Opinion
Cumul des mandats,
primes :
en 2012, le gouvernement Ayrault n'a pas
connu la crise !
Marc Leroy
Mardi 29 janvier
2013 On s’en souvient, la toute
première décision de François Hollande
après son élection à la Présidence de la
République avait été, au nom de
l’exemplarité, de réduire son salaire et
celui des ministres de 30 %. Hollande
avait notamment déclaré pour justifier
cette mesure : « Je ne dis pas que
c’est là qu’il va y avoir des économies
substantielles. Je dis qu’à un moment il
faut montrer que le comportement au
sommet de l’Etat est exemplaire. »
Cette décision, effectivement actée
lors du vote du Collectif budgétaire
le 31 juillet 2012 par l’Assemblée
Nationale, avait d’ailleurs eu bien du
mal à être mise en œuvre, le Conseil
Constitutionnel l’ayant retoquée le 09
août, jugeant que c’était « à
l’exécutif de fixer le traitement du
Président de la République, du Premier
ministre et des membres du Gouvernement
» et non aux parlementaires. Le 24
août était alors paru au Journal
officiel un décret confirmant la baisse
de salaire du Président de la
République, du Premier ministre et des
membres du gouvernement, baisse
rétroactive prenant effet des le 15 mai
2012.
Une promesse -purement symbolique,
mais la politique est aussi faite de
symboles- tenue par le nouveau Président
de la République ? Voire… Car Si
Hollande a bien baissé son salaire et
celui des ministres comme il s’y était
engagé (le salaire de Président et de
Premier Ministre est ainsi aujourd’hui
de 14.910 euros bruts pour 12.696 euros
nets alors qu’il était 21.300 bruts et
18.276 euros nets sous le quinquennat
précédent), en ce qui concerne le
comportement exemplaire au sommet de
l’Etat, c’est une toute autre paire de
manches !
Des ministres
moins payés… Mais plus nombreux !
Tout d’abord, il faut bien constater
que si le salaire des ministres a donc
effectivement baissé avec l’arrivée de
François Hollande à l’Elysée, le nombre
de ceux-ci a lui… Augmenté !
En effet, comme l’avait relevé en mai
2102 le journal
Le Monde, le 1er
gouvernement Fillon, nommé après la
victoire de Nicolas Sarkozy en 2007
était composé d’un Premier ministre, de
quinze ministres, quatre secrétaires
d’état et d’un haut commissaire, pour un
coût total (en comptabilisant les
différents salaires de l’époque) de
292.500€ brut par mois.
Le gouvernement nommé par François
Hollande après son élection était lui
composé d’un Premier ministre, un
ministre d’Etat, quatorze ministres de
plein exercice, neuf ministres auprès
d’un ministre et huit secrétaires
d’État, soit un coût mensuel (en
additionnant les salaires d’aujourd’hui)
de … 351 400 euros brut !
Certes, le second gouvernement Fillon
nommé en 2011 avait sérieusement
augmenté le nombre de ministres, puisque
celui-ci était composé d’un Premier
ministre, de seize ministres, huit
ministres délégués et neuf secrétaires
d’Etat, pour un coût mensuel cette
fois-ci de 483 500 euros brut.
Il n’empêche : 292 500 € puis 483 500
€ d’un côté dans le quinquennat Sarkozy,
351 400 € dès le premier gouvernement de
Hollande (qui n’a d’ailleurs
certainement pas dit son dernier mot en
ce qui concerne la distribution de
maroquins ministériels), on peut bien
non plus parler -et concernant la «
modération ministérielle » revendiquée
par le gouvernement Ayrault- d’une
mesure symbolique et anecdotique, mais
d’une escroquerie politicienne de la
plus belle espèce. Et renvoyer dès lors
dos à dos UMP et PS, dans ce match nul
de la démagogie politique et de la
dilapidation des deniers publics. Match
nul dans tous les sens du terme, car,
nous allons le voir, la duplicité de nos
actuels gouvernants ne s’arrête pas là.
Salaires
réduits, mais cumul des mandats
généralisé
Car une des autres promesses de
campagne du candidat Hollande concernait
la suppression du cumul des mandats. Et
de ce côté-là, malgré les gesticulations
d’estrade et les déclarations
d’intention, il s’est révélé être très
urgent d’attendre !
Certes, il fut bien demandé aux
ministres de renoncer aux mandats
exécutifs locaux qu’ils pouvaient
détenir à leur nomination (maire ou
encore président de conseil général et
régional notamment). A leurs mandats… «
Exécutifs » , entendez bien la nuance,
saisissez bien l’astuce ! Car du coup,
ils ont pu conserver une ou plusieurs
fonctions « non exécutives » dans leur
fief. Non exécutives certes, mais bien
entendu rémunérées -et parfois
grassement- tout de même. Le Diable est
toujours dans les détails.
Cette subtile distinction a été
entendue cinq sur cinq et immédiatement
exploitée par le gouvernement Ayrault :
sur les trente-neuf ministres et
secrétaires d’Etat… Vingt-cinq cumulent
salaires de ministre et d’élus locaux !
Et les quatorze vertueux qui restent ne
le sont souvent que par hasard : neuf
d’entre eux n’avaient en effet pas
d’autre mandat à leur nomination que
celui de député, et un dixième (Fleur
Pellegrin) n’avait pas de mandat du
tout. En fait, seuls trois ministres
(trois femmes d’ailleurs) ont
démissionné de toutes leurs fonctions
locales : Cécile Duflot (conseil
régional d’Ile-de-France), Dominique
Bertinotti (mairie du 4e arrondissement
de Paris) et Michèle Delaunay (conseil
général de Gironde). Dont acte pour ces
trois là, nonobstant leurs «
performances » de ministres inversement
proportionnelles dans la médiocrité et
même l’abyssale nullité à leur vertu
républicaine.
Vingt-cinq cumulards sur trente-neuf
ministres donc : c’est presque un
record, et du coup, les baisses de
salaires sont beaucoup plus anecdotiques
encore que ce que l’on a bien voulu nous
faire croire. Car si le décret d’août a
bien baissé la rémunération
ministérielle de 30 %, grâce à l’astuce
du « mandat non exécutif » une bonne
dizaine de ministres s’est tout aussitôt
ré-augmenté de plus de … 20 % grâce
notamment à leurs mandats de conseiller
général ou régional. Mandats qu’ils
occupent d’ailleurs sans en remplir
aucunement les fonctions, comme les
feuilles de présence l’attestent dans la
quasi-totalité des cas. Ce qui n’empêche
bien évidemment pas le chèque d’être
encaissé à la fin du mois.
Si certains n’augmentent ainsi que
très modérément leur traitement
ministériel (Valérie Fourneyron ne
touche que 66 euros comme conseillère
municipale de Rouen), d’autres font
péter le compteur : ainsi Najat Vallaud-Belkacem
(conseillère générale du Rhône,
conseillère municipale et conseillère
communautaire de Lyon) et Marie-Arlette
Carlotti (conseillère régionale de Paca
et conseillère générale des
Bouches-du-Rône) atteignent carrément le
plafond de 2.757 euros supplémentaires à
leur traitement de ministre imposé par
la loi sur la transparence financière de
la vie politique promulguée en avril
2011… Par le gouvernement du Président
Sarkozy. Elles sont du coup les
ministres les mieux payés du
gouvernement !
Les suivent d’assez près :
Jean-Yves Le Drian : + 2 236 euros
(il a démissionné de son poste «
exécutif » de Président du Conseil
régional de Bretagne pour redevenir
simple conseiller et pouvoir continuer à
cumuler « « dans les clous »).
Benoît Hamon : + 2 200 euros
(conseiller régional d’Ile-de-France).
Thierry Repentin : + 2 180 euros
(conseiller général de Savoie,
conseiller municipal et communautaire de
Sonnaz).
Marisol Touraine : + 2 126 euros
(conseillère générale d’Indre-et-Loire).
Marylise Lebranchu : + 2 000 euros
(conseillère régionale de Bretagne).
Victorin Lurel : + 2 000 euros
(conseiller régional de Guadeloupe).
Sylvia Pinel : + 1 951 euros
(conseillère régionale de
Midi-Pyrénées).
Anne-Marie Escoffier : + 1 805 euros
(conseillère générale de l’Aveyron).
Le moins que l’on
puisse dire, c’est qu’en ce qui concerne
l’affirmation d’une très vertueuse
modération salariale, on pouvait
difficilement faire plus hypocrite !
Vous croyez avoir tout vu ? Vous êtes
pourtant très loin du compte, braves
gens ! Car si les ministres savent comme
on vient de le voir utiliser au mieux
les subtilités et les omissions
volontaires des « règles exemplaires »
édictées par Flambi 1er pour
insensiblement compenser leur pseudo
baisse de salaire, ils ne se contentent
pas de ces petits bonheurs solitaires et
savent aussi se montrer altruistes, en
arrosant très généreusement les membres
de leurs cabinets ministériels.
Générosité à peu de frais pour eux, car
-rassurez-vous- une fois encore, c’est
bien vous qui au final payez l’addition.
Des ministres
« moins payés », mais des
collaborateurs… Augmentés !
Dans plusieurs ministères du
gouvernement Ayrault, les salaires des
membres de cabinet ont étés plus ou
moins substantiellement augmentés. Ainsi
du ministère de la Défense, où la
moyenne des trois rémunérations les plus
élevées s’élève aujourd’hui à 12 489
euros net par mois (soit presque 50% de
plus que le salaire du ministre
Jean-Yves Le Drian !). Du temps de son
prédécesseur Hervé Morin, la moyenne des
trois salaires les plus élevés était de
11 546 euros. Près de 10%
d’augmentation, par les temps qui
courent, c’est presque digne d’une
inscription au Guiness Book des
records !
Autre exemple : au quai d’Orsay
(Affaires Etrangères), les trois
conseillers les mieux payés de Laurent
Fabius touchent en moyenne 9 323 euros
net par mois. Ils ne touchaient « que »
8.822 euros net sous les règnes de
Bernard Kouchner et Alain Juppé.
Grosso-modo en ce qui concerne le
coût total des cabinets ministériels, et
une fois encore, le gouvernement Ayrault
fait finalement à peu de chose près jeu
égal avec ses prédécesseurs «
fillonistes ».
Mais, lorsque l’on se « dévoue pour
le bien public », le salaire n’est fort
heureusement pas tout…
Grâce aux
primes, les cabinets ministériels
touchent aussi le jackpot
De tout temps, nos gouvernants ont su
utiliser des fonds publics de
fonctionnement plus ou moins occultes
pour grassement récompenser leurs
collaborateurs. Les Lois et décrets
censés moraliser ces pratiques
discrétionnaires et souvent fort peu
soucieuses de l’éthique ont eu beau
s’enchaîner ces dernières années, le
système en changeant de nom ou de forme
au fil du temps est toujours demeuré
redoutablement efficace, très
confidentiel et même carrément opaque.
Aujourd’hui, c’est donc via une «
dotation d’indemnités
pour sujétions particulières » (ISP),
qu’une enveloppe annuelle est attribuée
à chaque cabinet ministériel par les
services du Premier Ministre. Charge
ensuite aux ministres de répartir la
manne selon leur bon vouloir.
Le montant de cette enveloppe
financière est en général fonction de
l’importance du cabinet ministériel
concerné. Mais ce n’est pas toujours le
cas et du coup, certains ministères sont
plus généreusement arrosés que d’autres…
C’est ce que nous apprend un épatant
article du
Journal du Net, qui a comparé
les sommes allouées à chaque ministère
et la composition des cabinets (tous
personnels confondus) pour établir un
petit classement des cabinets les plus
favorisés par la République hollandienne
(pour seulement 7 mois d’activité
seulement, notons le au passage).
Premier de la classe pour 2012 : le
cabinet de Marisol Touraine (Affaires
Sociales & Santé), avec une enveloppe «
primes » de 878 408 euros, soit 13 725
euros d’argent de poche par membre du
cabinet… Excusez du peu. Selon les dires
du ministère, seuls 63% de cette somme
auraient été effectivement distribués au
31 décembre. Vous vous demandez ce que
deviendront dès lors les 37% restants ?
Mystère et boulle de gomme…
Viennent ensuite et dans l’ordre :
2ème – Le cabinet de
Jean-Marc Ayrault (Premier ministre) :
12 829 euros par membre de cabinet. 58%
distribués officiellement au 31
décembre.
3ème – Le cabinet de
Sylvia Pinel (Artisanat et Commerce) :
11 956 euros par membre de cabinet. 58%
distribués.
4ème – Le cabinet de
Nicole Bricq (Commerce Extérieur) : 11
946 euros par membre de cabinet. Nicole
Bricq a semble-t-il entièrement
distribué sa cagnotte au 31 décembre
2012.
5ème – Le cabinet d’Arnaud
Montebourg (Redressement Productif) : 11
913 euros par membre de cabinet. 62%
distribués.
6ème – Le cabinet de Najat
Vallaud-Belkacem (Droits des Femmes) :
11 745 euros par membre de cabinet. 72%
distribués.
Les autres cabinets font parfois
presque figure de parents pauvres, ne
disposant « que » de 10 900 à environ 5
000 € par membre de cabinet, les deux
plus mal lotis étant les cabinets de
Delphine Batho (Ecologie, Développement
Durable et Energie) et de Stéphane Le
Foll (Agriculture, Agroalimentaire et
Forêt), avec respectivement 5 206 et 4
939 € par membre. On constatera au
passage qu’un membre de cabinet du
Ministère de l’Agriculture se voit
attribuer d’office une prime
potentiellement 2,8 fois moindre que
celle à laquelle peuvent prétendre les
proches de Marisol Touraine… Ce qui en
dit plus qu’un long discours sur le
respect qu’inspire à nos élites
parisiennes la gestion par l’Etat de
l’agriculture française.
26,861
millions d’euros de « prime de Noël » ,
qui dit mieux ?
Au total, les indemnités pour
sujétions particulières (ISP) -c’est à
dire l’argent de poche des ministères,
les primes- du gouvernement Ayrault pour
2012 (seulement 7 mois d’activité
rappelons-le) auront donc atteint la
somme de 26,861 millions d’euros. Sans
même compter les traditionnels et
nombreux collaborateurs « officieux »
(faisant d’ailleurs souvent partie du
cercle familial du ministre, ou de celui
de tel ou tel ami) non recensés, donc
absolument pas quantifiables ou
chiffrables, mais également très
grassement rétribués par l’Etat (c’est à
dire -encore une fois- par vous).
Comme vous l’aurez constaté en
prenant connaissance des quelques
chiffres détaillés au fil de ces lignes,
derrière les déclarations de vertu et
les beaux discours sur la nouvelle
modération du train de vie de l’Etat à
la sauce hollandaise, l’année 2012 aura
été financièrement particulièrement
clémente pour nos chers gouvernants et
ceux qui les secondent.
Hollande-Ayrault aujourd’hui comme
Sarkozy-Fillon hier… Décidemment, leur «
petite entreprise ne connaît vraiment
pas la crise » !
Marc LEROY – La Plume à Gratter
Publié le 29
janvier 2013 - Source
La Plume à Gratter
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