernées.
L’instruction des permis en attente
a repris de plus belle au sein de
l’administration française. Une
liste a été
mise en ligne par le ministère,
à « disposition du public ».
Quatorze de ces permis sont «
arrivés au terme de leur instruction
» et sont « envisagés pour
octroi », dont douze en
Île-de-France. Dans le lot, on
compte les permis de Chevry et d’Ozoir,
qui couvrent une zone de 395 km² en
Seine-et-Marne, Seine-Saint-Denis,
Val-de-Marne et Essonne, convoitée
par la société Poros, domiciliée à
Enghien-les-Bains. Largement
explorée dans le passé, la région
parisienne intéresse les pétroliers
pour ses possibles réserves d’huiles
de schiste, que seule la
fracturation hydraulique permettrait
d’exploiter. Une technologie très
polluante que Basta !
avait contribué à révéler fin
2010.
Face à cette nouvelle donne,
réunions publiques, actions de
sensibilisation et interpellations
d’élus se
multiplient en Île-de-France.
Ainsi qu’en Provence. Un «
Trafalgar des pétroliers » y est
d’ailleurs organisé ce dimanche 8
avril. À l’invitation des collectifs
contre les gaz et huiles de schiste
et de nombreuses associations, une
double manifestation, sur terre et
sur mer, se déroule à la
Seyne-sur-Mer et à Brégançon, pour
demander le non-renouvellement du
permis Rhône maritime. C’est plus
globalement la course perpétuelle à
l’exploitation de nouvelles
ressources énergétiques fossiles,
toujours plus loin, plus profonde et
plus risquée, qui est mise à
l’index. Évoquant son forage Elgin
en mer du Nord avant qu’il ne soit
évacué et menace d’exploser, Total
se félicitait de sa «
performance inégalée à ce jour »
et vantait un « projet pionnier
qui a pris valeur de référence
mondiale ». Peut-être est-il
temps de s’interroger sur les
conséquences de cette performance.
Des exploits technologiques qui
finissent mal, en général.
Maxime Combes
Notes
[1]
Lorsque la mer Méditerranée s’est
asséchée il y a plus de cinq
millions d’années, ndlr.
[2]
Integrated Ocean Drilling Program
(IODP).
[3]
TGS-Nopec Geophysical Company Ltd.
Publié sur
Bastamag
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