L'art de la guerre
L'Italie dans le
business de guerre du F-35
Manlio
Dinucci, Tommaso Di Francesco
Vendredi 31 mai 2013
Il y a onze ans, le 30 mai 2002, nous
exposions dans
il manifesto dans quelle situation se trouvait amenée l’Italie en
adhérant au programme du Joint Strike
Fighter, le chasseur construit par la
firme Lockheed Martin (rebaptisé ensuite
F-35 Lightning parce que « comme la
foudre il frappe l’ennemi avec une force
destructive et de façon inattendue »).
La veille, on avait annoncé l’entrée des
principales industries aérospatiales
italiennes dans le programme Jsf, en
louant les avantages qu’il aurait
apportés en termes d’emploi et de gains.
Il était clair alors que dans un
secteur à haute-technologie, comme celui
de l’aérospatiale, l’augmentation de
postes de travail aurait été très
limitée et que, tandis que l’argent des
contrats serait entré dans les caisses
de sociétés privées, celui de l’achat
des chasseurs serait sorti des caisses
publiques. Il était dès lors prévisible
que le chasseur aurait coûté
beaucoup plus que prévu et qu’à ce coût
allait s’ajouter celui d’une centaine d’Eurofighter
Typhoon, que l’Italie s’était déjà
engagée à acheter.
Mais désormais la décision
politique avait été prise. C’était le
gouvernement D’Alema (centre-gauche,
NdT), le 23 décembre 1998, qui avait
signé le premier mémorandum d’accord
pour participer au programme Jsf. Dans
un style bipartisan parfait, l’honneur
de la deuxième place revint au
gouvernement Berlusconi (centre-droit, NdT) : ce fut l’amiral Di Paola, en habits de
directeur national des armements, qui,
le 24 juin 2002,
signa
au Pentagone l’accord qui engageait
l’Italie à participer au programme comme
partenaire de second rang. Il fut
perfectionné, en 2007, par le
gouvernement Prodi (centre-gauche, NdT). Et en 2009 ce fut de nouveau un gouvernement
Berlusconi qui délibéra l’achat de 131
chasseurs pour lequel on doit à la
vérité de dire qu’il avait déjà été
décidé par le gouvernement Prodi.
En 2012, pour démontrer que face
à la crise tout le monde doit se serrer
la ceinture, le gouvernement Monti a
décidé de « recalibrer » l’achat des
F-35 de 131 à 90 unités. La même
coalition bipartisane, qui avait
approuvé l’acquisition des chasseurs
dans savoir combien ils allaient coûter,
s’est félicité de l’épargne ainsi
obtenue, elle aussi non quantifiable, le
coût réel du chasseur restant dans les
nuages. Dans le budget 2013 du Pentagone
on prévoit un coût unitaire de 137
millions de dollars, mais il s’agit de
l’avion « nu » qui, une fois doté de
moteur et avionique, coûte beaucoup
plus. Comme admet le Pentagone même, en
11 années le coût du programme F-35
a
augmenté dans une moyenne journalière de
40 millions de dollars. En raison,
aussi, de continuels problèmes
techniques : on a découvert par exemple
que le « Foudre » est vulnérable à la
foudre, inconvénient dont la solution
nécessitera une grosse dépense
supplémentaire.
L’Italie veut acheter, en plus
des 60 chasseurs à décollage
conventionnel, 30 à décollage court et
atterrissage vertical, beaucoup plus
coûteux. Il faut en outre tenir compte
que, pour garder opérationnels 90 F-35,
on dépensera un milliard et demi de
dollars annuels. D’autres milliards
devront être dépensés pour les
modernisations et pour des systèmes
d’armes de plus en plus sophistiqués.
Sans parler de ce que coûtera, en termes
économiques, l’engagement des F-35 dans
des actions guerrières, du type de celle
de 2011 en Libye. Rester dans le
programme signifie donc signer un chèque
en blanc.
Chèque en blanc pas seulement du
point de vue financier. Les plus de
vingt industries impliquées –Alenia
Aeronautica, Galileo Avionica, Datamat
et Otomelara de Finmeccanica, et
d’autres dont Piaggio- deviennent des
départements de la « grande fabrique »
du F-35, qui aux Etats-Unis comprend
1 400 fournisseurs dans 46 Etats.
Sous la direction de Lockheed
Martin, qui ne concède à chaque
industrie que le
know how des parties de l’avion
qu’elle produit : à Alenia Aermacchi,
par exemple, celui de la production des
ailes dans les usines de Foggia (région
des Pouilles) et Nola (Naples), et de
Cameri (Novare). Le
know how total, surtout celui concernant le
software du chasseur, reste de la compétence exclusive de Lockheed.
Les industries italiennes contribueront
de ce fait à renforcer la prédominance
des industries aérospatiales
étasuniennes.
Les pilotes et les techniciens du
F-35 seront formés aux Etats-Unis et
seront en conséquence dépendants de la
US Air
Force plus que de l’aéronautique
italienne. De plus les F-35 « italiens »
seront intégrés dans le système C4
(commandement, contrôle, communications,
computer) Usa/Otan. Ils seront donc de
fait insérés dans la chaîne de
commandement du Pentagone. C’est
celui-ci qui décidera de leur
utilisation dans une guerre et leur
assignera les missions à accomplir. Il
faut ici rappeler que les 70-90 bombes
nucléaires étasuniennes, stockées à
Aviano et à Ghedi-Torre, seront
transformées en de nouvelles bombes
nucléaires à guidage de précision,
particulièrement adaptées aux nouveaux
chasseurs F-35.
Avec la participation au
programme F-35, l’Italie devient ainsi
encore plus dépendante de la puissance
étasunienne, de ses intérêts, de ses
politiques de guerre. Faire sortir
l’Italie du programme veut dire non
seulement épargner des milliards, à
investir dans des secteurs civils qui
créent du véritable emploi et de
meilleures conditions de vie, mais
affirmer, non pas en paroles mais dans
les faits, que la Constitution est
encore vivante.
Edition de vendredi 31 mai de
il
manifesto
http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20130531/manip2pg/03/manip2pz/341047/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
Communiqué transmis par l’auteur :
« Rome, 30 mai.
Le groupe interparlementaire pour la
paix a présenté une motion à la Chambre pour engager le
gouvernement à arrêter l’achat des 90
Joint strike fighter. Plus de 160
signatures, du Mouvement Cinque Stelle
et de Sinistra e libertà (Gauche et
liberté) mais aussi de 14 députés du
Partito democratico (Pd). C’est
l’intergroupe parlementaire pour la paix
qui soutient l’initiative, mais des
sources à Montecitorio (siège de
la Chambre des députés
italienne) font état de lourdes
pressions par les sommets du groupe Pd
qui ont rendu impossible la signature
d’au moins 20 autres démocrates
intéressés. Aucun des signataires Pd n’a
participé à la conférence de presse à
la Chambre pour la
présentation de la motion. »
Apostille de la traductrice :
Il faut préciser que, pendant la
dernière campagne électorale, les
signataires actuels de la motion contre
les F-35 ont presque totalement ignoré
le thème de la politique étrangère et
militaire italienne, et ceux déjà
présents au parlement ont quasiment tous
soutenu les guerres contre la Libye et actuellement contre
la Syrie. La
demande de ne pas acheter les F-35 est
donc pour eux largement inscrite dans
les rivalités internes pour la bataille
des fauteuils au parlement et dans la
tentative de gagner quelque consensus
chez les électeurs.
Le sommaire de Manlio Dinucci
Les dernières mises à jour
|