Opinion
Et si on avait
trop de pétrole ?
Maxime Combes
Lundi 2 juillet
2012
Publié dans Libération du 29 juin 2012
http://www.liberation.fr/...
"Historique". C'est ainsi
qu'avait été saluée la découverte de
pétrole au large de la Guyane.
Suspendues par Nicole Bricq à son
arrivée au ministère de l'environnement,
les autorisations pour réaliser des
premiers forages et études sismiques ont
finalement été délivrés, après un
arbitrage gouvernemental qui lui a valu
son maroquin.
Après être montés au créneau, Shell,
Total et les associations de pétroliers
se sont réjouis de ce revirement aussi
brutal qu'inattendu. Présenté comme un
« potentiel économique majeur », ce
pétrole est supposé faire d'une pierre
deux coups : réduire la très forte
dépendance aux importations de pétrole
de la métropole et offrir emplois et
revenus à la Guyane. Quel soulagement !
Comme si le pic pétrolier ou les défis
climatiques ne nous concernaient plus.
Mais ce gisement est-il de nature à
faire reculer le pic pétrolier et/ou
assouvir les besoins hexagonaux ?
Selon les dernières données de Shell, le
bassin pétrolier guyanais comporterait
700 millions de barils dont 300
pourraient être extraits. Ce champ
offshore est supposé être le miroir
géologique du champ Jubilee, découvert
en 2007 au large du Ghana, qui
recèlerait 1,4 milliards de barils.
Plus hypothétique encore, les
industriels parient sur un bassin
d’hydrocarbures environnant pouvant
contenir jusqu'à 5 milliards de barils.
Soit, selon les estimations retenues,
entre 0,025 % et 0,4 % des réserves
mondiales prouvées actuelles.
Puisque la France consomme environ 2
millions de barils par jour, le gisement
guyanais représente tout au plus une
poignée d'années de consommation
française. Rien qui ne puisse changer
durablement la donne. Dans son rapport
de l’automne 2010, l’Agence
internationale de l’énergie estime que
la production des champs de pétrole
conventionnel existants devrait chuter
de près de 30 %, soit 20 millions de
barils par jour, d’ici à 2020. Dit
autrement, pour maintenir la production
de pétrole conventionnel d'ici 2020, ce
sont deux Arabie Saoudite qu'il faudrait
découvrir et mettre en exploitation. A
cette aune, les découvertes supposées en
Guyane sont infimes. Négligeables disent
les économistes. En tout cas, loin
d'être « historiques ».
Sans doute est-ce la raison pour
laquelle les prospections et
exploitations de pétrole
non-conventionnel s'emballent.
Exploitation en eaux profondes, pétrole
issu de sables bitumineux ou de schiste,
exploration en Arctique, l'industrie
pétrolière est désireuse de forer
toujours plus loin et plus profond. En
Guyane, il s'agirait de creuser à 6000
mètres de profondeur, tout près d'une
des dernières grandes mangroves de la
planète jusqu'ici à peu près préservée.
Au risque de conséquences écologiques
gravissimes, comme la marée noire du
Golfe du Mexique. Au mépris également
des exigences climatiques.
Sur la base d'une étude du Postdam
Institute for Climate Impact Research,
l'ONG Carbon Tracker a calculé qu'il ne
faut pas émettre plus de 565 gigatonnes
de CO2 ou équivalents CO2 d'ici 2050
pour avoir 4 chances sur 5 de ne pas
dépasser les 2°C d'augmentation de la
température globale au delà desquels les
dérèglements climatiques ne seraient
plus maîtrisables.
Or, la combustion de toutes les réserves
prouvées de pétrole, charbon et gaz de
la planète engendrerait 2795 gigatonnes
de CO2. Soit 5 fois plus. Dit autrement,
80 % de ces réserves ne doivent pas être
extraites et consommées si l'on veut
respecter les préconisations des
scientifiques du climat. Bien-entendu,
ces résultats, comme toute recherche
scientifique, peuvent être discutés et
précisés. Mais les ordres de grandeur
sont là. A échéance d'un demi-siècle,
nos sociétés ne sont donc pas
confrontées à une pénurie de pétrole,
mais à un trop-plein.
Pourquoi donc continuer à forer et
creuser sans tenir compte de ces
réalités si ce n'est pour assouvir
l'avidité d'industries pétrolières et
gazières dont les valeurs boursières et
les triple AAA délivrés par les agences
de notation sont basés sur le maintien
et l'accroissement de ces réserves ?
Réserves qui n'ont plus guère de valeur
si nous ne pouvons en utiliser qu'un
cinquième. En ce sens, la recherche et
l'extraction de ressources énergétiques
fossiles peuvent-elles être laissées à
la seule appréciation du secteur privé
alors que de leurs décisions dépend la
possibilité ou non d'assurer une
certaine stabilité climatique, bien
commun de l'humanité ?
Sauf à verser dans le
climato-scepticisme ou la destruction
programmée de la planète, la lucidité
imposerait donc de stopper les
explorations en cours, Arctique compris.
Une sorte de moratoire international que
la France pourrait initier avec les
gisements en Guyane. Pendant ce temps,
place serait faite à des politiques
locales, nationales et internationales
pour une véritable transition
énergétique, permettant de ralentir
considérablement les extractions
actuelles, en commençant par les plus
polluantes, afin de concentrer nos
efforts sur la sobriété et l'efficacité
énergétiques, et le développement des
énergies renouvelables.
Laisser le pétrole dans le sol, voilà
une idée à creuser.
Maxime Combes, Economiste, membre de l'Aitec
Le dossier Ecologie
Les dernières mises à jour
|