Opinion
Egypte : une armée
formée et équipée par le Pentagone
Manlio Dinucci
La tribune des officiers
supérieurs lors des exercices Bright Star 05/06 à Moubarak
Military City.
L’armée égyptienne est formée et équipée par les Etats-Unis pour
mettre en oeuvre la paix séparée israélo-égyptienne
Vendredi 4 février 2011
La mise en image de la situation actuelle en Egypte par les
médias atlantistes assimile l’insurrection populaire à une
guerre civile et érige l’armée en arbitre. C’est évidemment
faux. Le régime du président Hosni Moubarak et son armée sont
les produits de la politique des Etats-Unis dans la région et de
leur soutien inconditionnel à Israël. L’image des chars
d’assaut qui surveillent les centres névralgiques du Caire,
entourés par la marée de manifestants, est emblématique. Ce sont
des M1A1 Abrams, les terribles tanks états-uniens de
dernière génération, qui sont fabriqués en Egypte sur la base
d’un accord de coproduction. Ils symbolisent à quel point les
Etats-Unis se sont engagés dans la construction des forces
armées égyptiennes et l’ampleur de la confiance qu’ils ont
accordée au régime de Moubarak. En trente ans, Washington lui a
fourni des aides militaires pour une valeur d’environ 60
milliards de dollars, selon les chiffres officiels, à quoi se
sont ajoutés d’autres financements secrets.
Actuellement le régime de Moubarak reçoit des USA environ 2
milliards de dollars annuels, se plaçant ainsi parmi les
principaux bénéficiaires après Israël. La majeure partie de
cette somme est dépensée dans l’achat d’armes états-uniennes.
Comme leur valeur dépasse la disponibilité financière du
gouvernement égyptien, celui-ci a accumulé une dette envers les
Etats-Unis. Mais Washington a été généreux : en 1990, pour
récompenser l’Egypte de sa participation à l’imminente guerre
contre l’Irak, il lui a accordé une remise de dette militaire de
7 milliards de dollars. Dix ans après, il lui a concédé un
crédit extraordinaire de 3,2 milliards de dollars pour la
modernisation des forces armées : celles-ci ont ainsi pu
acquérir 24 chasseurs-bombardiers F-16 de dernière
génération, 3 batteries de missiles Patriot et d’autres
systèmes d’armes avancés. Le Pentagone a en outre fourni aux
forces armées égyptiennes des armes qu’il a en excédent, ou qui
sont remplacées par d’autres de nouvelle génération, pour une
valeur annuelle de centaines de millions de dollars. En même
temps il a entraîné des officiers et des soldats égyptiens,
surtout des forces spéciales, en organisant tous les deux ans
l’opération Bright Star, une grande manœuvre qui se
déroule en Egypte avec la participation d’environ 25 000
militaires états-uniens.
De façon significative, dans les commandements établis par le
Pentagone à l’échelle mondiale, l’Egypte de Moubarak n’entre pas
dans le Commandement Afrique (AfriCom), mais a été détaché du
continent pour être annexé au Commandement Central (CentCom),
dont l’aire de responsabilité couvre le Proche-Orient pétrolier.
L’Egypte, explique le CentCom, « joue un rôle clé dans
l’exercice d’une influence stabilisatrice au Proche-Orient »,
en particulier pour « faire face à l’instabilité croissante
de Gaza ». Le CentCom continue donc à opérer en contact
étroit avec les forces égyptiennes pour « bloquer les envois
illicites d’armes aux extrémistes à Gaza, et pour empêcher que
l’instabilité de Gaza ne se propage en Egypte et au-delà ».
Le gouvernement égyptien, de fait, doit « faire face à une
menace extrémiste interne ». L’aide extérieure états-unienne
est donc « fondamentale pour renforcer le gouvernement
égyptien ».
L’US Army a formé les militaires
égyptiens aux combats de rue (ici lors des exercices à Mubarak
Military City).
Le soutien stratégique de l’Egypte à Israël interdit toute forme
de démocratie dans un pays où la population est majoritairement
opposée au projet sioniste. Il exige l’organisation par les
Etats-Unis d’une dictature militaire Dans ce tableau, le thème de la dernière manœuvre Bright
Star est significatif : « Des opérations militaires en
terrain urbain ». Dans la manœuvre, conduite en octobre 2009
sous la direction du Pentagone et avec la participation de
forces spéciales états-uniennes, des forces égyptiennes ont été
entraînées à combattre une guerre non pas dans le désert mais à
l’intérieur d’une grande métropole. La Bright Star s’est
déroulée dans la Moubarak Military City, le camp
militaire construit exprès pour cette manœuvre, à quoi on a
donné évidemment le nom du dictateur.
Tout est prévu, donc, pour affronter la « menace
extrémiste intérieure ». Sauf le fait que celle-ci a pris
les dimensions d’une insurrection populaire. Sauf le fait qu’on
ne sait pas comment vont se comporter ces militaires, en grande
partie conscrits, qui à bord des chars d’assaut états-uniens
made in Egypt, devraient assurer que l’Egypte, une fois
Moubarak déchu, reste dans la sphère d’influence états-unienne.
Manlio Dinucci, Géographe et géopolitologue.
Derniers ouvrages publiés :
Geograficamente. Per la Scuola media (3 vol.),
Zanichelli (2008) ;
Escalation. Anatomia della guerra infinita,
DeriveApprodi (2005).
Traduction
Marie-Ange Patrizio
Source
Il Manifesto (Italie)
Le sommaire du Réseau Voltaire
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