Regazéificateur offshore
Bombe flottante
pour des profits « spot »
Manlio
Dinucci
Jeudi 1er août 2013
La jeune fille regarde la mer, où il n’y
a rien en vue : « l’avenir est au-delà
de l’horizon », explique la société Olt
Offshore Lng Toscana dans son image
publicitaire. L’ « avenir » est le
méthanier regazéificateur flottant de
Gnl (gaz naturel liquéfié), arrivé hier
de Dubaï pour être amarré hors de vision
à 22 Kms de la côte entre Pise et
Livourne, où commencera son activité
commerciale cet automne.
Le navire, produit de la conversion d’un
gazier norvégien, est long de 300 mètres (trois terrains de foot), large de 50 mètres et haut de 26 mètres au-dessus de la
ligne de flottaison. Il contient quatre
énormes réservoirs sphériques d’une
capacité de plus de 137mille mètres3.
C’est là que sera transvasé depuis les
navires gaziers (chacun d’une capacité
de 65-115mille m3) le Gnl
refroidi à -160° C (pour en réduire 600
fois le volume), qui sera reporté à
l’état gazeux, en utilisant la chaleur
de l’eau de mer, et transporté à terre à
travers un gazoduc sous-marin de 30 Kms.
Le projet, promu par les administrations
de Pise et Livourne et soutenu par la Région Toscane (entièrement sous direction du
Partito democratico), aurait dû être
réalisé par Olt Energy Toscana, une
société formée par les institutions
locales. Mais, après diverses
métamorphoses, il est passé aux mains
d’une multinationale, dominée par deux
groupes qui détiennent 93,5% du
capital : E.On, cotée à la Bourse de Francfort, un des
plus grands groupes énergétiques privés
du monde, avec 70mille salariés en
Europe et en Amérique du nord, et un
chiffre d’affaires annuel de plus de 130
milliards d’euros ; le groupe Iren,
multi-utility énergétique coté à la Bourse Italienne,
structuré en une holding dirigée par
diverses sociétés responsables des
lignes de business. Un pourcentage
mineur est détenu par la société
norvégienne Golar Lng, du groupe
Fredriksen, propriétaire de la plus
grande flotte de pétroliers au monde.
La Olt Offshore Lng
Toscana, ainsi, n’est plus la société
qui a présenté le projet à l’origine,
reléguée à la marge avec seulement 3,5%
du capital, mais une multinationale qui
poursuit une stratégie mondiale. A la
différence des gazoducs, qui reposent
sur des accords intergouvernementaux
pluriannuels, les méthaniers
regazéificateurs flottants permettent
aux multinationales de circuler
librement pour se procurer la matière
première là où on peut obtenir les prix
les plus bas, y compris en sous-main,
dans des pays souvent dominés par des
élites corrompues et des dictatures
militaires. Comme l'expliquent les
porte-parole de Olt, « la tendance n’est
plus à souscrire des contrats à long
terme, mais des
spot », c’est-à-dire des contrats à
court terme, qui sont « plus
profitables ».
La retombée sur le territoire d’un
volume commercial de 400 millions
d’euros en vingt ans et la création de
125 emplois (dont seulement 25 en
embauche directe, les autres en
sous-traitance), promis par Olt, ne sont
que les miettes des profits que la
multinationale réalisera. Le méthanier
regazéificateur, à plein régime, a une
capacité productive annuelle de 3,7
milliards de m3. Et si les
ventes devaient être inférieures à
celles qui sont prévues, à cause de la
crise et de l’offre abondante de gaz sur
le marché, un parachute est prêt :
remboursement jusqu’à 71%, prévu par le
Tar (Tribunal administratif de région)
Lombardie, qui serait répercuté sur nos
factures.
Etant donnés les intérêts en jeu, il n’y
a rien d’étonnant à ce qu’Olt ait obtenu
toutes les certifications nécessaires
quant au respect de l’environnement et
de la sécurité, au détriment des faits.
Le méthanier regazéificateur pompera
chaque jour des centaines de millions de
litres d’eau, qui sera rejetée plus
froide en mer et avec une adjonction de
chlore, en polluant le Sanctuaire des
Cétacés (comme le dénonce Greenpeace).
On n’a pas encore expérimenté la
fiabilité de ce type de structure
flottante de regazéification qui, ancrée
par la proue à une tour d’amarrage, peut
pivoter à 360° selon le vent et le
mouvement des vagues pendant qu’elle
pompe du Gnl, par quatre bras mobiles,
dans le navire gazier. Etant dépourvu de
moteur, le navire doit être assisté par
des remorqueurs.
Selon Piero Angela -
La sfida del secolo : Energia, (Le défi
du siècle : Energie), Mondadori
2007- sur un navire gazier contenant
125mille m3 de Gnl un
accident « serait le plus catastrophique
qu’on puisse imaginer » : le gaz très
froid, au contact de l’eau de mer plus
chaude, commencerait à s’évaporer en
formant un nuage qui, en se mêlant à
l’air, créerait un mélange explosif ;
si, poussé par le vent, il arrivait sur
une ville, n’importe quelle étincelle le
ferait exploser, libérant une puissance
d’environ une mégatonne (un million de
tonnes de tolite), « d’une puissance
destructrice de l’ordre des bombes
atomiques » .
Pour prévenir les accidents,
la Capitainerie du port
de Livourne a installé autour du
méthanier regazéificateur une zone
d’interdiction totale de navigation,
d’un rayon de 2 milles marins, entourée
d’une zone de limitation de 4 milles et
d’une zone de préavis de 8 milles. Et,
même si on n’en parle pas, le méthanier
regazéificateur devra en même temps être
protégé d’éventuelles attaques
terroristes, provoquant une
militarisation ultérieure du territoire
où se trouve la base étasunienne de Camp
Darby.
Les recours contre le projet de
regazéificateur flottant, présentés par
Greenpeace et par le Comité de Livourne
et de Pise, ont été reçus en 2008 par le
Tribunal administratif régional. Olt
s’en est cependant contre fichu, en
continuant les travaux. Jusqu’à ce que,
en 2010, le Conseil d’Etat ait donné
raison à Olt, en déclarant les recours
irrecevables et/ou inadmissibles.
Edition de mercredi 31 juillet 2013 de
il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20130731/manip2pg/07/manip2pz/343850/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
Apostille de
comaguer (Comité
comprendre et
agir contre la
guerre, Marseille) :
Le projet de regazéificateur off shore
dont il est question dans cet article
est aujourd’hui le seul existant en
Europe. Qu’il soit à terre ou en mer un
regazéificateur flottant de gaz naturel
liquéfié est une installation dangereuse
classée
SEVESO catégorie II haute,
c'est-à-dire au niveau le plus dangereux
des installations industrielles. Le
transfert en pleine mer du gaz liquéfié
du navire transporteur au navire
stockeur ou s’effectue la
regazéification ajoute des risques
supplémentaires de fuite et de rupture
des canalisations de transfert du gaz
qui sont bien moindres quand le
transfert a lieu dans des installations
fixes à terre à partir d’un méthanier
correctement amarré à un quai. Il
faudra, comme le précise l’article, des
remorqueurs pour maintenir les deux
navires solidement à couple pendant tout
le transbordement.
L’installation est annoncée
approximativement à 22Kms de la côte,
c’est-à-dire à l’intérieur des eaux
territoriales italiennes (douze milles
marins soit 22,22 Kms de la côte).
L’Italie est largement approvisionnée en
gaz naturel par gazoducs depuis
la Russie,
la Libye et l’Algérie,
et elle dispose de deux installations
portuaires de regazéification l’une à
Porto Viro prés de Venise l’autre à
Panaglia prés de
La Spezia. Or il se
trouve qu’un projet d’extension de
Panaglia a fait l’objet de fortes
protestations populaires en raison de la
puissance destructrice potentielle de
l’explosion d’une unité de
regazéification. L’unité off shore loin
des regards peut avoir pour ses
promoteurs
l’avantage de faire oublier plus
facilement le danger et de ne pas
imaginer le tsunami que provoquerait
l’explosion en mer.
comaguer@orange.fr et
http://comaguer.over-blog.com/
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