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« Il nous faut
d'avantage de musulmans radicaux »
Mark LeVine
Vendredi 29 janvier 2010
“Mes amis et collègues radicaux sont de façon routinière
opprimés par leurs gouvernements, soumis aux attaques des
conservateurs, entravés par les États-Unis et ignorés par les
médias et par les groupes pacifistes qui devraient plutôt
s’employer à faire connaître leurs activités et leurs luttes”
La plupart des leaders occidentaux, des experts
et des décideurs sont désespérément à la recherche de
« musulmans modérés » qui pourraient protéger l’islam contre
elle-même et améliorer les relations avec l’Occident.
Le problème c’est qu’un musulman modéré ça n’existe pas; du
moins pas dans le sens que les décideurs donnent à ce terme.
Regardez qui ils qualifient de modérés : Le président Bush cite
souvent Abdullah, roi de Jordanie, et Mohammed, Roi du Maroc,
comme les exemples même des leaders musulmans modérés. Mais un
coup d’œil aux rapports d’Amnistie internationale sur leurs
pays, ou sur les autres soi-disant régimes modérés révèle qu’ils
sont loin de l’être dans leur façon de traiter leurs citoyens.
En fait, le niveau de répression et de censure chez la plupart
d’entre eux est égal à celui de septembre 2001, ou même plus
élevé.
Rechercher « l’islam modéré » pose également problème. On se
souvient que le président Bush avait tenté de venir à la défense
de l’islam après septembre 2001 en déclarant : « islam
signifie paix ». Bien que ce sentiment soit très louable, Islam
ne veut pas dire paix, il signifie soumission à la volonté
divine. Et quiconque connaît l’histoire musulmane des deux
derniers millénaires sait qu’elle a connu plusieurs guerres. De
la même façon, les promoteurs de l’islam modéré citent un
hadith, ou parole du Prophète, qui veut que le « grand jihad »
d’introspection et de progression soit pour les musulmans un
élément plus fondamental que le « petit jihad » fait de guerre
et de violence.
À l’inverse, la plupart des savants musulmans conservateurs
considèrent que le hadith qui mentionne le « grand jihad » est
un hadith faible, c’est-à-dire qu’il ne serait pas une parole du
Prophète. Son utilisation par les « modérés » dans leur
tentative de réformer la sharia (le code de vie islamique dont
certains États se servent pour sanctionner la violence) a depuis
longtemps suscité le mépris des conservateurs.
Au cours des vingt dernières années, une école « modérée » de
jurisprudence islamique a en fait émergé (connue en arabe comme
le mouvement wasatiya). Mais ses dirigeants ont été ou bien
choisis ou bien censurés par leurs gouvernements, ou bien ils
ont tendance à faire preuve de moins de modération lorsqu’il
s’agit des Juifs, de l’homosexualité ou de l’égalité complète
pour les femmes. Ceux qui sont réellement modérés dénoncent la
politique étrangère des États-Unis et notre culture matérialiste
de consommation. Ce faisant, ils sont étiquetés de « radicaux »
par leurs gouvernements et par le nôtre.
Nous devons, de toute évidence, revoir les étiquettes que
nous apposons à l’islam, parce que les dirigeants que nous
considérons modérés sont souvent, à juste titre, considérés par
leurs citoyens comme les serviteurs des politiques américaines
qui ne pourraient souvent être définis eux-mêmes comme des
modérés. D’un autre côté, les musulmans respectent ceux que nous
appelons les « radicaux » parce qu’ils nous défient, même s’ils
n’approuvent pas leur façon de le faire.
Pourtant, la réalité c’est que même les plus radicaux des
groupes extrémistes, tel qu’al-Qaeda, ne sont pas tellement
radicaux. Ils présentent plutôt des ressemblances frappantes
avec d’autres mouvements utopiques de l’histoire, des Jacobins
de la postrévolution française, en passant par les fascistes et
les maoïstes du siècle dernier. Les outils qu’ils utilisent pour
faire la guerre : Internet et les vestes bourrées d’explosif,
sont peut-être nouveaux, mais leur désir de purifier leur
société au moyen de la violence c’est du déjà vu.
À quoi ressemblerait un véritable musulman radical? Peut-être
au jeune sheikh shiite nommé Anwar al-Ethari que j’ai rencontré
à Baghdad. On l’appelle le « sheikh élastique » à cause de ses
diplômes universitaires dans le domaine religieux et laïque et
de sa volonté de faire appel à « tout ce qui marche, peu importe
la provenance » pour aider son voisinage de Sadr City à trouver
les solutions à ses nombreux problèmes. Malheureusement, ça fait
des mois que je n’ai plus de ses nouvelles et je crains qu’il
soit parmi les victimes de la violence incessante qui frappe la
population de cette ville shiite.
Ou il ressemblerait peut-être à Reda Zine, un ami de
Casablanca qui est un des leaders sur la scène heavy metal
marocaine et qui détiendra bientôt un PhD de la Sorbonne en
études islamiques. Mais lui et ses musiciens ont été étiquetés
de « satanistes » par les islamistes modérés et arrêtés par le
gouvernement modéré marocain parce qu’ils ont osé écrire des
chansons puissantes qui font du bruit et dont les textes
dénoncent le caractère patriarcal de la culture et des
politiques du pays.
Ou encore, à Nadia Yassine, la leader de la plus importante
force politique au Maroc : le mouvement à caractère religieux
Justice et spiritualité. Lors de notre première rencontre, elle
a expliqué qu’après la mort du Prophète Mohammed, l’islam « a
été pris en otage » par les hommes et en a souffert depuis.
Lorsque je l’ai revue, elle a suggéré que le Maroc se porterait
mieux si la monarchie faisait place à une république; une idée
qui lui a valu d’être emprisonnée, courtoisie du même
gouvernement modéré qui a pourchassé les amateurs de heavy
metal.
C’est elle qui la première a suggéré que l’islam avait
davantage besoin de radicaux que de modérés, « mais radicaux
dans le bons sens ». Assis à ses côtés et acquiesçant d’un
mouvement de la tête se trouvait le philosophe suisse musulman,
Tariq Ramadan, une des voix progressistes les plus fortes
d’Europe. Le visa qui lui aurait permis d’enseigner à
l’Université Notre Dame a été révoqué par le gouvernement
américain à partir d’accusations absolument sans fondement de
« lien avec les terroristes ».
Mes amis et collègues radicaux sont de façon routinière
opprimés par leurs gouvernements, soumis aux attaques des
conservateurs, entravés par les États-Unis et ignorés par les
médias et par les groupes pacifistes qui devraient plutôt
s’employer à faire connaître leurs activités et leurs luttes.
Ceci est un signe qu’ils font de bonnes choses et que nous
devrions les supporter davantage. Ce serait bien sûr assez
radical; mais comment en arriverons-nous autrement à la réforme
radicale nécessaire à l’avènement de la paix et de la démocratie
au Moyen-Orient, sans parler des États-Unis.
Mark LeVine est professeur d’histoire moderne
du Moyen-Orient, de culture et d’études islamiques, UC Irvine,
et auteur de Why They Don’t Hate Us : Lifting the Veil on the
Axis of Evil (Oxford : Oneworld Publications, 2005)
Visitez le site Web de
Mark Levine
Le présent article a paru dans le Huffington Post et a été
repris ici avec la permission de l’auteur.
Traduit par Suzanne Touchette
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Publié le 30 janvier 2010 avec l'aimable
autorisation de Presence Musulmane
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