Par sa décision du 17 mai 2013, le
Conseil constitutionnel a validé la loi
votée par le Parlement le 3 mai, qui a
légalisé le mariage entre des citoyens
et des citoyennes du même sexe. Cette
décision a été, en fait, annoncée dès le
16 mai, puisque dans sa conférence de
presse, le Président de la République a
ingénument révélé qu'il y avait entente
préalable entre lui-même et le Conseil
et qu'il promulguerait la loi sitôt que
la décision de constitutionnalité aurait
été officiellement communiquée à la
presse.
De mon côté, j'avais prévu la timidité
et la parcimonie de l' argumentation
juridique du Conseil et souligné que ses
carences culturelles ouvriraient le
débat de fond sur l'assise l'ultime des
lois de la République et sur la vocation
philosophique d'une institution
expressément fondée le 16 juillet 1971
aux fins de protéger les libertés du
citoyen dans un Etat de droit.
Je constate que, pour la première fois,
une loi soumise à l'appréciation
souveraine de constitutionnalité met en
évidence l'insuffisance de l'information
du Conseil et de sa réflexion sur la
véritable nature de sa fonction de
peseur d'une législation. Il est, en
effet, bien évident, comme il fallait
s'y attendre, que cette décision
donnerait son plein essor à une prise de
relais de grande ampleur de la pesée des
civilisations sous la plume des
philosophes, des historiens, des
psychologues, des psychanalystes, des
pédiatres, des sociologues et des
historiens. Un Conseil constitutionnel
qui méconnaît son destin intellectuel,
mais un Conseil constitutionnel
désormais condamné à s'élever au rang
d'un examinateur du cerveau onirique de
l'espèce, quelle rencontre de la science
politique avec la pensée rationnelle de
demain, mais également quel carrefour du
tragique d'une civilisation si
l'intelligentsia d'avant-garde du monde
entier marginalisera les juristes les
plus éminents de l'Etat. Le Conseil
recevra d'autres mains que des siennes
la balance nouvelle dont les plateaux
accueilleront des poids inconnus - les
fondements biologiques du droit et
l'éthique ultime des lois.
1 - Le Conseil
constitutionnel et la philosophie du
droit
Si la mission confiée par la République
au Conseil constitutionnel se réduisait
à exercer une surveillance du pouvoir
législatif de pure forme et si sa
vocation naturelle à contrôler le
Parlement et le Sénat l'appelait
seulement à jouer le rôle d'un gardien
de la lettre des lois, un quarteron de
grammairiens ferait fort bien l'affaire.
L'Académie d'une République de façade
veillerait à la constitutionnalité du
langage du droit et cette basoche se
contenterait de valider les lois à la
lumière des dictionnaires. Mais tout
législateur est un peseur que sa
vocation appelle à légitimer les lois
civiles et pénales à la lumière d'une
philosophie de la justice. Cicéron a
doté le droit romain de son temps de
l'armure souveraine de la dialectique.
L'éloquence du barreau n'est rien,
disait-il, si elle ne demande aux juges
de soumettre les tribunaux aux
raisonnements des grands logiciens.
C'est pourquoi, depuis sa fondation, le
16 juillet 1971, le Conseil
constitutionnel exerce le pouvoir de
préciser et d'étendre le champ de la
déclaration sommitale de 1789, ce qui
n'a cessé d'élargir l'assise juridique
et d'augmenter le poids politique et
moral de ce guerrier de la République.
Mais si
seul un examen du sens profond des lois
peut nous éclairer sur le combat d'estoc
et taille que mène une législation pour
ancrer le droit dans une connaissance
anthropologique de notre espèce, la
philosophie n'est-elle pas une autorité
judiciaire dont les arrêts définissent
le statut non seulement de la raison
humaine, mais de la lanterne qui
l'éclairera? Il serait donc irrationnel
de s'en tenir à la tautologie qui
s'énoncerait comme suit: "Une loi est
constitutionnelle quand elle est
conforme à la Constitution", parce que
la philosophie place la notion de
conformité sous le joug de
l'intelligence, donc de la pesée
critique, ce qui ouvre un champ immense
à l'examen de "l'esprit des lois",
comme disait Montesquieu et aux verdicts
d'une balance dont le fléau inscrit les
oracles de Thémis sur le cadran des
cités.
2 -
Une philosophie de l'esprit de justice
Il faut donc
demander aux philosophes d'allumer la
mèche de l'esprit de justice et de nous
livrer les noms des fabricants de la
bougie du droit; puis de nous dire quels
matériaux de la raison les forgerons de
la loi ont frappé sur l'enclume de
l'entendement politique des Etats; puis
de nous conduire jusque dans l'atelier
du législateur, afin de nous initier sur
place à la connaissance abyssale du
genre humain qui seule permettra de
peser les peseurs en retour. Si le
conseil constitutionnel n'était pas un
cénacle de profonds philosophes de la
logique des lois et de la cohérence
interne de leurs énoncés, donc un
séminaire de scrutateurs avertis des
arcanes du droit civil et pénal, il
s'agirait, redisons-le, d'une équipe
d'affûteurs des recettes des Etats et
d'un peloton de procéduriers flanqués d'
une association de sophistes de la
République - et leur tâche se réduirait
au métrage d'une scolastique des lois.
Pour entrer à pas de
loup dans la véritable pesée d'une
civilisation de l'alliance des droits de
la justice avec le tribunal de la raison
et pour tenter de nous initier à l'âme
d'une République dont le message
philosophique aura inspiré sa
Constitution, il faut nous demander
quelle est la surréalité de
l'intelligence, donc le type
d'extériorité du regard de la logique
dont se réclame la pesée d'une
législation placée sous la surveillance
d'une dialectique; et pour soulever le
problème de la spécificité du recul
intellectuel des examinateurs du cerveau
humain à l'égard de l'assiette même des
jugements dont usent les savants du
droit, il faut placer sous la lentille
du microscope les relations internes que
la science des lois entretient avec le
système probatoire qui couronne et guide
les boîtes osseuses spécialisées dans
cette discipline, donc avec le genre
particulier de preuves et de
démonstrations auxquelles ces maîtres
s'autorisent à recourir dans leur
enceinte propre.
3 -
Qu'est-ce qu'une preuve juridique ?
Supposons qu'un
conseil constitutionnel de pédagogues du
ciel des chrétiens aurait corseté les
arbitrages de l'autorité royale au sein
de la monarchie de droit divin et que
ces éducateurs auraient exercé la charge
semi théologique et semi-régalienne
d'apprécier la mise en conformité du
contenu et du vocabulaire des lois
civiles avec l'ordre du cosmos et avec
l'ordre terrestre alors impérieusement
confondus; supposons ensuite qu'une loi
de 1542 aurait interdit la diffusion et
la propagation des principes de
l'astronomie blasphématoire que Copernic
venait de publier sur son lit de mort,
afin d'échapper au bûcher, mais dont la
démence allait jusqu'à nier la course du
soleil au-dessus des têtes et à reléguer
notre astéroïde au rang d'une goutte de
boue contrainte de courir à perdre
haleine autour d'un soleil supposé se
tenir immobile dans l'étendue.
Ce Conseil constitutionnel n'aurait pu
réfuter la pernicieuse hérésie d'un
ennemi du bon sens et de la raison
commune sans faire valoir au préalable
les preuves alors tenues non seulement
pour solides, mais pour irréfutables par
nature et par définition: le saugrenu de
la mécanique du profanateur polonais
avait beau crever les yeux, il ne
suffisait pas d'observer du matin au
soir la course du soleil dans le ciel
pour réfuter une impiété évidente,
encore fallait-il invoquer l'autorité
incontestable de celui qui avait énoncé
et promulgué la loi, à savoir, le
créateur de l'univers lui-même, qui
avait daigné révéler des vérités
cautionnées par l' infaillibilité de son
sceptre; et c'était de sa personne qu'on
semblait contester les prérogatives
surnaturelles et la bienveillance si
l'on entendait rejeter les arguments,
même absurdes, des hérétiques et des
iconoclastes. Comment se fait-il que les
grilles de lecture ne soient jamais
gravées sur les rétines, mais dans les
têtes? C'est que les preuves sacrilèges
ou pieuses ne portent jamais que sur des
signifiants rationnels ou religieux -
les faits tout nus ne sortent de leur
mutisme et ne charrient un sens
terrestre ou divin que si une
herméneutique se charge de les faire
parler haut et fort.
4 - La cécité
théologique et la cécité tout court
Un grammairien et latiniste du début du
XIXe siècle, l'abbé Cuet, distinguait
non sans humour deux espèces de
galimatias, le simple, auquel l'auditeur
ne comprend goutte et le double, que le
locuteur ne comprend pas davantage.
Dira-t-on que, de nos jours, le Conseil
constitutionnel n'ayant plus à réfuter
les arguments de Copernic, parce qu'il
se trouve dépossédé d'une herméneutique
biblique de l'astronomie de taille à l'y
contraindre, il se trouverait néanmoins
aussi désarmé qu'en 1542, mais à front
renversé, parce que le galimatias de
l'Etat laïc lui demanderait maintenant
de rejeter le verdict des sciences de
l'enfance aussi résolument que l'Eglise
du XVIe siècle rejetait
l'héliocentrisme? Quel sera le moule
cérébral de la démocratie et de la
République si le Conseil constitutionnel
devait ignorer, et sans les examiner en
rien, les constatations des
psychanalystes, des sociologues, des
éducateurs, des historiens et tutti
quanti, comme si le naufrage de la
théologie réfutait les arguments des
nouveaux Copernic, dont les observations
sur la constellation de l'enfance
établissent que le soleil de la jeunesse
ne tourne pas autour de l'Etat, mais
l'Etat autour du soleil de la jeunesse
et que la République ne saurait reléguer
le printemps de la nation parmi les
dommages collatéraux du géocentrisme
démocratique?
Quel
charabia que celui de la déesse Liberté
si le naufrage de la Révélation biblique
des ancêtres, le seul canon d'un calibre
à faire couler à pic la barque du sens
commun, condamne maintenant toute la
science moderne des aurores du monde,
que François Mauriac appelait la "sainteté
de la jeunesse", à capituler devant
le galimatias d'un Etat dont l'exécutif,
à la fois souverain et ptolémaïque,
n'aurait plus à tenir compte ni du
jugement des théologiens du Moyen Age,
ni de celui des yeux et des oreilles des
savants psycho-pathologues du XXIe
siècle? Dans ce cas, le trépas du
céleste vieillard n'aurait donné le
pouvoir qu'aux Gorgias et aux
Thrasimaque de la démocratie. On voit à
quel point il est devenu nécessaire
d'observer à la lumière d'une
anthropologie philosophique et critique
l'articulation flottante d'une
législation de sophistes des berceaux
avec le système probatoire censé en
démontrer la validité: il s'agit de
peser à leur tour rien moins que la
surréalité des preuves scientifiques
dans les crânes et la qualité de leur
ajustage à leur objet.
5 - Le galimatias
démocratique
Résumons: une
théologie sûre de sa sophistique croyait
porter un regard impavide et à jamais
garanti par le ciel sur la
problématique, absurde à ses yeux, d'un
certain Copernic. L'artillerie de Dieu
refusait à l'astronomie d'un apostat
toute autonomie tant de l'exactitude de
ses observations que de l'autorité de
son code explicatif et de ses calculs.
Mais si c'est l'autarcie accordée tour à
tour à la raison des croyants et à celle
des observateurs qui fait retentir la
cloche du verbe comprendre dans l'une ou
l'autre école de la vérité, comment
allons-nous contraindre le Conseil
constitutionnel de s'expliquer à la fois
sur son mutisme théologique et sur son
mutisme scientifique ? Le sceptre de
l'exécutif le ferait-il reculer comme
hier la foudre du ciel? Et si le nectar
de la peur fait décidément la loi jusque
parmi les gardiens de la loi, le
philosophe va observer les poids
respectifs du sceptre de la force et du
miel du droit dans les institutions des
Républiques.
Car la politique cache le tranchant de
son glaive sous le vêtement de la
science de l'enfance comme hier sous la
robe de bure du Franciscain. Voyez comme
le grand Polonais transportait, lui
aussi, hors de la forteresse des faits
observés et sans seulement s'en douter,
la balance de la raison expliquante de
son temps; s'il n'avait pas cru aux feux
d'une logique des évidences dont la
géométrie tridimensionnelle d'Euclide
lui fournissait l'enceinte naturelle et
la lanterne, il n'aurait pas disposé de
l'extériorité cognitive et du recul
épistémologique dont l'intelligibilité
de type copernicien fournissait les
lumières de sa problématique à tout le
genre humain.
On sait
qu'en ces temps reculés les clartés de
la géométrie des Grecs étaient censées
irréfutables et que la grammaire de la
nature codifiée par Aristote en
véhiculait le chargement. Si le Conseil
constitutionnel tombe du galimatias
théologique, qui est simple, dans
le galimatias double évoqué par
l'abbé Cuet, il se trouvera contraint de
conquérir un regard d'anthropologue sur
une République nouvelle, celle d'un
galimatias dont le despotisme
s'envelopperait dans les plis du drapeau
de la Liberté.
6 - De
la nature du recul intellectuel du
Conseil constitutionnel
Comment se fait-il que plus de quatre
décennies après sa création, le Conseil
constitutionnel des Cujas d'une
République du droit mise en place en
1971 par M. Pompidou et constamment
renforcé depuis M. Giscard d'Estaing,
qu'une telle institution, dis-je, se
trouve encore dépourvue de toute
distanciation philosophique et critique
à l'égard de l'esprit des lois de la
France de 1789? Car deux siècles après
la Révolution, l'intelligence
interprétative des lois n'a pas encore
remplacé le surplomb du Zeus agonisant
des chrétiens par un aréopage terrestre
plus crédible que celui des docteurs du
concile de Trente. Comment le monde
moderne va-t-il se colleter avec la
transcendance qui l'habite et qui lui
avait fait enfanter ses idoles?
Car enfin, s'il est démontré que ses
dieux extérieurs, l'humanité les avait
tirés de son propre fonds, comment ce
fonds n'aurait-il pas vocation
d'enfanter le dieu intérieur de la
France, dont le Conseil constitutionnel
serait l'accoucheur, et comment, deux
siècles après 1789, la raison humaine
n'enfanterait-il pas le ciel cérébral de
la transcendance des droits de l'homme?
Mais si les peseurs
actuels des lois de la Gaule
contemporaine ne disposent plus du
regard d'aucun Olympe sur le code
probatoire qui servait autrefois
d'assiette au législateur, pourquoi les
membres de cette assemblée de laïcs
rendent-ils désormais leur entendement
plus muet et plus aveugle qu'une
théologie, et cela au point de
s'autoriser à passer outre d'un seul
élan et avec un bel entrain aux
démonstrations, évoquées plus haut, des
psychanalyses, des pédagogues, des
psychologues, des anthropologues, des
sociologues, des pathologues de
l'enfance et des historiens, lesquels
jugent unanimement que l'adoption des
couvées humaines par des couples
homosexuels, tant masculins que féminins
serait catastrophique au sein d'une
société majoritairement hétérosexuelle ?
Comment se fait-il, encore une fois, que
ces laïcs tâtonnants adoptent une
attitude plus obscurantiste que celle
des théologiens du Moyen Age, qui
reconnaissaient du moins qu'il leur
fallait opposer à l'outrecuidance de
Copernic, puis de Galilée la foudre des
preuves et des démonstrations cachées
sous l'os frontal d'un personnage aux
raisonnement irréfutables?
7 - L'impératif
kantien des démocraties
Risquons
l'hypothèse dangereuse selon laquelle le
Conseil constitutionnel d'aujourd'hui ne
serait pas encore composé de philosophes
et d'anthropologues intrépides, comme le
demandait Platon dans sa République.
Dans ce cas, il se condamnerait à
renoncer purement et simplement à la
mission politique et intellectuelle qui
lui a bel et bien, et fort
impérativement, été confiée par la
République de la raison philosophique de
la France; et il se déroberait
effrontément et tout tremblant aux
prérogatives juridiques attachées à la
haute fonction qui l'a placé au cœur du
devenir d'un Etat paradigmatique. Mais
puisque les Républiques pensantes ont
perdu les armes de l'épouvante
religieuse dont disposaient les clergés,
ce serait en vain que des lois soumises
à l'impératif kantien de faire
progresser sans cesse leur logique
interne emprunteraient la voix du
Parquet, tellement l'éloquence feutrée
d'une Liberté devenue acéphale ne ferait
pas reculer un Conseil plus intimidé que
terrorisé par un exécutif décérébré. Les
gardiens de la loi peuvent dormir in
intramvis aurem: aucun tribunal de
la religion de la Liberté ne les citera
à la barre des témoins, aucune loi armée
de sa transcendance propre ne fera
comparaître devant elle ses sentinelles
et ses pédagogues endormis.
8 - Le
Conseil constitutionnel et la
philosophie de la République
On voit la portée anthropologique de la
question kantienne des fondements
philosophiques de la légitimité ultime
d'une institution-pivot dont la
souveraineté transcende, en fait, non
seulement celle de l'Elysée, mais celle
de l'Assemblée et du Sénat, même dans le
cas où ces deux instances se réuniraient
en congrès des défenseurs du ciel
démocratique pour destituer le Président
de la République, puisque la pesée de la
constitutionnalité de cette destitution
serait encore, du moins en principe, du
ressort exclusif du Conseil. Mais le
revers de la médaille commence de se
montrer: si le Conseil n'est responsable
devant personne, un suffrage universel
censé doté de l'infaillibilité des
suffrages du peuple de la Liberté pourra
se trouver trompé à son tour, et cela
par les gardiens mêmes de la
Constitution, parce que le silence des
sentinelles de la loi suffira à réfuter
l'impératif catégorique de la
souveraineté du citoyen.
On voit la puissance
redoutable de faire taire une nation
entière devant le sceptre d'une
institution à vocation philosophique,
mais dont les acquiescements peureux à
un pouvoir arbitraire se changeraient en
une papauté irréfutable : l'impunité
même du Conseil tournerait vers le sol
le pouce d'un César républicain. C'est
dire que si les vigies de la
Constitution ne fondaient pas leur plus
haute légitimité sur la royauté d'une
raison transcendante au temporel et au
contingent, elles tomberaient entre les
mains d'un Etat à la fois anarchique et
despotique - et la fatalité de leur
chute parmi les tyranneaux de l'exécutif
résulterait du seul fait qu'aucune
instance judiciaire ne se trouvera
habilitée à arrêter le torrent d'un
despotisme auquel de faux gardiens de la
loi donneront libre cours.
9 - Le Conseil
constitutionnel et les lois non écrites
C'est pourquoi la levure la plus
philosophique de l'Etat de droit se
trouve désormais testée par une
démagogie électorale dont le venin
s'attaque de front à la santé mentale
d'une enfance orpheline de l'Etat
rationnel et dont l'éducation nationale
ne donne plus de contenu philosophique à
la laicité. Certes, il fallait oser, il
y a quatre décennies, poser la question
de l'ultime légitimité des lois au sein
d'au sein d'une République fondée sur la
raison et prendre le risque de soulever
l'interrogation focale du statut de
l'intelligence humaine au sein des
démocraties. Mais c'est sans en être
devenu conscient que le Conseil a fait
débarquer Platon dans la réflexion des
Etats sur les fondements du droit public
sous tous les régimes politiques du
monde, et cela du seul fait qu'il a
placé sur la terre entière le droit
international sous sa propre
surveillance, à la manière du Sénat
romain, dont on admire tellement la
constance et la fermeté tout au long des
guerres puniques et qui s'était plié de
sa propre autorité à une épuration
annuelle et silencieuse de ses membres,
comme Tite-Live ne le rappelle qu'au
détour d'une phrase.
Sans
doute le grand historien passait-il
comme chat sur braise, parce que la
question du fondement philosophique des
lois est trans-scripturaire: on chargera
en vain une loi écrite de garantir en
toutes lettres la constance d'une ascèse
politique intériorisée. Seule la voix de
Platon et de Sophocle venait rappeler à
la conscience politique du Sénat de Rome
- comme elle en viendra à le rappeler au
Conseil constitutionnel de la France -
que le droit est l'oracle de la trans-littéralité
des lois et que leur voix retentit dans
le temple de la vie politique des Etats
délivrés des échafaudages
analphabétiques. C'est pourquoi on
appelle le droit international public le
"droit des gens", c'est-à-dire
des gentes - des peuples.
Certes, Joseph de Maistre soulignait à
juste titre que la légitimité seulement
terrestre du pouvoir judiciaire est un
édifice dont il est impossible de
multiplier à l'infini les étages. Mais
la Cour de cassation n'est pas habilitée
à peser le contenu des lois blotties
dans leur berceau, tandis que le
Conseil, si peu philosophe qu'il se
sache, fait débarquer jour après jour et
le plus souvent à son corps défendant la
question du statut de l'Etat de droit
dans le débat sur le fondement
philosophique du genre humain. Et
puisque tout citoyen engagé dans un
procès au pénal se trouve désormais
habilité à demander au Conseil si
l'accusation dont il fait l'objet ne
ressortirait pas à une justice
d'exception subrepticement glissée dans
la place par l'exécutif, c'est bel et
bien parce que le Conseil est devenu le
Vatican laïc des nations civilisées et
que si cette institution n'a pas de
philosophie de la personne à faire
valoir sur la scène internationale, elle
n'aura pas conduit la Révolution
française à poursuivre son chemin, alors
que cette mission lui a été expressément
confiée par sa loi fondatrice.
10 - Un
capharnaüm législatif
Quel est donc le
jardin le plus originel dans lequel le
royaume des lois enracine sa
transcendance ? Pour accéder à ce
terreau de la réflexion anthropologique
et philosophique, il suffit de se
remémorer la première alliance du droit
avec l'Etat, celle qui enfanta la cité
de Pallas au VIIIe siècle avant notre
ère. Il est revenu à Athènes de retirer
les assassins des mains vengeresses des
familles des victimes et de substituer
la colère de lois alors sans pitié à la
fureur souvent impuissante des
particuliers aux bras inégalement armés.
L'Etat d'un côté et un droit pénal
encore sauvage de l'autre se sont voulus
des fleuves parallèles, complices et
délivrés de la peur; et l'on a vu leurs
eaux mêler le souci de l'intérêt général
le plus originel aux exigences d'une
répression demeurée barbare. Nous sommes
les descendants de la mutation la plus
inaugurale du sang des sociétés; et
c'est cet héritage d'une hémoglobine à
la fois civilisatrice et meurtrière qui
nous fait demander aux régisseurs des
ambigüités et des indécisions du sexe
s'ils obéissent encore à la passion de
leurs prédécesseurs de défendre le bien
commun.
Car le législateur actuel entend enivrer
les citoyens d'une odeur inhabituelle et
malsaine. Les peuples ne savent plus
comment changer les effluves de la loi
en miel de l'intérêt général. Les
élytres de Solon et de Lycurgue ont
vieilli. Les voici devenus habiles à
faire vrombir des senteurs nocives à
leur reproduction naturelle. Est-il une
question qui mette davantage la
pathologie des nations sur la balance de
leur épuisement politique que celle de
savoir si leur classe dirigeante demeure
au service de la ruche ou seulement des
intérêts à court terme des essaims aux
antennes ennemies des fleurs? Dans ce
cas, il faut se demander si les nouveaux
chefs des cités se sont interrogés sur
les effets pervers de leurs parfums.
Qu'adviendra-t-il de la vie quotidienne
des diverses catégories d'Adams et d'Eves
embarquées, par les caprices de la
biologie dans une tempête des
chromosomes.
Exemple:
qu'en sera-t-il des accouplements
actuellement taxés d'incestueux par tous
les législateurs de la reproduction
humaine? On sait que, dans les dynasties
de la haute Egypte, les unions
conjugales entre frères et sœurs étaient
monnaie courante. Quelques siècles plus
tard, Xénophon, puis Quinte-Curce
racontent qu'à Babylone l'épouse du
grand-roi pouvait se trouver fécondée
par son fils aîné. En France, la
parturition chrétienne a longtemps
recouru aux mariages consanguins à la
cour, et cela au nom même de la
monarchie de droit divin, parce qu'on
les jugeait indispensables à la
préservation d'un trésor précieux, celui
de la pureté du "sang bleu" des
Capétiens et de toute l'aristocratie
issue de Clovis - car ce sang immortel
n'était autre, croyait-on, que celui
dont les artères du fils de Dieu avaient
canalisé la coulée jusque sur la croix,
puis dans le ciel de l' éternité du
ressuscité. La découverte des ravages de
la consanguinité des époux sur le
capital génétique du dauphin a été trop
tardive pour faire connaître à temps
l'origine biologique de la progression
des malformations physiques des
héritiers du trône. Quant à la
prohibition fort ancienne, et d'origine
céleste, elle aussi, de l'inceste à
Athènes, elle résultait de
l'observation, au sein des monarchies
terriennes, de l'évolution
malencontreuse des progénitures royales
de ce type. Aussi le mariage d'Œdipe
avec sa mère avait-il été interprété
comme une vengeance terrifiante, mais
juste, des dieux outragés - dans
Œdipe à Colonne, Sophocle sera
le premier à ébranler la croyance à la
responsabilité pénale des victimes d'une
fatalité aveugle.
11- Une nouvelle
littérature fantastique
Pourquoi cette apparente digression sur
l'anarchie sexuelle dont la nature a
frappé le genre humain? Parce que les
dangers génétiques attachés à la
procréation coupable d'autrefois se
trouvent entièrement écartés par l'innocentement
massif et incontrôlé des mariages
artificiellement scellés entre deux
hommes ou entre deux femmes. La science
biologique du XXIe siècle laissera
nécessairement le champ libre à la
prolifération des unions conjugales
entre l'oncle et le neveu, le père et
son fils, la mère et sa fille, des
frères ou des sœurs, jumeaux ou non.
Dans les décombres des civilisations
fondées sur la famille hétérosexuelle
depuis la nuit des temps, comment le
législateur demeurerait-il motivé par le
seul souci du bien commun, dès lors que,
sur toute la terre, l'appât de la
victoire électorale de tel ou tel parti
sera devenu l'enjeu central de la
politique des peuples et des nations
démocratiques?
Qui peut croire que les démagogues de
demain rejetteront le vivier d'Uranus?
On n'a pas besoin du roman futuriste
pour savoir que ce gisement sera
exploité. Le législateur, réveillé en
sursaut, prendra-t-il alors seulement
connaissance des conclusions des
spécialistes de l'équilibre psychique
des enfants adoptés par les couples les
plus monstrueux? Mais comment interdire
des mariages incestueux de ce type si
leur stérilité garantie protège la
société du danger de la consanguinité ?
Borges disait que la théologie
ressortissait à la littérature
fantastique. L'invasion de parfums
enivrants dans le jardin du fabuleux des
démocraties érotisées par les floralies
du mariage universel ouvrira le roman
sentimental au fantasmagorique amoureux
dans la République des Lettres.
Mais si
le Conseil constitutionnel se réveillait
pour découvrir la légèreté d'esprit du
législateur et son ignorance du genre
humain et s'il en concluait in
extremis qu'une loi ne saurait
régler négligemment et comme en passant
- donc à titre collatéral - le sort de
milliers d'enfants en bas âge, comment
argumenterait-il alors qu'une fraction
du corps électoral de la génération
précédente lui coupera la parole. Car
elle bénéficiera d'une promotion
politique irréversible, et cela en
raison même de sa singularité
biologique; et elle profitera d'une
position stratégique privilégiée pour
jouer un rôle décisif dans la récolte
des moissons électorales?
En 1542,
le Conseil constitutionnel d'une
monarchie branchée sur le ciel aurait eu
le choix, ou bien de défendre les
syllogismes de droit divin qui fondent
les religions dites révélées sur
l'autorité d'une catéchèse du vrai et du
faux, ou bien d'examiner à la loupe les
preuves dites physiques de l'astronomie
de Copernic. De même, il sera demandé au
Conseil constitutionnel d'aujourd'hui
d'obéir à son devoir d'examiner à l'œil
nu l'argumentation scientifique des
spécialistes de la psycho-pathologie de
l'enfance et de dire clairement si, dans
un Etat laïc, l'exécutif est autorisé à
promulguer une loi sans se justifier en
rien ni devant le tribunal de
l'anthropologie critique, ni devant
celui de la sociologie, ni devant celui
de la psychanalyse, ni devant celui de
la mémoire historique. Comment une
République fondée, sur les apanages de
la pensée rationnelle depuis 1789
soustrairait-elle sa législation tout
ensemble aux verdicts des autels
d'autrefois et à ceux de la science
d'aujourd'hui - sauf à jeter aux
oubliettes le fondement même de la
constitutionnalité des lois de la
République, à savoir l'alliance de la
politique avec la pensée et de la
démocratie avec la science?
12 -
La prosopopée des lois
- "Sache que l'Etat tombé dans l'absurde
et auquel tu devrais servir d'œil de
lynx nous ligote à un sceptre ennemi de
la nature des lois, sache qu'un tyran
aveugle et dur d'oreilles a jailli en
armes des urnes de la Liberté, de la
Justice et du Droit, sache que ce tyran
exige de nous que nous remettions tout
palpitants les enfants du pays entre les
mains des couples du même sexe. Dis à
cet Etat en folie, dis à ce despote du
grotesque, dis à cette démocratie de
Polyphème qu'il ne nous livrera pas sans
résistance à un propriétaire minoritaire
de la législation du pays, dis à cet
Etat qu'aucun tyran n'avait imaginé
d'augmenter le nombre de ses électeurs
au prix de notre asservissement au désir
d'enfants de quelques-uns, dis à cet
Etat que nous ne nous laisserons pas
asservir au sceptre aveugle et muet dont
il est devenu l'otage, dis à cet Etat
que la tyrannie de ses songes ne fera
pas passer le suffrage du peuple
français sous les fourches caudines
d'une démence ridicule, dis à l'Etat
d'Uranus qu'on ne vassalise pas
l'immense majorité des élus de la nation
au nom du sexe en gloire de
quelques-uns, dis à cet Etat que
l'Assemblée et le Sénat ne laisseront
pas garrotter la jeunesse à un caprice
de la nature répertorié et légitimé dans
son ordre depuis des millénaires, dis à
cet Etat que le droit civil n'est pas l'
otage d'une déviance enfin
déculpabilisée, dis à cet Etat que les
lois de la République sont à l'abri de
l'errance et que nous attendons de toi
que tu répondes au rang et à la grandeur
de ta vocation, dis à cet Etat de quel
sommet de l'intelligence et de la raison
de la France tu armes ta sagesse et ta
voix."
Quel spectacle que celui de la rencontre
des démocraties avec l'intelligence et
le cœur de tout le genre humain! Il est
des évènements oraculaires par nature.
L'histoire des civilisations
prendrait-elle parfois rendez-vous avec
sa propre image réfléchie dans son
miroir? Alors les lois de la République
ne sont plus des figures de style, des
effigies trompeuses, des silhouettes
réduites à des ombres dans la caverne,
mais des récits symboliques. Puisse le
langage des signes et du sens de la
politique redonner à la France la voix
et les armes de l'intelligence.
Le 18 mai 2013
Reçu de l'auteur
pour publication
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