Syrie
Rapport de l'ONU :
de la vraisemblance des chiffres
et de la nature des violences
Louis Denghien
La
station-service touchée par une frappe
militaire mercredi à l’est de Damas :
utilisée par les rebelles, c’est un
objectif militaire. Au milieu des
populations civiles…
Jeudi 3 janvier
2013 Le bilan humain de la
crise syrienne présenté mercredi sous
les auspices de l’ONU est plus élevé,
avec 60 000 morts, que celui de l’OSDH,
mais les deux estimations présentent les
mêmes « vices de forme » :
-D’abord une précision un
rien surréaliste : le Haut commissariat
de l’ONU prétend avoir identifié 59 648
personnes tuées en Syrie entre mars 2011
et novembre 2012. Comment être si précis
quand presque toutes les catégories de
victimes sont l’enjeu de propagandes
adverses : le nombre de soldats et
policiers tués en service n’est pas le
même selon le gouvernement et l’OSDH.
Lequel OSDH continue d’escamoter la
plupart des combattants rebelles tués
dans la rubrique «
civils
» de ses bilans sous le mince prétexte
qu’ils ne sont pas des déserteurs de
l’armée.
Quid aussi des victimes civiles de
la rébellion, de plus en plus nombreuses
au cours de l’année écoulée ? Et où sont
dans ces totaux les combattants rebelles
venus de l’étranger, dont le nombre a
crû lui aussi exponentiellement en 2012
? Et les personnes disparues et/ou
enlevées ?
Où R.A.
Rahmane reconnait qu’il ne sait pas
grand chose
L’AFP
citait hier à ce sujet son principal «
fournisseur », Rami Abdel Rahmane. Le
patron de l’OSDH, qui a eu un
quasi-monopole, en France et en
Occident, des statistiques du conflit
syrien depuis son début, a eu cet
éclairage qui relativise toutes les
infos qu’il a fournies en une vingtaine
de mois à l’AFP
et aux autres : «
Les
rebelles et l’armée ne révèlent pas le
nombre de morts dans leurs rangs pour ne
pas porter un coup au moral des troupes«
. Le gouvernement syrien l’a fait
jusqu’à l’été 2012 et l’agence
Sana
rendait quotidiennement compte des
obsèques militaires jusqu’à la fin du
mois de juin. Depuis c’est le black-out
sur le sujet. Quant aux rebelles, les
pertes qu’ils infligeaient à l’armée
comme celles qu’ils subissaient étaient
d’une non fiabilité absolue, la
vantardise ou la propagande leur tenant
lieu de communication.
Par ses propos, R.A.
Rahmane, qui a abondamment relayé
pendant un an et demi – quitte à se
monter un peu plus « circonspect »
aujourd’hui – cette propagande rebelle,
reconnait implicitement que ses bilans
sont viciés à la base. Du coup, avec une
désinvolture statistique remarquable, il
envisage que le bilan total des victimes
pourrait approcher les 100 000, soit
plus du double de sa dernière estimation
« officielle ». L’essentiel étant pour
lui de continue sa propagande
anti-Bachar
-Car ensuite, il y a
l’inévitable interprétation-manipulation
médiatique de ces bilans, OSDH ou
onusiens :
implicitement, les journalistes
présentent les 45 000 ou 60 000 victimes
« comptabilisées » comme autant de
victimes du régime syrien, seul
responsable des violences selon leur
grille de lecture. C’est gros mais ça
marche dans le subconscient du
téléspectateur pressé.
La haut-commissaire aux
droits de l’homme des Nations-Unies,
Navi Pillay – clairement pas une amie du
gouvernement syrien – explique son bilan
plus élevé notamment par la prise en
compte de «
milliers
de personnes disparues ou en détention«
. Mais les disparus sont encore plus
difficiles à appréhender statistiquement
que les morts : ils peuvent avoir
disparu en se réfugiant à l’étranger. Et
à en croire Navi Pillay, une personne
détenue pour raisons politiques en Syrie
est un mort en puissance.
Ajoutons que parmi les
disparus, il y a les enlevés. Or les
groupes rebelles se sont fait une sorte
de spécialité de ces enlèvements, pour
des raisons pas toujours politiques ou
religieuses.
Quelques
glissements progressifs vers la réalité
Soyons juste, Navi Pillay
apporte quand même quelques « correctifs
» par rapport à ses affirmations des
mois passés. Elle dit aussi prendre en
compte les «
chabihas
» (théoriquement miliciens civils
auxiliaires de l’armée) tués par les
opposants. Il y en a eu évidemment un
certain nombre de tués, mais on sait
bien que pour les opposants et rebelles,
« chabiha
» est une commodité de langage,
tout partisan civil du régime, ou membre
d’une communauté jugée tiède ou opposée,
est décrété «
chabiha
» : un scientifique, un chrétien, un
propriétaire agricole peuvent être
supprimés comme «
chabihas«
.
Autre petit progrès
dialectique, Madame Pillay a cette
phrase en forme de mise au point tardive
: « On
assiste à une prolifération de crimes
graves par les deux
parties, y compris des crimes
de guerre, et très probablement, des
crimes contre l’humanité« . C’est
le dernier état de la doxa
politico-médiatique sur la Syrie : il
n’est plus possible de passer sous
silence le comportement chronique des
rebelles, et l’on tend à renvoyer dos à
dos les deux camps. Un précédent rapport
onusien disait que les opposants
commettaient des crimes, mais «
dans une
moindre mesure » que l’armée et le
gouvernement. Qu’on «
sache » donc qu’officiellement et
désormais, les rebelles commettent des
crimes à parité avec le régime.
Les deux
violences
À parité, nous ne le
croyons pas : les massacres délibérés de
populations civiles, les exécutions ou
assassinats ciblés pour des raisons
politiques et religieuses, ils sont dans
la « tradition » des bandes de
fanatiques qui écument le pays. Leur
justice religieuse et surtout sommaire a
prononcé des centaines, ou des milliers
de condamnations à mort, de Homs/Bab Amr
à Alep-est. Et le massacre le plus
médiatisé de femmes et d’enfant, celui
de Houla-Taldo en mai dernier, a été l’oeuvre
de bandes islamistes avides de massacrer
des infidèles alaouites ou chiites.
Qu’on songe que ces même djihadistes
tuent ou menacent des personnalité
religieuses sunnites parce qu’elles
refusent leur logique folle d’épuration
religieuse. Qui a tué le fil du Grand
mufti de Syrie ? Pas les chabihas.
Loin de nous de prétendre
que les forces gouvernementale, dans
cette guerre inexpiable qu’elles mènent
depuis près de deux ans, ont les mains
pures. Une vidéo qui circule ces
derniers jours montrent deux prisonniers
d’hommes appartenant apparemment à une
unité gouvernementale torturés à coups
de couteau pendant deux ou trois minutes
avant d’être achevés.
C’est insoutenable et c’est évidemment
condamnable, les auteurs de ces actes se
comportant en l’occurrence comme les
pires de leurs ennemis islamistes.
Ne donnons pas dans l’angélisme
hypocrite : les soldats, policiers et
miliciens gouvernementaux savent quel
sort atroce – égorgement, décapitation –
ces mêmes rebelles ont réservé à
certains de leurs camarades tombés entre
leurs mains. Les membres du Front al-Nosra
se vantent de ne pas faire de
prisonniers. Dans une guerre (en partie)
civile, où tout a été fait par les
ennemis de la Syrie laïque pour aviver
les divisions communautaires, la guerre
peut prendre la sale allure de la
vendetta religieuse ou ethnique.
Mais il y a ce qui est
structurel et ce qui est fortuit,
exceptionnel. Nous ne pensons pas que
ces comportements sont la norme dans
l’armée syrienne. Alors qu’ils relèvent
d’une seconde nature chez les «
fous de
Dieu » nourris aux prêches d’al-Qaïda
et des docteurs en wahhabisme.
Il n’y a pas, côté
gouvernemental, de cheikh Aroor qui
invite ses partisans à découper en
morceaux les ennemis. L’armée a
tué sans doute pas mal de civils en
Syrie. Mais ils étaient des victimes
collatérales de combats menés, par la
volonté et la tactique des rebelles, en
milieu urbain, où les habitants, retenus
contre leur gré dans la zone des
combats, servent de bouclier humain et
aussi d’argument de propagande aux
rebelles. On nous a montré ces dernières
heure un carnage consécutif à un
bombardement de l’armée d’une
station-service dans la région de Damas
: des civils ont évidemment été tués
dans cette frappe. Mais des rebelles
aussi : dans une zone sous contrôle
insurgé, une station service, un dépôt
de carburant sont évidemment des cibles
militaires.
L’armée syrienne fait une
guerre à laquelle elle n’était
absolument pas préparée. Elle a dû se
former « sur le tas », et ça n’est pas
allé sans bavures et victimes
innocentes. Aujourd’hui, elle combat
mieux les rebelles qu’elle ne le faisait
hier, s’efforçant de les attirer en
concentrations plus vulnérables.
Elle n’est pas là pour
massacrer sa population, ce qui serait
non seulement indigne mais politiquement
suicidaire. Un scrupule que ne peut
évidemment avoir un djihadiste libyen,
tunisien ou tchétchène qui voit la Syrie
et son peuple comme un champ
d’expérimentation de sa guerre sainte.
Entre la violence de l’armée et celle de
l’insurrection, il n’y a pas qu’une
différence d’intensité, il y a une
différence de nature.
Publié le 4 janvier
2013 avec l'aimable autorisation d'Info
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