La classe politique française compte
dans son enceinte une frange de quelque
vingt mille têtes averties des règles
qui régissent la politique
internationale. Face à cette caste, la
masse de la population, comme l'a
souligné M. Hubert Védrine, est faite
d'enfants auxquels les grandes personnes
n'ont pas à communiquer des
renseignements qu'ils ne comprendraient
pas et qui ne les intéresseraient en
rien si l'on tentait de leur en
expliquer les enjeux.
Mais entre cette aristocratie intéressée
à demeurer motus et bouche cousue, d'un
côté, et, de l'autre, une masse qu'il
serait absurde d'initier aux affaires du
monde, il existe une classe sociale
qu'on appelait autrefois le "grand
public cultivé". C'est à elle que je
m'adresse depuis douze ans sur ce site.
Mais le statut de cette couche de la
population a changé : au XIXe siècle,
elle lisait Renan, parce que la vie
bucolique de Jésus répondait à la fois
aux séquelles de l'esprit du siècle des
Lumières et aux écologistes de l'époque,
les rêveurs rousseauistes, qui mettaient
les sacrilèges des encyclopédistes à
l'eau de rose du petit Trianon de
Marie-Antoinette.
Et pourtant, des
légions nouvelles sont prêtes à entrer
dans l'arène de la culture de notre
temps - celles qui ne demandent qu'à y
voir plus clair sur l'échiquier de la
politique et de l'histoire du monde.
Car, de même que Voltaire s'adressait à
une bourgeoisie proche de briser les
chaînes théologiques qui enserraient
l'univers, le XXIe siècle attend
l'ouverture des vannes d'une autre
révolution planétaire, celle qui
ouvrirait les esprits à la connaissance
de la politique des grands Etats; et
comme la mappemonde rapetisse et que
l'Europe se sait progressivement éjectée
de l'histoire des Titans, je puis
m'adresser à un public virtuel, mais
avide d'ouvrir les yeux et les oreilles
sur ce qui se passe réellement sur notre
astéroïde.
Quelles sont les potentialités
intellectuelles d'une armée d'un
demi-million de Français ardents à
donner un nouveau scalpel au siècle des
philosophes? Il existe encore une
jeunesse de cinq cent mille enfants que
leur formation scolaire initie quelque
peu au latin. Ceux-là ne répugnent ni à
rencontrer, ici ou là, une citation de
Cicéron, de César ou de Tacite dans mes
analyses, ni à lire une langue ennemie
de la fausse clarté des grands
journalistes, qui masquent leurs
présupposés idéologiques sous la parure
d'une componction semi universitaire.
Mais surtout, la politique et l'histoire
attendent un recul de la réflexion
différent de celui de la raison
française forgée depuis le XVIe siècle.
Celle-ci se voulait frappée sur
l'enclume d'une Renaissance complaisante
à réconcilier le discours scientifique
avec des dogmes chrétiens de moins en
moins "révélés". Mais, de nos jours,
l'Europe moribonde a intérêt à sombrer à
l'écoute d'une distanciation
anthropologique nouvelle à l'égard du
genre humain. Il est des
engloutissements élévatoires.
Dans le texte ci-dessous, je tente de
faire débarquer un acteur nouveau et
omniprésent depuis longtemps sur la
scène demande: Israël. Quand une pièce
de théâtre tente d'escamoter sur les
planches le protagoniste même de la
pièce, le spectateur demande de s'y
retrouver dans un scénario dont on lui
cache le déroulement.
Un tournant de la
géopolitique
Depuis près d'un an, je m'abstiens de
poursuivre sur ce site la série de mes
spectrographies anthropologiques du
printemps arabe que j'avais inaugurées à
l'heure de la révolution de Tunis en
2011. Cette interruption momentanée de
mes spectrographies n'est nullement due
à l'épuisement de l'évènement en de
nombreux ruisselets, mais, tout au
contraire, à la fécondité même d'un coup
de tonnerre qui ne cesse de se révéler
tellement riche de sens qu'il m'a fallu
attendre quelques mois pour que
l'abondance de la récolte me permît
d'éviter des engrangements
méthodologiques provisoires, partiels et
précipités.
Mais il est évident que la guerre de
Syrie est une guerre juive et qu'elle
placera dans quelques semaines la
politique d'expansion territoriale
d'Israël au cœur de la géopolitique; il
est non moins évident que l'union entre
le Brésil, la Russie, la Chine, l'Inde
et l'Afrique du Sud, d'un côté et
l'alliance des USA et de leurs
satellites européens avec Israël
scindera la planète en deux parties; il
est évident, enfin, que la question de
savoir qui pilote notre astéroïde va se
situer au centre de l'observation
anthropologique nouvelle du genre
humain. La distanciation
post-darwinienne du regard de la raison
scientifique de demain sur la politique
et sur l'histoire de notre espèce se
prépare à Ankara, au Caire et à Tunis.
2 - La démocratie
et la philosophie
J'avais
explicité, dès 2002, le branchement
originel de la démocratie sur la
philosophie socratique, donc critique et
sur le recul anthropologique explosif
qu'appelle notre temps. Il y a
vingt-cinq siècles, disais-je, la
démocratie a permis à la science de la
raison de préciser l'incompatibilité de
la déflagration philosophique avec le
principe fondateur de la mollesse
démocratique, selon lequel les majorités
baigneraient dans la vérité en vertu de
leur nature. Platon combat la sottise de
la croyance en un si grand prodige : un
seul homme qui pense juste a toujours et
nécessairement raison face à des
centaines d'ignorants auto-miraculés par
leurs faux raisonneurs. Rien de plus
erroné que l'adage de Descartes selon
lequel le bon sens serait "la vertu
la mieux partagée".
Mais c'est à ses dépens que Socrate a
bien vite compris que si les savants et
les logiciens demeurent évidemment
minoritaires dans la cité et si la
philosophie serait rendue irrationnelle
en son fondement et à jamais si les
masses jugeaient droit par définition,
il serait non moins irrationnel d'en
conclure que les minorités seraient
instruites de naissance et qu'elles
emprunteraient spontanément le droit
chemin: après la défaire navale d'Aegos
Potamos, Athènes connut la thérapeutique
des Trente Tyrans, et ce fut au péril de
sa vie que Socrate s'opposa au faux
remède du despotisme.
Du coup,
la réflexion médicale qu'on appelle la
philosophie s'est vue contrainte de
suivre un chemin beaucoup plus sinueux
de sa thérapeutique, mais dont les
lacets nous conduisent rapidement à
l'anthropologie de l'histoire que j'ai
évoquée plus haut. Car, à la théorie de
Montesquieu selon laquelle tous les
régimes politiques se ramèneraient à
trois modèles seulement, les monarchies,
les oligarchies et les démocraties, il
vaut mieux en revenir à la formule
chimique de Cicéron, qui préconisait un
savant dosage de leurs ingrédients
respectifs, parce que les royautés
conduisent au despotisme, les
oligarchies aux factions et les
démocraties aux troubles et à la
confusion. Existit ex rege dominus,
ex optimatibus factio, ex populo turba
et confusio. (Rep.1, 45, 69)
3 - Tout corps
collectif s'auto- totémise
Cette classification nous conduit tout
droit à une première interprétation
anthropologique du printemps arabe,
parce qu'elle place exclusivement au
fondement de tout ordre public le
pouvoir qu'une minorité conquiert avec
prudence et qu'elle impose en douceur à
une majorité flottante , celui de rendre
une population provisoirement
consentante au sage exercice d'une
autorité toujours indispensable. La
monarchie entraîne l'adhésion corps et
âme des sujets à la légitimité céleste
d'un roi, l'oligarchie repose sur le
consentement général de la cité à
l'autorité de quelques-uns et la
majorité démocratique n'est jamais que
l'expression d'une forme incontestée du
règne paisible d'une minorité de
dirigeants jugés momentanément
acceptables, donc provisoirement tenus
pour persuasifs.
Mais si ce sont toujours et partout les
masses qui détiennent, en réalité, le
pouvoir politique, comme la Turquie
vient encore de le démontrer, la
question centrale que le printemps arabe
posera à une politologie enfin
universelle sera de nature
anthropologique au premier chef: il
s'agit de rien moins que de savoir
comment il se fait que diverses
minorités dirigeantes parviennent tant
bien que mal et toujours sporadiquement
à se faire approuver ou applaudir par la
foule. Or, ce phénomène extraordinaire
repose sur l'automatisme d'un
dédoublement psychique des masses. D'un
côté, leur approbation cahin caha de la
politique de leurs élites ne ressortit
nullement à la magie du décompte des
voix: ce n'est pas un sortilège de
l'arithmétique qui fonde la puissance
des majorités, mais le prodige de la
métamorphose spontanée et inconsciente
du plus grand nombre en un personnage
cérébral nanti un instant à ses propres
yeux d'un prestige auto-sacralisé.
Les majorités démocratiques se changent
bientôt dans les têtes en une instance
surréelle, sinon surnaturelle, parce que
l'animal au cerveau schizoïde obéit à un
instinct de conservation inné et qui
fonde toute sa politique, à savoir la
métamorphose affichée ou subreptice d'un
acteur public en une idole déférente à
l'égard de sa propre masse psychique et
respectueuse de son rayonnement
transfigurant. Un hiératisme éphémère,
mais ensorcelant des identités
collectives se révèle donc le fondement
anthropologique universel de la
politique et son deus ex machina le plus
originel.
4 - La théologie
des démocraties
Parmi les
théoriciens des dynasties dites de droit
divin, ce principe n'est pas devenu
pleinement conscient de sa nature
spécifique et de son efficacité axiale.
Et pourtant, les monarchies
constitutionnelles, donc démocratisées,
se fondent à leur tour sur l'autorité du
ciel de l'endroit: le roi d'Angleterre
porte la couronne papale de
l'anglicanisme, le roi de Suède ou du
Danemark celle du luthéranisme - il
n'est pas de trône qui ne s'entoure de
thaumaturges d'une Eglise dont les
dogmes se transmettent sans examen d'une
génération à l'autre. Il en est de même
des oligarchies, qui ne se rendent
héréditaires, donc inamovibles qu'à
l'école d'une cosmologie proclamée
immuable. Casanova a été enfermé dans la
prison dite "des plombs" de Venise parce
que sa vie libertine outrageait le
catholicisme inébranlable et dont les
doges de Venise s'auréolaient de père en
fils.
Pourquoi les
sociétés humaines transportent-elles
leur surmoi sacré sur leurs épaules
comme l'escargot sa coquille sur son
dos? Parce que le champ du regard dont
bénéficie cet animal le contraint
d'habiter et de peupler le vide qui
l'enveloppe - aussi le remplit-il des
effigies fantastiques qui lui permettent
de vivifier la distance fabuleuse qui le
sépare irrémédiablement de son propre
corps. L'homme n'est pas le seul animal
né la peur au ventre, mais le seul qui
exorcise son épouvante à remplir le vide
et le silence de l'infini de sa propre
effigie éternisée.
Mais
l'auto-sanctification qui chapeaute les
démocraties laïques est la plus
frappante de toutes, parce que ce régime
politique invoque une raison aussi
onirique que celle des théologies
irrévocables qu'il prétend réfuter: le
mythe de la Liberté exerce l'autorité
surréelle d'une instance religieuse. Le
principal moteur psychobiologique de son
immortalité lui inspire une croisade
langagière: le concept de démocratie et
sa vocation apostolique innée enrobent
une identité collective mythifiée par
son verbe. La mission métamorphosante
attribuée à quelques vocables leur
enjoint de convertir le monde entier non
seulement sur le modèle messianique des
religions du salut, mais à l'imitation
d'un vocabulaire censé véhiculer une
délivrance. La parole démocratique
incruste dans les cerveaux un monde
rédempteur, un paradis des idéalités
collectives à conquérir en imagination.
5 - La
désacralisation israélienne
La première erreur du printemps tunisien
n'est pas seulement d'avoir ignoré les
fondements anthropologiques de la
politique mondiale - à savoir,
l'auto-sacralisation des majorités
cérébrales - mais de s'être imaginé que,
dans les nations dans lesquelles tous
les esprits se trouvent branchés dès le
berceau sur une théologie, la
rationalisation du monde par
l'intercession des bienfaits cérébraux
que le monde démocratique est censé
distribuer pourrait devenir majoritaire,
donc convaincante.
L'auto-sanctification collective ne se
produit pas sans coup férir: il
suffisait, pensaient-on à Tunis, les
Tunisiens, d'opposer aux partis
islamiques un front uni, donc composé
d'individus censés penser par eux-mêmes.
Mais cette minorité n'avait aucune
chance de jamais remporter une victoire
électorale face à des cerveaux
construits sur le modèle théologique. En
France, il aura suffi à l'Eglise
catholique du XIXe siècle de feindre son
ralliement au régime démocratique pour
que la majorité populaire devînt
l'assise nouvelle d'une prétendue
"démocratie chrétienne", alors qu'un
christianisme converti à la démocratie
ne recevrait plus ses convictions et ses
directives de l'autorité de son ciel, ce
qui en ferait un carré rond. Les
démocraties islamiques sont aussi peu
fondées sur une auto-sacralisation de
type démocratique des majorités que le
régime de Louis-Philippe ou de Napoléon
III.
C'est pourquoi le génie de la
destruction des identités collectives et
magiques d'un Georges Soros est allé
droit aux sources psychobiologiques du
sacré. C'est face à l'autel d'une église
russe que les "Femen" salariées par ce
milliardaire juif et d'origine hongroise
se sont d'abord exposées à demi-nues,
c'est sous la voûte d'une église
allemande qu'elles se sont ensuite
présentées les seins à l'air, c'est dans
l'abside de la cathédrale Notre-Dame de
Paris qu'elles ont poursuivi leur
tentative, certes infantile, de
désacraliser le monde, c'est dans les
rues de Tunis qu'elles se sont
présentées dénudées jusqu'à mi-corps.
6 - La nudité et
le sacré
Le vêtement est le
signe distinctif de la bête
universalisée par son langage; si vous
la déshabillez en public, vous la privez
des apprêts et des apanages de son
identité focalisée et centralisée par
des divinités. Mais la sanctification de
la nudité est auto-sacralisante à son
tour.
La sculpture de la
Grèce antique n'était pas fondée sur un
réalisme d'anatomistes, parce qu'une
statue ne représentait jamais le corps
de tel individu, mais un corps
universalisé par l'idée de perfection et
d'harmonie cosmique. Ce sont les Romains
qui ont individualisé des visages et
habillé des corps désacralisés. Pour les
Grecs, la recherche de la vérité visait
à conquérir l'universel et l'universel
ne reposait pas sur l'abstrait, mais sur
la divinisation de l'idée de beauté
appliquée à des corps parfaits. On
sanctifiait une anatomie surréelle
idéalisée et purifiée.
Les
Femen sont donc profanatrices du sacré
non point par le spectacle de leur
nudité, mais parce qu'il s'agit d'une
nudité triviale et qui individualise une
anatomie médiocre. C'est la vulgarité
qui salit le sacré islamique ou
chrétien, parce qu'elle souille la
notion même de beauté, qui est
métaphysique ou n'est pas. Tous les
créateurs savent qu'ils n'ont pas
rendez-vous avec la beauté, mais avec la
vérité et que la vérité n'a qu'un seul
moyen d'expression authentique, la
beauté. Au spectacle des plus "belles"
victoire de Bobby Fischer au championnat
du monde des échecs de Reykjavik en
1972, la presse profane elle-même avait
salué d'un seul élan le "Mozart des
échecs", tellement son génie du jeu
répondait à la forme mozartienne de
l'alliance de la vérité avec la beauté.
C'est
pourquoi la Renaissance a pu perpétuer
la tradition grecque du nu dans la
peinture chrétienne. Au XVIIIe encore,
Pigalle avait sculpté Voltaire nu.
C'était une commande des
encyclopédistes, mais il était absurde
d'individualiser le corps d'un
vieillard. C'est que le nu était déjà
devenu une convention stérile de l'art
pictural européen. Il en est résulté un
débat fort embarrassé, jusqu'à ce que le
patriarche de Ferney tranchât en faveur
de Pigalle. Nu ou habillé, disait-il,
c'était le même Voltaire. Quel Voltaire?
Si l'auteur de Candide
revenait parmi nous, sans doute
dirait-il qu'il ne suffit pas de se
déshabiller en public pour devenir
pensant.
Sous les dehors d'un
combat universel pour une prétendue
liberté politique en soi, Soros réserve
à Israël l'exclusivité du droit de
revendiquer son identité collective à la
fois sacralisée par son messianisme inné
et guerrière en ce bas monde. Mais ni la
politologie russe, ni celle des
démocraties occidentales et encore moins
celle de l'islam ne disposent d'une
anthropologie en mesure de rendre compte
des alliances de l'art avec le surréel
religieux, donc de scruter les secrets
psychobiologiques dont témoignent les
diverses rencontres que la politique
mondiale ou locale conclut avec le
"divin", donc avec les modulations
territoriales du religieux.
7 - Le nucléaire,
une arme anachronique
Le second volet de
l'interprétation anthropologique du
printemps arabe et de sa surréalité
spécifique illustre l'évidence que la
paralysie méthodologique qui frappe des
sciences humaines encore privées d'une
philosophie de la transcendance de
l'humain a permis à Israël de débarquer
corporellement sur une scène
internationale eschatologisée à son
profit. Avant la guerre de Syrie, la
position stratégique qu'occupait ce
peuple minuscule sur la scène du rêve
était délibérément ignorée ou passée
craintivement sous silence. Mais à
partir de l'instant où il devenait
impératif, pour ce petit Etat à la fois
messianique et guerrier, de présenter la
guerre comme la continuation logique du
songe et de l'élan politique de type
démocratique né à Tunis il y a deux ans,
des obstacles nouveaux et immenses se
présentaient fatalement à l'expansion
coloniale de ce peuple religieux en
Cisjordanie.
On connaît l'axe
central de la croisade dite
"démocratique" et "libératrice" d'Israël
au Moyen Orient: il s'agit de détourner
le plus durablement possible l'attention
de la planète de la conquête
militaro-sacrée de la Cisjordanie. Pour
cela, il est indispensable de diaboliser
l'Iran. Mais, du coup, la difficulté
internationale devient celle de
perpétuer la sotte crédibilité de
l'efficacité de l'arme nucléaire dans
les esprits, alors que, depuis plus de
soixante cinq ans, les états-majors du
monde entier savent fort bien que la
bombe atomique n'est pas et n'a jamais
été une arme de combat et que le
prestige diplomatique de plus en plus
désuet qu'elle continue de nourrir ici
ou là dans les imaginations repose sur
le vieux mythe de l'apocalypse biblique.
Si le nucléaire était une arme de
guerre, le Pakistan, qui la possède, en
menacerait les Etats-Unis, qui ne
cessent de violer son espace aérien et
d'y assassiner impunément des centaines
de civils - on sait que les drones
frappent en aveugles. Mais un enfant de
dix ans comprend que deux matamores du
suicide se neutralisent nécessairement
et qu'à Hiroshima, les Etats-Unis
disposaient du monopole de la foudre
exterminatrice. Dieu lui-même a perdu
l'arme de la dissuasionn par la mort.
8 - Le mythe
démocratique et la politique
C'est dans ce contexte que le printemps
arabe a pris, depuis deux ans ,une place
de plus en plus focale dans
l'ébranlement de la foi en un
messianisme israélien supposé au service
du salut du monde. Comment feindre de
défendre le réveil politique de l'islam
au nom de la défense des idéaux de la
démocratie mondiale si, non seulement la
branche des terroristes d'Allah engagée
sur le modèle des guerres saintes du
Moyen Age contre le régime du Président
Bachar el Assad - et cela à partir de
l'Arabie Saoudite, d'autres pays du
Golfe, de Turquie et d'Europe - n'est
nullement inspirée par l'universalisme
pseudo séraphique des démocraties
apostoliques, mais par la branche
sunnite de la religion du Coran et si,
de surcroît, tout le monde voit clair
comme le jour qu'il ne s'agit nullement,
pour les stratèges aux aguets à
Tel-Aviv, de verser des torrents de
larmes rédemptrices sur le peuple
syrien, mais seulement de couper les
liens de la Syrie avec l'Iran,
d'étouffer le Hezbollah et d'assurer le
passage du gazoduc depuis le Qatar
jusqu'à Homs, donc de poursuivre à
marches forcées la colonisation
salvifique de la Cisjordanie et la
conquête célestiforme de Jérusalem
maison par maison - ainsi que de
consolider, au passage, l'annexion
"patriotique" du Golan en 1978, alors
que non seulement aucune de ces
conquêtes guerrières n'est légitimable
par le droit international, mais
qu'elles se trouvent expressément
invalidées par des dizaines de décisions
solennelles des Nations-Unies auxquelles
les Etats-Unis ont opposé un veto non
moins messianique que celui d'Israël? De
plus l'élévation officielle de la
Palestine au rang d'un "Etat
observateur" sur le modèle du Vatican ne
répond en rien à l'affichage de la
charité internationale d'Israël et fait
couler des pleurs amers à Tel Aviv.
9 - Israël au
pays des merveilles
Comment l'expansion territoriale
continue d'Israël peut-elle paraître
irrépressible depuis soixante cinq ans
sans jamais rencontrer d'obstacle
décisif à sa perpétuation? Certes, aucun
organe de presse et aucun média
européens n'osent porter un regard de
haut et de loin sur l'échiquier réel de
la politique internationale. On se
souvient qu'en 2007, M. Nicolas Sarkozy,
issu d'une famille juive de Salonique,
avait néanmoins tenté de nommer, à la
tête de la diplomatie française un
ancien Ministre socialiste des Affaires
étrangères, M. Hubert Védrine, mais
qu'il avait suffi de vingt-quatre heures
au Conseil représentatif des
institutions juives de France pour lui
faire annuler une nomination jugée
sacrilège par la communauté juive du
pays - et M. Nicolas Sarkozy avait nommé
sur l'heure M. Kouchner. On doit à la
judéité ardente et combattante de ce
Ministre l'enterrement de l'Union des
peuples riverains de la Méditerranée
dont la France nourrissait l'ambition
depuis deux décennies. Mais M. Kouchner
ne pouvait que tenter non seulement
d'attribuer à Israël une position
centrale, mais, en fait, de remettre à
ce pays le commandement central de cette
alliance au détriment de la France, ce
qui la rendait nécessairement
inacceptable par définition au monde
arabe. Puis M. Hollande, que le Conseil
représentatif des institutions juives de
France tient pour l'un des siens - on
attend des preuves - a aussitôt nommé M.
Fabius au Quai d'Orsay. On n'a jamais
entendu un seul mot sur la politique
internationale d'Israël dans la bouche
de ce ministre.
Et pourtant, le Vieux Continent n'est
pas un caisson étanche: des millions
d'Européens se branchent tous les jours
sur des sites russes ou arabes. Internet
a pris le relais mondial de radio
Londres sous l'occupation. De plus,
comme le rappelait M. Nicolas Maduro,
successeur de M. Hugo Chavez à la
présidence du Venezuela, l'Union du
Brésil, de la Russie, de l'Inde, de la
Chine et de l'Afrique du Sud face à
l'alliance indissoluble des Etats-Unis
et de ses satellites européens avec
Israël constitue une masse de sept
milliards d'yeux et d'oreilles. Comment,
dans ces conditions, décrypter le
scénario vétéro-testamentaire de la
pièce, comment passer derrière un rideau
si épais, comment observer la partie sur
son échiquier trans-évangélique? Des
décors solidement plantés et protégés
par des piquets de fer suffiraient-ils à
boucher la vue à la moitié du genre
humain?
10 - La
vassalisation de l'Amérique
Pour comprendre un phénomène
psychologique aussi extraordinaire, il
faut se souvenir de ce que Congrès
américain, qui rassemble les
représentants du Sénat - dont la
majorité est républicaine - et les élus
de la chambre des représentants, qui
penchent du côté des démocrates, le
Congrès, dis-je, a été acheté en
sous-main et voix par voix par le groupe
de pression d'Israël appelé The American
Israel Public Affairs Committee et que
la preuve de ce prodige a été apportée
sur le mode le plus spectaculaire sans
que la nouvelle eût fait la une de la
presse mondiale.
C'est ainsi qu'on a pu entendre M.
Netanyahou, chef du gouvernement
israélien, haranguer le Congrès sous les
yeux de toute la classe politique du
pays et face aux caméras des cinq
continents. Son discours, tout entier
dirigé contre la faiblesse de la
politique d'un Président des Etats-Unis
censé ne pas défendre suffisamment les
intérêts territoriaux d'Israël au Moyen
Orient, a bénéficié de cinquante sept
ovations debout, ce qui implique
nécessairement une mise en scène
minutieuse de la pièce, une direction à
la baguette et une orchestration
préparée de longue date dans les
coulisses du théâtre.
Il est non moins évident qu'un Président
des Etats-Unis ne saurait exercer les
prérogatives attachées à sa fonction
sous un tel asservissement de ses
responsabilités nationales - du reste,
M. Barack Obama a quitté le pays deux
jours durant afin de s'éviter le
spectacle d'une représentation
officialisée et en direct de la
vassalisation du pays au bénéfice d' une
puissance étrangère - mais l'humiliation
publique de l'autorité constitutionnelle
de la Maison Blanche et d'un suffrage
universel tragiquement tourné en
dérision à la face du monde ne saurait
se trouver soustraite au regard des
historiens et des politologues fidèles à
la méthode scientifique. Dans ces
conditions, comment expliquer les succès
diplomatiques inattendus que le spectre
de M. Barack Obama a néanmoins remportés
en Europe, alors que son autorité se
trouve diminuée à domicile de 97%?
Comment ce fantôme politique est-il
parvenu à paraître exercer normalement
les responsabilités attachées à sa
fonction?
11 - Le moteur
onirique de la géopolitique
Ce chemin de la réflexion
anthropologique nous reconduit par un
raccourci à la pesée des ressorts
psychobiologiques du printemps arabe;
car si les pouvoirs de comédie de M.
Barack Obama n'étaient pas oniriques,
donc crédibles en tant que mythologiques
par nature et fondés sur
l'auto-sanctification mécanique des
masses humaines, autrement dit, si ce
n'était pas un songe de croisade et
armé, précisément à ce titre, du sceptre
d'une Liberté tenue pour salvatrice qui
pilotait le messianisme international de
la démocratie, jamais M. Barack Obama ne
serait parvenu à mettre en marche
l'effigie du mythe délivreur
actuellement en service.
Or, avec l'aide de
son seul ministre des affaires
apostoliques - un ancien candidat à la
Maison Blanche, M. John Kerry - l'Europe
et le monde sont si bien entrés dans la
fiction selon laquelle il existerait un
Président des Etats-Unis présent en
chair et en os sur la scène de la
rédemption du monde, qu'on a vu M. Kerry
prendre plusieurs rendez-vous
gastronomiques avec M. Lavrov, Ministre
des affaires étrangères de la Russie,
l'un en Suède, l'autre en Suisse, un
troisième en France, sans que les
Ministres des affaires étrangères des
pays d'accueil fussent seulement conviés
à ces agapes à titre de figurants, sinon
pour le dessert et le café. Dans le même
temps, M. Barack Obama citait M. Erdogan
à comparaître devant son tribunal et le
sommait de cesser de livrer des armes
aux faux archanges d'une fausse
démocratie arabe censée en marche au nom
d'Allah à Damas. On connaît la suite.
Bien plus, avant même la victoire
militaire de M. Bachar Al Assad à
Qussair, M. Kerry parvenait à convertir
l'Allemagne, la Belgique, l'Autriche et
l'Italie à maintenir l'embargo des armes
et à se désolidariser du Conseil
représentatif des institutions juives de
France à Paris et de la City à Londres,
qui en demandaient ardemment la levée.
On sait que le gouvernement de Londres
est l'otage non seulement de la City,
mais de la Conservative Friends of
Israël, qui rassemble quatre-vingts pour
cent des députés conservateurs à la
chambre des Communes. M. Kerry plantait
en outre dans le pied d'Israël une épine
de taille en offrant au plus mauvais
moment un prêt de trois milliards de
dollars à l'Autorité palestinienne, ce
qui a contraint Tel-Aviv à demander des
"compensations", donc des concessions
politiques supplémentaires à Ramallah à
titre de garantie "pour la sécurité
d'Israël".
Pour la première fois, le sionisme du
Quai d'Orsay ridiculisait la France sur
la scène internationale - et un ancien
Ministre des Affaires étrangères, M.
Roland Dumas, le soulignait dans la
presse.
12 - Le génie
juif
Le résultat le plus évident du printemps
arabe inauguré à Tunis il y a deux ans,
sera de faciliter à l'anthropologie
politique de demain l'élaboration de sa
problématique et de sa méthode et de
faire comprendre à la scolastique de la
politologie d'école la véritable nature
de l'expansion d'Israël . Pour la
première fois, on aura observé sur le
vif et à plein temps la sophistique de
cet acteur sur la scène du monde; car, à
la suite d'un instant d'affolement de
cet Etat, qui s'est livré à un coup de
main aussi meurtrier qu'irréfléchi sur
la Syrie à la veille de l'intervention
inévitable du Hezbollah sur le champ de
bataille, il ne sera plus possible d'
éviter des radiographies de la bête
schizoïde qu'on appelle l'humanité et
dont l'encéphale mi-séraphique et
mi-réaliste s'engrène tour à tour sur le
monde réel et sur des mondes oniriques
qui le dédoublent. A la suite de
l'évasion continue de cet animal de la
zoologie qui lui a servi de berceau il y
a de cela quelque cent mille ans
seulement, il devient de plus en plus
impossible de recourir plus longtemps
aux schémas d'interprétation classiques
de la politique. Quels sont les
engrenages psychobiologiques qui
président à l'auto-sacralisation des
masses et qui les changent en
personnages plus ou moins mythiques à
leurs propres yeux?
C'est le ressort
central du mélange humain que M. Soros a
tenté de mettre en oeuvre: pour que le
mythe démocratique fonctionne pleinement
et devienne ultra-vaporeux, donc
totalement invertébré dans les têtes,
mais au profit exclusif de l'expansion
territoriale d'Israël, il faut dissoudre
au préalable les identités théologiques
actuelles, donc les faire sortir de
l'enceinte cérébrale qui freine leur
expansion dans le vide. Mais comment
anéantir le surnaturel conquérant qui
greffe l'islam sur la politique et sur
l'action? M. Biden, vice-président des
Etats-Unis et connu pour ses attaches
familiales avec Israël, a tenu à
souligner que le principe de dissolution
qu'inaugure le mariage entre hommes et
entre femmes et le droit, qui leur sera
accordé en Amérique à son tour,
d'acheter de moins en moins cher des
enfants encore couvés à haut prix dans
des ventres coûteusement loués à cette
fin, est une invention d'origine
israélienne et qu'il faut en attribuer
tout le mérite au seul génie juif.
13 - Le revers de
la médaille
Mais, du
coup, le revers de la médaille apparaît
en pleine lumière, tellement il est
évident qu'Israël se procure une lame à
double tranchant. Pour détruire les
identités nationales au profit exclusif
de celle d'Israël, il faut, certes,
s'attaquer aux fondements
anthropologiques de toutes les
collectivités humaines, qui s'auto-totémisent
spontanément dans un sacré théorisé,
donc canalisé par des théologies. Mais,
dans le même temps, la dissolution
psychique des peuples dans
l'évanouissement de leurs cosmologies
mythiques échoue à enfanter un désert
identitaire mondial et renforce, au
contraire, les peuples et les nations
dans la revendication tenace et
irrépressible de leur spécificité
psycho-cérébrale. La nature a horreur du
vide doctrinal. Quand le contribuable
français paie le "voyage de noces" en
Israël du premier couple homosexuel
national, tout le monde sent qu'une
réaction de rejet viscérale se prépare
dans les profondeurs contre un credo
officiel dissolvant.
Comment
Israël a-t-il pu se convaincre que
l'identité multi-millénaire de la
Palestine serait soluble en quelques
générations seulement et qu'un siècle
d'occupation militaire du pays suffira à
le changer en une masse décérébrée? Tout
le monde sait que l'expérience de
l'histoire démontre exactement le
contraire, à savoir que le temps se
révèle l'allié invincible des nations
écrasées en apparence. L'Algérie en
quête de son autonomie et de son
identité s'est forgée de 1830 à 1962,
l'Afrique du Sud ne s'est pas affaiblie,
mais fortifiée souterrainement au cours
de deux siècles de sa maturation
psychique sous le joug de l'Angleterre,
la Gaule et l'Espagne vaincues ont fait
naître deux langues nouvelles au cœur
même du latin, le Royaume chrétien de
Jérusalem, fondé par les croisés, s'est
libéré au terme de deux siècles de
combats et l'Espagne a mis plusieurs
siècles à chasser des Maures pourtant
hautement civilisateurs de son
territoire.
Pis que cela: ce ne
sont plus les élites - elles se montrent
achetables pendant des générations - qui
servent de fer de lance aux
retrouvailles des nations avec leur
souveraineté, ce sont les peuples
modernes eux-mêmes qui se forgent
désormais et à toute allure des élites
frappées sur l'enclume des moyens de
communication nouveaux qui leur assurent
l'instantanéité et l'ubiquité de leur
voix et de leur image. En Tunisie, en
Egypte, en Turquie, partout ce sont les
masses alertées en quelques secondes qui
deviennent subitement à elles-mêmes des
personnages à la fois vivants et
guerriers, conjointement vivants et
oniriques, parallèlement vivants et
mythologiques. Et pendant ce temps-là,
la greffe de l'Israël biblique sur la
Palestine se rabougrit et sèche sur
pied.
La semaine prochaine, je poserai la
question de savoir comment faire parler
la France de l'esprit.
Dernière minute:
avant dix jours, le rideau se lèvera sur
les vrais acteurs de la pièce.
Le 15 juin 2013
Reçu de l'auteur
pour publication
Le sommaire de Manuel de Diéguez
Les dernières mises à jour