Syrie
De Damas ...
Marie-Ange Patrizio
Lundi 10 septembre
2012
Chers amis,
Je vous transmets la conversation
téléphonique que j’ai eue hier (dimanche
9 septembre) avec une amie
franco-syrienne actuellement à Damas
(dont je vous ai déjà transmis un
message). Elle me demande l’anonymat
pour elle et les personnes dont elle
parle, pour les raisons que vous allez
comprendre dès les premiers mots de cet
échange.
« C’est difficile car les attaques des
mercenaires qui entrent en Syrie se
multiplient.
A Damas, dans le camp de Yarmouk
(banlieue de Damas), qui avait déjà été
nettoyé par l’armée, il y aurait à
nouveau 7.000 mercenaires, arrivés on ne
sait pas comment. On a découvert des
tunnels sous la ville, qui font des
kilomètres de long.
Ils terrorisent la population, ils
s’attaquent à ceux qui ne disent pas
qu’ils sont avec eux, ceux qui ne
veulent pas dire qu’ils sont
« révolutionnaires », ils détruisent les
commerces. A Yarmouk, il y a eu 2 tirs
de mortiers (par les mercenaires) sur la
population, ils ont tué beaucoup de
gens, surtout des femmes et des enfants,
ils ont tiré dans la rue la plus
peuplée ; les gens ont demandé à l’armée
de venir les protéger, et l’armée a
attaqué les lieux où les terroristes
sont réfugiés : Tadamoun, Hajar al Aswad
(la Pierre noire), camp Yarmouk
(les trois quartiers sont à côté les uns
des autres).
Avant-hier (vendredi 7 septembre) une
bombe a explosé à la sortie de la
mosquée à
Rokneddine, il semble que c’était
une charge attachée sur un vélo. Une
autre charge a explosé, vendredi aussi
(7 septembre), entre le Palais de
justice et le ministère de
l’information ; ça a détruit de
nombreuses voitures, mais il n’y a pas
eu de morts ; beaucoup de dégâts et pas
que des biens publics.
Les attentats terroristes se
multiplient, hier (samedi 8 septembre)
ils ont fait deux attentats en même
temps, à Alep : un contre une église et
un contre une mosquée.
Mais il y a d’autres choses qui se
passent, intéressantes et rassurantes.
Les gens en ont marre et ils font
pression pour que le gouvernement
intervienne.
A Homs, dans le quartier de Hefféé il y
a eu une grande réunion pour dire le
rejet de la violence, qu’il fallait
sauver le pays contre les mercenaires
étrangers ; ceux qui se réunissent
essaient de rassembler les Syriens qui
les accueillent du côté de la
réconciliation. Réunions aussi à Maarat
el Nooman.
Ces réunions se font pour la
réconciliation de toute la population,
pour dire qu’ils veulent vivre en paix,
tous ensemble ; même ceux qui ont perdu
des gens de leur famille y participent.
Ça commence à se généraliser ; il y a eu
la même chose à Homs : une sorte de
grand conseil local de réconciliation,
ça se fait avec les gouvernorats locaux,
et toutes les associations qui se sont
créées pour (et depuis) les
élections (mai 2012) : tous ensemble
pour créer un mouvement de paix
national. Il y en a de plus en plus.
Mais du coup, de l’autre côté, le
terrorisme s’accentue très fort aussi.
Comme les gens essaient de se donner la
main parce qu’ils ont compris que c’est
un grand complot, alors, en face, le
terrorisme s’exacerbe, ils visent les
gens, dans les quartiers.
Il y a eu aussi 2 explosions dans la
banlieue druze de Damas, 48 morts, la
semaine dernière. A Jaramana, c’est un
quartier druze.
A Zamalka, ils ont fait une chose
atroce : les mercenaires ont pris une
partie de la population en otage et ils
les ont égorgés devant les autres.
C’était atroce, égorgés devant les
autres.
Il faut voir ces terroristes ; ils
viennent de Libye, du Yémen, de
Tchétchénie, d’Afghanistan : ils ont des
barbes jusqu’au nombril teintes au
henné, en principe pas de moustaches,
les yeux au khôl, des sarrouels qui
descendent jusqu’au-dessous des genoux.
Ils tuent à l’arme blanche, mais ils ont
aussi d’autres armes.
On a découvert des caches d’armes qu’on
n’aurait jamais pu imaginer ici : on les
a vues à la télé (pas seulement
syrienne) et c’est pour ça que les
satellites ont bloqué les chaînes
syriennes qu’ils desservaient. Pour
essayer d’empêcher la télé syrienne de
diffuser ces images, pour pas que les
gens (en Syrie) les voient : les deux
satellites ont brouillé les
transmissions. Les télés syriennes
essaient maintenant de mettre en place
d’autres canaux de transmission. Les
télés Araba ( ?) et la télé syrienne
avaient montré les témoignages d’anciens
terroristes, et les caches d’armes
notamment israéliennes qui ont été
saisies à Alep, Homs, Hama (autres noms
que je n’ai pas notés, ndr). On a trouvé
des caches avec d’énormes quantités de
poudre, pour fabriquer des engins
explosifs.
Les deux satellites (qui boycottent)
sont Nilsat et Arabsat; ce sont des
satellites étrangers, l’un égyptien et
l’autre appartenant à des Saoudiens ;
les deux sont des sociétés privées. Ils
ont fait ça à la demande de l’Arabie
saoudite et de l’Egypte : ils n’honorent
plus leur contrat commerciaux, une
aberration ! Parce que la télé syrienne
depuis une ou deux semaines avait
commencé à montrer des témoignages de
gens qui ont été capturés (par l’armée
ou la population), et qui avaient été du
côté des terroristes : ils ont raconté
comment ils ont été entraînés, par qui
ils ont été envoyés en Syrie, qui sont
leurs complices. Alors on a empêché la
télé syrienne de diffuser.
La plupart des gens qu’on montrait
avaient été recrutés et entraînés en
Turquie et au Liban.
Maintenant
on sent une escalade de la violence dans
les attentats (guerre de basse
intensité, après l’échec des groupes
armés à prendre les villes, ndr) ; mais,
en même temps, le gouvernement fait en
sorte que les familles qui ont dû
quitter leur maison, (ceux qu’on appelle
« déplacés », ndr), ne manquent de rien,
dans la vie quotidienne. Et toute la
population s’est mise à les aider ;
certains sont hébergés dans les écoles.
L’état réhabilite les quartiers qui ont
été les lieux des conflits pour que les
gens puissent rentrer chez eux au plus
vite.
A Alep, la réhabilitation (des maisons
et des édifices publics) a commencé, à
Homs c’est presque terminé, à Damas, les
quartiers de Midane sont réhabilités et
on fait appel aux familles pour qu’elles
rentrent chez elles dans les quartiers
qui sont sécurisés.
Le gouvernement voudrait que la rentrée
scolaire se fasse le 16 septembre.
Aucune denrée ne manque. Les déplacés
ont des paniers alimentaires qui leur
sont livrés et on leur garantit que
cette aide alimentaire et médicale sera
livrée chez eux aussi quand ils seront
rentrés.
Il y a une ville, à côté de Lattaquié,
Heffé, qui a été entièrement
réhabilitée.
Le gouvernement s’est engagé à ce que
dans chaque famille une personne soit
employée par l’état, pour qu’il y ait au
moins un revenu par famille.
m-a : On ne nous parle plus ici de la
bataille d’Alep ?
A Alep, les mercenaires ont complètement
perdu pied, malgré une affluence
terrible par la frontière turque.
Petraeus (général étasunien) est
(était ?) en Turquie : il était dans les
camps à la frontière, il avait déclaré
qu’il dirigeait les opérations. Ils y
sont tous allés : Clinton, Erdogan,
Fabius y est passé. Petraeus dirigeait
les opérations contre
la Syrie
avec les Israéliens, grâce à des
appareils de communication très
sophistiqués (payés et fournis aussi par
la France, c’est notre
contribution « humanitaire »,
déclarations du ministre des affaires
étrangères, ndr).
m-a : d’où vient le chiffre de 7.000
mercenaires ?
Il y a eu plusieurs déclarations à des
télés arabes, pas syriennes. Les
mercenaires sont des salafistes, des
escadrons de la mort venus
d’Afghanistan.
Ford (l’ex-ambassadeur étasunien à
Damas, ndr), quand il est revenu, il
avait pour mission –c’est lui qui l’a
dit- de recruter des escadrons de la
mort pour la Syrie. Après ils ont
tous plié bagage, fermé les ambassades.
A Houla, c’est eux.
Je suis très engagée ici dans les
contacts pour la réconciliation, en
participant à des réunions publiques.
Les gens me font confiance parce que je
ne suis pas du pouvoir, ni de
l’opposition ; les émissions à la télé,
aux radios nationales ou locales, ont
énormément d’audience. Les gens
m’interrogent car ils savent que je
viens de Paris, ils sont étonnés de mes
positions, discutent avec moi. Après ces
rencontres, j’ai reçu des coups de fil
même d’Arabie Saoudite, de gens qui
disent qu’ils sont solidaires du peuple
syrien. Dans les petits restaus où je
vais manger, les serveurs discutent avec
moi, ils sont enthousiastes, très
informés, c’est impressionnant de voir
cette mobilisation
Des conférences sont organisées,
par les nouveaux mouvements politiques
formés en mai ; il vaut mieux ne pas
donner les noms des intervenants pour
les réunions en préparation, pour ne pas
exposer les gens.
Le mouvement est national, il s’appuie
sur les comités locaux et aussi sur des
responsables religieux, des cheikhs et
des curés. »
(Damas, dimanche 9 septembre 2012,
midi).
Apostille (m-a p.)
Les points d’interrogation dans le texte
signalent des termes ou noms dont je ne
suis pas certaine, dans les notes que
j’ai prises pendant cette conversation
téléphonique.
Sur les mercenaires qui entrent en
Syrie, voir
http://www.voltairenet.org/Pacte-USA-Al-Qaeda-sur-la-Syrie-5
et sur les escadrons de la mort, ou
contras :
http://www.voltairenet.org/Qui-se-bat-en-Syrie,175109
A propos des « déplacés » voici un
extrait du protocole 414/2012A, adressé
le 30 août 2012 par
Grégoire III Laham, « patriarche
d’Antioche et de tout l’Orient,
d’Alexandrie et de Jérusalem » « à nos
fils et filles en Syrie et aux fils et
filles de l’Eglise dans le monde et à
tous les hommes de bonne volonté » :
« […] Si vous avez été déplacés à
l’intérieur de la Syrie ou dans un pays limitrophe, restez proches
de vos maisons et de vos biens dans
votre pays. Merci à ceux qui hébergent
les déplacés. Mais si vous partez
au-delà de la région, votre retour sera
plus difficile et votre situation ne
sera pas facile, malgré les facilités
offertes par les pays qui vous
accueillent, facilités qui ne sauraient
durer. C’est pourquoi je vous dis :
« n’émigrez pas ! ». Nous continuerons à
mettre tous nos efforts pour aider de
toutes nos forces les nécessiteux et les
déplacés » (Aïn Traz).
Enfin, à propos des tunnels et caches
d’armes évoqués ci-dessus : le 29 août
sur France Culture (vers 7h45) Marc
Voinchet était en direct avec
l’ « envoyé spécial de France Info en
Syrie » [en fait, juste derrière la
frontière turco-syrienne], Sébastien
Laugénie, entré clandestinement, par la
frontière turque avec les
« révolutionnaires », c’est-à-dire
embedded (comme Florence Aubenas) ;
autre invité, « spécialiste du
Moyen-Orient » de service ce jour-là,
Jean-Pierre Filiu : on a ainsi entendu
(je cite mot à mot) que « les gens ne
peuvent pas se cacher sous terre (pour
s’abriter des bombardements de l’armée)
[car] il n’y a pas de caves dans les
maisons syriennes ». Texto.
Surprise ; car pendant mon séjour en
Syrie en novembre, j’avais visité la
crypte et vu l’entrée du souterrain qui
arrive sous le monastère de Mar Yakub ;
le jeune Frère qui nous guidait nous
avait dit que ces souterrains sont
traditionnels, construits il y a
plusieurs siècles, certains sont
obstrués mais on sait qu’ils peuvent
faire des kilomètres de long. C’était
les refuges des Syriens au moment des
invasions, y compris des croisades. On
pense que des souterrains sont réactivés
maintenant et servent à approvisionner
les terroristes ; à Qara, certains
souterrains sont réputés faire bien plus
de 10 kilomètres et aller
jusqu’à la frontière libanaise.
Bien vu, les « ex-diplomate en
poste à Damas » (Filiu) et « envoyé
spécial », invités par notre radio
culturelle française « de référence ».
Ou vous avez piètrement fait votre
travail (payé par l’argent des
contribuables) ou, à l’occasion, vous
mentez pour vous adapter à ce pour quoi
on vous a invités. Ou les deux.
m-a p.
Marseille, 10 septembre 2012
Le
dossier Syrie
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